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blesse de la nature humaine, telle est sa dépendance de la société, que l'homme pourroit presque se repentir de ses qualités comme de défauts involontaires, si l'opinion générale s'accordoit à l'en blâmer: mais il a recours, dans son inquiétude, à ces livres, monumens des meilleurs et des plus nobles sentimens de tous les âges. S'il aime la liberté, si ce nom de république, si puissant sur les ames fières, se réunit dans sa pensée à l'image de toutes les vertus, quelques vies de Plutarque, une lettre de Brutus à Cicéron des paroles de Caton d'Utique dans la langue d'Addisson, des réflexions que la haine de la tyrannie inspiroit à Tacite, les sentimens recueillis ou supposés par les historiens et par les poètes, relèvent l'ame, que flétrissoient les événemens contemporains. Un caractère élevé redevient content de luimême, s'il se sent d'accord avec ces nobles sentimens, avec les vertus que l'ima

gination même a choisies, lorsqu'elle a voulu tracer un modèle à tous les siècles. Que de consolations nous sont données par les écrits d'un certain ordre! Les grands hommes de la première antiquité, s'ils étoient calomniés pendant leur vie, n'avoient de ressource qu'en eux-mêmes; mais, pour nous, c'est le Phédon de Socrate, ce sont les plus beaux chefs-d'œuvre de l'éloquence qui soutiennent notre ame dans ses revers. Les philosophes de tous les pays nous exhortent et nous encouragent; et cette langue pénétrante de la morale et de la connoissance intime du cœur humain, semble s'adresser personnellement à tous ceux qu'elle console.

Qu'il est humain, qu'il est utile d'attacher à la littérature, à l'art de penser, une haute importance! Le type de ce qui est bon et juste ne s'anéantira plus; l'homme que la nature destine à la vertu

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ne manquera plus de guide; enfin (et ce bien est infini) la douleur pourra toujours éprouver un attendrissement salutaire. Cette tristesse aride qui naît de l'isolement, cette main de glace qu'appesantit sur nous le malheur, lorsque nous croyons n'exciter aucune pitié, nous en sommes du moins préservés par les écrits conservateurs des idées, des affections vertueuses. Ces écrits font couler des larmes dans toutes les situations de la vie; ils élèvent l'ame à des méditations générales qui détournent la pensée des peines individuelles; ils créent pour nous une société, une communication avec les écrivains qui ne sont plus, avec ceux qui existent encore, avec les hommes qui admirent, comme nous, ce que nous lisons. Dans les déserts de l'exil, au fond des prisons, à la veille de périr, telle page d'un auteur sensible a relevé peut-être une ame abattue : moi qui la lis, moi qu'elle touche,

je crois y retrouver encore la trace de quelques larmes; et par des émotions semblables, j'ai quelques rapports avec ceux dont je plains si profondément la destinée. Dans le calme, dans le bonheur, la vie est un travail facile; mais on ne sait pas combien, dans l'infortune, de certaines pensées, de certains sentimens qui ont ébranlé votre cœur, font époque dans l'histoire de vos impressions solitaires. Ce qui peut seul soulager la douleur, c'est la possibilité de pleurer sur sa destinée, de prendre à soi cette sorte d'intérêt qui fait de nous deux êtres pour ainsi dire séparés, dont l'un a pitié de l'autre. Cette ressource du malheur n'appartient qu'à l'homme vertueux. Alors que le criminel éprouve l'adversité, il ne peut se faire aucun bien à lui-même par ses propres réflexions; tant qu'un vrai repentir ne le remet pas dans une disposition morale, tant qu'il conserve l'âpreté du crime, il

souffre cruellement : mais aucune parole douce ne peut se faire entendre dans les abîmes de son cœur. L'infortuné qui, par le concours de quelques calomnies propagées, est tout-à-coup généralement accusé, seroit presque aussi lui-même dans la situation d'un vrai coupable, s'il ne trouvoit quelques secours dans ces écrits qui l'aident à se reconnoître, qui lui font croire à ses pareils, et lui donnent l'assurance que, dans quelques lieux de la terre, il a existé des êtres qui s'attendriroient sur lui, et le plaindroient avec affection s'il pouvoit s'adresser à eux.

Qu'elles sont précieuses ces lignes toujours vivantes qui servent encore d'ami, d'opinion publique et de patrie! Dans ce siècle où tant de malheurs ont pesé sur l'espèce humaine, puissionsnous posséder un écrivain qui recueille avec talent toutes les réflexions mélan

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