couvre aujourd'hui sera dans peu généralement connu, parce que les vérités importantes une fois découvertes, frappent tout le monde presque également. Les sophismes, les apperçus appelés ingénieux, quoiqu'ils manquent de justesse, tout ce qui diverge enfin, doit être uniquement considéré comme un défaut. L'esprit donc ainsi assimilé, sous tous les rapports, à la raison supérieure, ne peut pas plus nuire qu'elle. Encourager l'esprit dans une nation, appeler aux emplois publics les hommes qui ont de l'esprit, c'est faire prospérer la morale. On attribue souvent à l'esprit toutes les fautes qui viennent de n'avoir pas assez d'esprit. Les demi-réflexions, les demiapperçus troublent l'homme sans l'éclairer. La vertu est à-la-fois une affection de l'ame, et une vérité démontrée ; il faut la sentir ou la comprendre. Mais si vous prenez du raisonnement ce qui 1 trouble l'instinct, sans atteindre à ce qui peut en tenir lieu, ce ne sont pas les qualités que vous possédez qui vous perdent, ce sont celles qui vous manquent. A tous les malheurs humains, cherchez le remède plus haut. Si vous tournez vos regards vers le ciel, vos pensées s'ennoblissent: c'est en s'élevant que l'on trouve l'air plus pur, la lumière plus éclatante. Excitez l'homme enfin à tous les genres de supériorité, ils serviront tous au perfectionnement de sa morale. Les grands talens obtiennent des applaudissemens, et une bienveillance qui porte à la douceur l'ame de ceux qui les possèdent. Voyez les hommes cruels ; ils sont, pour la plupart, dépourvus de facultés distinguées. Le hasard même a frappé leur figure de quelques désavantages repoussans; ils se vengent sur l'ordre social, de ce que la nature leur a refusé. Je meconfie sans crainte à ceux qui doivent être contens du sort, à ceux qui peuvent, de quelque manière, mériter les suffrages des hommes. Mais celui qui ne sauroit obtenir de ses semblables aucun témoignage d'approbation volontaire, quel intérêt a-t-il à la conservation de la race humaine? Celui que l'univers admire a besoin de l'univers. On a souvent répété que les historiens, les auteurs comiques, tous ceux enfin qui ont étudié les hommes pour les peindre, devenoient indifférens au bien et au mal. Une certaine connoissance des hommes peut produire un tel effet; une connoissance plus approfondie conduit au résultat contraire. Celui qui peint les hommes comme Saint-Simon ou Duclos, ne fait qu'ajouter à la légéreté de leurs opinions et de leurs mœurs; mais celui qui les jugeroit comme Tacite, seroit nécessairement utile à son siècle. L'art d'observer les caractères, d'en expliquer les motifs, d'en faire ressortir les cou leurs, est d'une telle puissance sur l'opinion, que dans tout pays où la liberté de la presse est établie, aucun homme public, aucun homme connu ne résisteroit au mépris, si le talent l'infligeoit. Quelles belles formes d'indignation le crime n'a-t-il pas fait découvrir à l'éloquence! quelle puissance vengeresse de tous les sentimens généreux! Rien ne peut égaler l'impression que font éprouver certains mouvemens de l'ame ou des portraits hardiment tracés. Les tableaux du vice laissent un souvenir ineffaçable, alors qu'ils sont l'ouvrage d'un écrivain pénétrant. Il analyse des sentimens intimes, des détails inapperçus; et souvent une expression énergique s'attache à la vie d'un homme coupable, et fait un avec lui dans le jugement du public. C'est encore une utilité morale du talent littéraire, que cet opprobre imprimé sur les actions par l'art de les peindre (1). (1) Sans doute on pourroit opposer à l'utilité qu'on Il me reste à parler de l'objection qu'on peut tirer des ouvrages où l'on a peint avec talent des mœurs condamnables. Sans doute de tels écrits pourroient. nuire à la morale, s'ils produisoient une profonde impression; mais ils ne laissent jamais qu'une trace légère, et les sentimens véritables l'effacent bien aisément. L'attendrissement est pour l'amour ce que l'estime est pour la vertu ; et comme on ne peut obtenir aucune estime sans moralité, on ne peut faire verser aucunes larmes sans délicatesse. Les ouvrages gais sont, en général, un simple délassement de l'esprit, dont il conserve trèsde souvenir. La nature humaine est peu peut espérer de la publicité du vrai, les dégoûtans libelles dont la France a été souillée; mais je n'ai voulu parler que des services qu'on doit attendre du talent; et le talent craint de s'avilir par le mensonge: il craint de tout confondre, car il perdroit alors son rang parmi les hommes. En toutes choses ce qui est rassurant, c'est la supériorité; et ce qu'il faut craindre, ce sont tous les défauts qu'entraîne la pauvreté de l'esprit ou de l'ame. |