occupations littéraires elles-mêmes doivent finir par perdre de leur considération. Les Allemands manquent de goût naturellement; ils en manquent aussi par imitation. Parmi leurs écrivains, ceux qui ne possèdent pas un génie tout-à-fait original empruntent, les uns les défauts de la littérature anglaise, et les autres ceux de la littérature française. J'ai déjà tâché de faire sentir, en analysant Shakespear, que ses beautés ne pouvoient être égalées que par un génie semblable au sien, et que ses défauts deyoient être soigneusement évités. Les Allemands ressemblent aux Anglais sous quelques rapports; ce qui fait qu'ils s'égarent beaucoup moins en étudiant les auteurs anglais que les auteurs français. Néanmoins ils ont aussi pour systême de mettre en contraste la nature vulgaire avec la nature héroïque, et ils diminuent ainsi l'effet d'un trèsgrand nombre de leurs plus belles pièces. A ce défaut, qui leur est commun avec les Anglais, ils joignent un certain goût pour la métaphysique des sentimens, qui refroi dit souvent les situations les plus touchantes. Comme ils sont naturellement penseurs et, méditatifs, ils placent leurs idées abstraites, et les développemens et les définitions dont leurs têtes sont occupées, dans les scènes les plus passionnées; et les héros, et les femmes, et les anciens, et les modernes tiennent tous quelquefois le langage d'un philosophe allemand. C'est un défaut réel dont les écrivains doivent se préserver. Leur génie leur inspire souvent les expressions les plus simples pour les passions les plus nobles; mais quand ils se perdent dans l'obscurité, l'intérêt ne peut plus les suivre, ni la raison les approuver. On a souvent reproché aux écrivains allemands de manquer de grace et de gaîté. Quelques-uns d'entr'eux craignant ce reproche, dont les Anglais se glorifient, veulent imiter en littérature le goût français; et ils tombent alors dans des fautes d'autant plus graves, qu'étant sortis de leur caractère naturel, ils n'ont plus ces beautés énergiques et touchantes qui faisoient oublier toutes les imperfections. Il ne falloit pas moins que les circonstances particulières à l'ancienne France, et dans la France, à Paris, pour atteindre à ce charme de grace et de gaîté qui caractérisoit quelques écrivains avant la révolution. Il en est une foule, parmi nous, qui ont échoué dans leurs essais au milieu des meilleurs modèles. Les Allemands ne sont pas même certains de bien choisir, alors qu'ils veulent imiter. On peut croire, en Allemagne, que Crébillon et Dorat sont des écrivains pleins de grace, et charger la copie d'un style déjà si maniéré, qu'il est presque insupportable aux Français. Les auteurs allemands qui trouveroient au fond de leur ame tout ce qui peut émouvoir les hommes de tous les pays, mêlant ensemble la mythologie grecque et la galanterie française, se font un genre où la nature et la vérité sont évitées avec un soin presque scrupuleux. En France, la puissance du ridicule finit toujours par ramener à la simplicité; mais dans un pays, comme l'Allemagne, où le tribunal de la société a si peu de force et si peu d'accord, il ne faut rien risquer dans le genre qui exige l'habitude la plus constante et le tact le plus fin de toutes les convenances de l'esprit. Il faut s'en tenir aux principes universels de la haute littérature, et n'écrire que sur les sujets où il suffit de la nature et de la raison pour se guider. Les Allemands ont quelquefois le défaut de vouloir mêler aux ouvrages philosophiques une sorte d'agrément, qui ne convient en aucune manière aux écrits sérieux (1). Ils croient ainsi se mettre à la portée de leurs lecteurs ; mais il ne faut jamais supposer à ceux qui nous lisent, des facultés inférieures aux nôtres : il convient mieux d'exprimer ses pensées telles qu'on les a conçues. On ne doit pas se mettre au niveau du plus grand nombre, mais tendre au plus haut terme de perfection possible: le juge (1) Un lithologiste allemand, discutant, dans un de ses écrits, sur une pierre qu'il n'avoit pu jusqu'alors découvrir, s'exprime ainsi en parlant d'elle: Cette nymphe fugitive échappe à nos recherches ; et s'exaltant ensuite sur les propriétés d'une autre pierre, il s'écrie en la nommant: Ah, syrène! ment du public est toujours, à la fin, celuż des hommes les plus distingués de la nation. C'est quelquefois aussi par un desir mal entendu de plaire aux femmes, que les Allemands veulent unir ensemble le sérieux et la frivolité. Les Anglais n'écrivent point pour les femmes; les Français les ont rendues, par le rang qu'ils leur ont accordé dans la société, d'excellens juges de l'esprit et du goût; les Allemands doivent les aimer, comme les Germains d'autrefois, en leur supposant quelques qualités divines. Il faut mettre du culte et non de la condescendance dans les relations avec elles. Enfin, pour faire admettre des vérités philosophiques dans un pays où elles ne sont point encore publiquement adoptées, on a cru nécessaire de les revêtir de la forme d'un conte, d'un dialogue ou d'un apologue; et Vieland en particulier s'est acquis une grande réputation dans ce genre. Peut-être un détour étoit-il quelquefois nécessaire pour enseigner la vérité. Peut-être falloit |