tiré de la Génése; ce que l'auteur y a ajouté d'allégorique en quelques endroits, est réprouvé par le goût. On s'apperçoit souvent que le poète est contraint ou dirigé par sa soumission à l'orthodoxie: mais ce qui fait de Milton l'un des premiers poètes du monde, c'est l'imposante grandeur des caractères qu'il a tracés. Son ouvrage est surtout remarquable par la pensée; la poésie qu'on y admire a été inspirée par le besoin d'égaler les images aux conceptions de l'esprit : c'est pour faire comprendre ses idées intellectuelles, que le poète a eu recours aux plus terribles tableaux qui puissent frapper l'imagination: avant de donner une forme à Satan, il l'avoit conçu immatériel; il s'étoit représenté sa nature morale, avant d'accorder avec ce caractère sa gigantesque stature, et l'épouvantable aspect de l'enfer qu'il doit habiter. Avec quel talent il vous transporte de cet enfer dans le paradis ! comme il vous promène à travers toutes les sensations enivrantes de la jeunesse, de la nature et de l'innocence ! Ce n'est pas le bonheur des jouissances vives, c'est le calme qu'il met en contraste avec le crime, et l'opposition est bien plus forte! la piété d'Adam et d'Eve, les différences primitives du caractère et de la destinée des deux sexes sont peintes comme la philosophie et l'imagination devoient les caractériser (1). Le cimetière de Gray, l'épître sur le collége d'Eaton, le village abandonné de Goldsmith sont remplis de cette noble mélancolie qui est la majesté du philosophe sensible. Où peut-on trouver plus d'enthousiasme poétique que dans l'ode à la musique de Dryden? Quelle passion dans la lettre d'Héloïse! est-il une plus délicieuse peinture de l'amour, dans le mariage, que les vers qui Not equal, as their sexes not equal For contemplation he, and valor formed, Ces deux nobles créatures (Adam et Eve) ne sont point semblables en tout, et diffèrent comme leurs sexes. Lui, formé pour la méditation et la valeur ; elle, pour la douceur et la grace attirante; lui, pour adorer Dieu seul; elle, pour adorer Dieu en lui, terminent le premier chant de Thompson sur le printems (1). Que de réflexions profondes et terribles ne reste-t-il pas de (1) Tout le monde connoît ce morceau de Thompson; mais je n'ai pu me refuser à en placer ici l'extrait, afin que les femmes, entre les mains desquelles tombera cet ouvrage, aient une occasion de plus de relire de tels vers: But happy they! the happiest of their Kind Whom gentler stars unite, and in one fate Their hearts, their fortune, and their beings blend: Unnatural oft and foreign to the mind, Where friendship full exerts her softest power, Perfect esteem enlivened by desire Ineffable, and sympathy of soul, Thought meeting thought and will preventing will, What is the world to them Its pomp, its pleasure, and its non sense all? ces nuits d'Young, où l'homme est peint considérant le cours et le terme de sa destinée sans cette illusion qui nous fait nous The infant reason grows apace and calls An elegant sufficieney, content, To scenes where love and bliss immortal reign. Heureux et les plus heureux des mortels ceux que la bienfaisante destinée a réunis, et qui confondent dans intéresser à des jours comme à des siècles, à ce qui passe comme à l'éternité ! un même sort leurs cœurs, leurs fortunes et leurs existences. Ce n'est pas le dur lien des loix humaines, ce lien si souvent étranger au choix du cœur, qui forme le nœud de leur vie, c'est l'harmonie elle-même, accordant toutes leurs passions dans le sentiment de l'amour. L'amitié exerce dans leur sein sa plus douce puissance, la parfaite estime animée par le desir, l'inexprimable sympathie des ames, la pensée rencontrant la pensée, la volonté prévenant la volonté par une confiance sans bornes. Que leur importe le monde et ses plaisirs et sa folie, chacun des deux n'embrasset-il pas, dans l'objet qu'il aime, tout ce que l'imagination peut se créer, tout ce qu'un cœur abandonné à l'espérance pourroit souhaiter? Ne goûtent-ils pas un charme plus puissant encore que celui de la beauté, ou dans les sentimens, ou dans les traits animés par ces sentimens mêmes? Vérité, bonté, honneur, tendresse, amour, les plus riches bienfaits de l'indulgence du ciel leur sont accordés; et près d'eux bientôt s'élève leur postérité souriante: la fleur de l'enfance s'épanouit sous leurs yeux, et chaque jour qui s'écoule développe une nouvelle grace. La vertu du père et la beauté de la mère s'apperçoivent déjà dans les enfans: leur foible raison grandit à chaque moment; elle réclame bientôt le secours des soins assidus. Délicieuse tâche de cultiver la pensée tendre encore, d'enseigner à la jeune |