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Ils applaudissoient aux talens avec transport. Ils louoient avec passion les grands hommes leur loi d'exil, leur ostracisme n'est qu'une preuve de la défiance que leur inspiroit à eux-mêmes leur penchant à l'enthousiasme. Tout ce qui peut ajouter à l'éclat des noms fameux, tout ce qui peut exciter l'ambition de la gloire, cette nation le prodiguoit. Les auteurs tragiques alloient faire des sacrifices sur le tombeau d'Eschyle, avant d'entrer dans la carrière qu'il avoit ouverte le premier. Pindare, Sophocle, la lyre à la main, paroissoient dans les jeux publics, couronnés de lauriers et désignés par les oracles. L'imprimerie, si favorable aux progrès, à la diffusion des lumières nuit à l'effet de la poésie; on l'étudie, on l'analyse, tandis que les Grecs la chantoient, et n'en recevoient l'impression qu'au milieu des fêtes, de la musique, et de cette ivresse que les hommes réunis éprouvent les uns par les autres.

On peut attribuer quelques uns des carac tères de la poésie des Grecs au genre de succès que se proposoient leurs poètes. Leurs vers

devoient être lus dans les solemnités publiques. La réflexion, la mélancolie, ces jouissances solitaires, ne conviennent point à la foule; le sang s'anime, la vie s'exalte parmi les hommes rassemblés. Il falloit que les poètes secondassent ce mouvement. La monotonie des hymnes pindariques, cette monotonie si fatigante pour nous, ne l'étoit point dans les fêtes grecques; de certains. airs, qui ont produit de grands effets sur les habitans des pays de montagne, sont composés d'un très-petit nombre de notes. Il en étoit peut-être ainsi des idées, que contenoit la poésie lyrique des Grecs. Les mêmes images, les mêmes sentimens, et sur-tout la même harmonie, excitoient toujours les applaudissemens de la multitude.

L'approbation du peuple grec, s'exprimoit bien plus vivement que les suffrages réfléchis des modernes. Une nation qui encou rageoit de tant de manières les talens distingués, devoit faire naître entr'eux de grandes rivalités; mais ces rivalités servoient à l'avancement des arts. La palme la plus glorieuse excitoit moins de haine,

que n'en font naître les témoignages comptés de l'estime rigoureuse qu'on peut obtenir de nos jours. Il étoit permis au génie de se nommer, à la vertu de s'offrir, et tous les hommes qui se croyoient dignes de quelque renommée, pouvoient s'annoncer sans crainte comme les candidats de la gloire. La nation leur savoit gré d'être ambitieux de ⚫son estime.

Maintenant la médiocrité toute puissante force les esprits supérieurs à se revêtir de ses couleurs effacées. Il faut se glisser dans la gloire, il faut dérober aux hommes leur admiration à leur insçu. Il importe non-seulement de rassurer par sa modestie, mais il faut même affecter de l'indifférence pour les suffrages, si l'on veut les obtenir. Cette contrainte aigrit quelques esprits, étouffe dans les autres les talens auxquels l'essor et l'abandon sont nécessaires. L'amour-propre persiste; le véritable génie est souvent découragé. L'envie chez les Grecs existoit quelquefois entre les rivaux; elle a passé maintenant chez les spectateurs, et par une

singularité bizarre, la masse des hommes est jalouse des efforts que l'on tente pour ajouter à ses plaisirs, ou mériter son approbation.

CHAPITRE I I.

Des Tragédies grecques.

C'EST sur-tout dans les pièces de théâtre qu'on apperçoit visiblement quelles sont les moeurs, la religion, et les loix du pays où elles ont été composées et réprésentées avec succès. Il faut, pour être applaudi au théâtre, que l'auteur possède, indépendamment des qualités littéraires, un peu de ce qui constitue le mérite des actions politiques, la connoissance des hommes, de leurs habitudes, et de leurs préjugés.

La douleur et la mort sont les premiers moyens des situations tragiques, et la religion modifie toujours puissamment l'action de la douleur, et la terreur de la mort. Voyons donc quels effets les opinions religieuses des Grecs pouvoient ajouter à leurs tragédies, et quels effets elles leur interdisoient.

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