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de l'homme. Quelques courtisanes, sans pudeur, des esclaves, que leur sort avilissoit, et des femmes, inconnues au reste du monde, enfermées dans leurs maisons, étrangères aux intérêts de leurs époux, élevées de manière à ne comprendre aucune idée, aucun sentiment, voilà tout ce que les Grecs connoissoient des liens de l'amour. Les fils mêmes respectoient à peine leur mère. Télémaque ordonne à Pénélope de garder le silence; et Pénélope sort, pénétrée d'admiration pour sa sagesse. Les Grecs n'ont jamais exprimé, n'ont jamais connu le premier sentiment de la nature humaine, l'amitié dans l'amour. L'amour, tel qu'ils le peignoient, est une maladie, un sort jetté par les dieux, un genre de délire, qui ne suppose aucune qualité morale dans l'objet aimé. Ce que les Grecs entendoient par l'amitié, existoit entre les hommes; mais ils ne savoient pas, mais leurs mœurs leur interdisoient d'imaginer, qu'on pouvoit rencontrer dans les femmes un être égal par l'esprit, et soumis par l'amour, une compagne de la vie, heureuse de consacrer ses facultés, ses jours, ses sentimens, à compléter une autre existence. La privation absolue d'une telle affection se fait appercevoir, non-seulement dans la peinture de l'amour, mais dans tout ce qui tient à la délicatesse du cœur. Télémaque, en partant pour chercher Ulysse, dit, que s'il apprend la mort de son père, son premier soin, en revenant, sera de lui élever un tombeau, et de faire prendre à sa mère un second mari. Les Grecs honoroient les morts; les dogmes de leur religion ordonnoient expressément de veiller sur la pompe des funérailles; mais la mélancolie, les regrets sensibles et durables ne sont point dans leur nature; c'est dans le cœur des femmes qu'habitent les longs souvenirs. J'aurai souvent l'occasion de faire remarquer les changemens qui se sont opérés dans la littérature, à l'époque où les femmes ont commencé à faire partie de la vie morale de l'homme.

Après avoir essayé de montrer, quelles sont les causes premières des beautés originales de la poésie grecque, et des défauts

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qu'elle devoit avoir dans l'époque la plus reculée de la civilisation, il me reste à examiner, comment le gouvernement et l'esprit national d'Athènes ont influé sur le rapide développement de tous les genres de littérature. On ne sauroit nier, que la législation d'un peuple ne soit toute-puissante sur ses goûts, sur ses talens, et sur ses habitudes, puisque Lacédémone a existé à côté d'Athènes, dans le même siècle, sous le même climat, avec des dogmes religieux à-peu-près semblables, et cependant avec des mœurs si différentes.

Toutes les institutions d'Athènes excitoient l'émulation. Les Athéniens n'ont pas toujours été libres. Mais l'esprit d'encouragement n'a jamais cessé d'exercer parmi eux la plus grande force. Aucune nation ne s'est jamais montrée plus sensible à tous les talens distingués. Ce penchant à l'admiration créoit les chefs-d'œuvre qui la méritent. La Grèce, et dans la Grèce l'Attique, étoit un petit pays civilisé, au milieu du monde encore barbare. Les Grecs étoient

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peu nombreux, mais l'univers les regardoit. Ils réunissoient le double avantage des petits états et des grands théâtres : l'émulation qui naît de la certitude de se faire connoître au milieu des siens, et celle que doit produire la possibilité d'une gloire sans bornes. Ce qu'ils disoient entr'eux retentissoit dans le monde. Leur population étoit très-circonscrite, et l'esclavage de près de la moitié des habitans restreignoit encore la classe des citoyens. Tout contribuoit à réunir les lumières, à rassembler les talens dans le cercle de concurrens en petit nombre, qui s'excitoient l'un l'autre et se mesuroient sans cesse. La démocratie qui appelle tous les hommes distingués à toutes les places éminentes, portoit les esprits à s'occuper des événemens publics. Néanmoins les Athéniens ne se renfermoient point dans les intérêts politiques de leur pays. Ils vouloient conserver leur premier rang de nation éclairée. La haine, le mépris pour les barbares fortifioient en eux le goût des arts et des belleslettres. Il vaut mieux pour le genre humain que les lumières soient généralement répandues. Mais l'émulation de ceux qui les possédent est plus grande lorsqu'elles sont concentrées. La vie des hommes célèbres étoit plus glorieuse chez les anciens, et celle des hommes obscurs plus heureuse chez les modernes.

La passion dominante du peuple d'Athènes, c'étoit l'amusement. On l'a vu décréter la peine de mort, contre quiconque proposeroit de distraire, pour le service militaire même, l'argent consacré aux fêtes publiques. Il n'avoit point, comme les Romains, l'ardeur de conquérir. Il repoussoit les barbares, pour conserver sans mélange ses goûts et ses habitudes. Il aimoit la liberté, comme assurant à tous les genres de plaisirs la plus grande indépendance. Mais il n'avoit pas cette haine profonde de la tyrannie, qu'une certaine dignité de caractère gravoit dans l'ame des Romains. Les Athéniens ne cherchoient point à établir une forte garantie dans leur législation. Ils vouloient seulement alléger tous les jougs, et donner aux chefs de l'état le besoin continuel de captiver les citoyens et de leur plaire.

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