homme, c'est à l'homme que l'on s'intéresse; l'on n'est point alors ému par des sentimens qui sont quelquefois de convention tragique, mais par une impression tellement rapprochée des impressions de la vie, que l'illusion en est plus grande. Lors même que Shakespear représente des personnages dont la destinée a été illustre, il intéresse ses spectateurs à eux par des sentimens purement naturels. Les circonstances sont grandes; mais l'homme diffère moins des autres hommes que dans nos tragédies. Shakespear vous fait pénétrer intimement dans la gloire qu'il vous peint; vous passez, en l'écoutant, par toutes les nuances, par toutes les gradations qui mènent à l'héroïsme, et votre ame arrive à cette hauteur sans être sortie d'elle-même. La fierté nationale des Anglais, ce sentiment développé par un amour jaloux de la liberté, se prête moins que l'esprit chevaleresque de la monarchie française au fanatisme pour quelques chefs. On veut récompenser, en Angleterre, les services d'un 1 bon citoyen; mais on n'y a point de penchant pour cet enthousiasme sans mesure qui étoit dans les institutions, les habitudes et le caractère des Français. Cette répugnance orgueilleuse pour l'enthousiasme de l'obéissance, qui a été de tout temps le caractère des Anglais, a dû inspirer à leur poète national l'idée d'obtenir l'attendrissement plutôt par la pitié que par l'admiration. Les larmes que nous donnons aux sublimes caractères de nos tragédies, l'auteur anglais les fait couler pour la souffrance obscure, abandonnée, pour cette suite d'infortunes qu'on ne peut connoître dans Shakespear sans acquérir quelque chose de l'expérience même de la vie. S'il excelle à peindre la pitié, quelle énergie dans la terreur ! C'est du crime qu'il fait sortir l'effroi. On pourroit dire du crime peint par Shakespear, comme la Bible de la mort, qu'il est le roi des épouvantemens. Combien sont habilement combinés, dans Macbeth, les remords et la superstition croissante avec les remords ! La sorcellerie est en elle-même beaucoup plus effrayante que les dogmes religieux les plus absurdes. Ce qui est inconnu, ce qui n'est guidé par aucune volonté intelligente; porte la crainte au dernier degré. Dans un systême de religion quelconque, la terreur sait toujours à quel point elle doit s'arrêter; elle se fonde toujours du moins sur quelques motifs raisonnés: mais le chaos de la magie jette dans la tête le désordre le plus complet. Shakespear, dans Macbeth, admet du fatalisme ce qu'il en faut pour faire pardonner au criminel; mais il ne se dispense point, par ce fatalisme, de la gradation philosophique des sentimens de l'ame. Cette pièce seroit encore plus admirable, si ses grands effets étoient produits sans le secours du merveilleux; mais ce merveilleux n'est, pour ainsi dire, que les fantômes de l'imagination, qu'on fait apparoître aux regards du spectateur. Ce ne sont point des personnages mythologiques, apportant leurs volontés supposées ou leur froide nature au milieu des intérêts des hommes; c'est le merveilleux des rêves, lorsque les passions sont fortement agitées. Il y a toujours quelque chose de philosophique dans le surnaturel employé par Shakespear. Lorsque les sorcières annoncent à Macbeth qu'il sera roi, lorsqu'elles reviennent lui répéter cette prédiction au moment où il hésite à suivre les sanglans conseils de sa femme, qui ne voit que c'est la lutte intérieure de l'ambition et de la vertu, que l'auteur a voulu représenter sous ces formes effrayantes? Il n'a point eu recours à ce moyen dans Richard III. Il nous l'a peint cependant plus criminel encore que Macbeth; mais il vouloit montrer ce caractère sans remords, sans combats, sans mouvemens involontaires, cruel comme un animal féroce, non comme un homme coupable, dont les premiers sentimens avoient été vertueux. Les profondeurs du crime s'ouvrent aux regards de Shakespear; et c'est dans ce Ténare qu'il sait descendre pour en observer les tourmens. Dans les monarchies absolues, les grands crimes politiques ne peuvent être commis que par la volonté des rois; et ces crimes, il n'est pas permis de les représenter devant leurs successeurs (1). En Angleterre, les troubles civils qui ont précédé laliberté, et qui étoient toujours causés par l'esprit d'indépendance, ont fait naître beaucoup plus souvent qu'en France de grands crimes et de grandes vertus. Les Anglais ont, dans leur histoire, beaucoup plus de situations tragiques que les Français; et rien ne s'oppose à ce qu'ils exercent leurs talens sur ces sujets, dont l'intérêt est national. Presque toutes les littératures d'Europe ont débuté par l'affectation. Les lettres ayant recommencé dans l'Italie, les pays où elles arrivèrent ensuite, imitèrent d'abord le genre italien. Le nord a été plus vîte affranchi que la France de ce genre recher ché, dont on apperçoit des traces dans les anciens poètes anglais, Waller, Cowley, &c. Les guerres civiles et l'esprit phi (1) Charles IX est la première tragédie dans laquelle un roi de France coupable ait été représenté sur le théâtre, la monarchie existant encore. |