gieuses du nord conviennent presque toutes à la raison exaltée. Les ombres penchées sur les nuages, ne sont que des souvenirs animés par des images sensibles. Les émotions causées par les poésies ossianiques, peuvent se reproduire dans toutes les nations, parce que leurs moyens d'émouvoir sont tous pris dans la nature; mais il faut un talent prodigieux pour introduire, sans affectation, la mythologie grecque dans la poésie française. Rien ne doit être, en général, si froid et si recherché que des dogmes religieux transportés dans un pays où ils ne sont reçus que comme des métaphores ingénieuses. La poésie du nord est rarement allégorique; aucun de ses effets n'a besoin de superstitions locales pour frapper l'imagination. Un enthousiasme réfléchi, une exaltation pure, peuvent également convenir à tous les peuples; c'est la véritable inspiration poétique dont le sentiment est dans tous les cœurs, mais dont l'expression est le don du génie. Elle entretient une rêverie céleste qui fait aimer la campagne et la solitude; elle porte sou vent le cœur vers les idées religieuses, et doit exciter dans les êtres privilégiés le dévouement des vertus et l'inspiration des pensées élevées. Ce que l'homme a fait de plus grand, il le doit au sentiment douloureux de l'incomplet de sa destinée. Les esprits médiocres sont, en général, assez satisfaits de la vie commune ; ils arrondissent, pour ainsi dire, leur existence, et suppléent à ce qui peut leur manquer encore, par les illusions de la vanité; mais le sublime de l'esprit, des sentimens et des actions doit son essor au besoin d'échapper aux bornes qui circonscrivent l'imagination. L'héroïsme de la morale, l'enthousiasme de l'éloquence, l'ambition de la gloire donnent des jouissances surnaturelles qui ne sont nécessaires qu'aux ames à-la-fois exaltées et mélancoliques, fatiguées de tout ce qui se mesure, de tout ce qui est passager, d'un terme enfin, à quelque distance qu'on le place. C'est cette disposition de l'ame, source de toutes les passions généreuses, comme de toutes les idées philosophiques, qu'inspire particuliè rement la poésie du nord. Je suis loin de comparer le génie d'Homère à celui d'Ossian. Ce que nous connois'sons d'Ossian ne peut être considéré comme un ouvrage ; c'est un recueil des chansons populaires qui se répétoient dans les montagnes d'Ecosse. Avant qu'Homère eût composé son poëme, d'anciennes traditions existoient sans doute en Grèce. Les poésies d'Ossian ne sont pas plus avancées dans l'art poétique, que ne devoient l'être les chants des Grecs avant Homère. Aucune parité ne peut donc être établie avec justice entre l'Iliade et le poëme de Fingal. Mais on peut toujours juger si les images de la nature, telles qu'elles sont représentées dans le midi, excitent des émotions aussi nobles et aussi pures que celles du nord; si les images du midi, plus brillantes à quelques égards, font naître autant de pensées, ont un rapport aussi immédiat avec les sentimens de l'ame. Les idées philosophiques s'unissent comme d'elles-mêmes aux images sombres. La poésie du midi, loin de s'accorder, comme celle du nord, avec la méditation, et d'inspirer, pour ainsi dire, ce que la réflexion doit prouver; la poésie voluptueuse exclut presqu'entièrement les idées d'un certain ordre. On reproche à Ossian sa monotonie. Ce défaut existe moins dans les diverses poésies qui dérivent de la sienne, celles des Anglais et des Allemands. La culture, l'industrie, le commerce ont varié de plusieurs manières les tableaux de la campagne. Néanmoins l'imagination septentrionale conservant toujours à-peu-près le même caractère, on doit trouver encore, même dans Young, Thompson, Klopstock, &c. une sorte d'uniformité. La poésie mélancolique ne peut pas se varier sans cesse. Le frémissement que produisent dans tout notre être de certaines beautés de la nature, est une sensation toujours la même; l'émotion que nous causent les vers qui nous retracent cette sensation, a beaucoup d'analogie avec l'effet de l'harmonica. L'ame, doucement ébranlée, se plaît dans la prolongation de cet état, aussi long-temps qu'il lui est possible de le supporter. Et ce n'est pas le défaut de la poésie, c'est la foiblesse de nos organes qui nous fait sentir la fatigue au bout de quelque temps; ce qu'on éprouve alors, ce n'est pas l'ennui de la monotonie, c'est la lassitude que causeroit le plaisir trop continu d'une musique aérienne. Les grands effets dramatiques des Anglais, et après eux des Allemands, ne sont point tirés des sujets grecs, ni de leurs dogmes mythologiques. Les Anglais et les Allemands excitent la terreur par d'autres superstitions plus analogues aux crédulités des derniers siècles. Ils ont su l'exciter sur-tout par la peinture du malheur, que ces ames énergiques et profondes ressentoient si douloureusement, C'est, comme je l'ai déjà dit, des opinions religieuses que dépend, en grande partie, l'effet que produit sur l'homme l'idée de la mort. Les bardes écossais ont eu, dans tous les temps, un culte plus sombre et plus spiritualisé que celui du midi. La religion chrétienne, qui, séparée des inventions sacerdotales, est assez rapprochée du pur déïsme, a fait disparoître ce cortége d'imagination qui environnoit l'homme |