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conçoit est sans cesse ramené vers elles; et il seroit impossible aux modernes de faire abstraction de tout ce qu'ils savent, pour peindre les objets comme les anciens les ont considérés. Nos grands écrivains ont mis dans leurs vers les richesses de notre siècle; mais toutes les formes de la poésie, tout ce qui constitue l'essence de cet art, nous l'empruntons de la littérature antique, parce qu'il est impossible, je le répète, de dépasser une certaine borne dans les arts, même dans le premier de tous, la poésie.

On remarque, avec raison, que le goût de la première littérature (à quelques exceptions près que je motiverai en parlant des pièces de théâtre) étoit d'une grande pureté; mais comment le bon goût n'existeroitil pas, dans l'abondance et dans la nouveauté de tous les objets agréables? C'est la satiété qui fait recourir à la bizarrerie; c'est le besoin de variété qui rend souvent l'esprit recherché; mais les Grecs, au milieu de tant d'images et de sensations vives, s'aban

donnoient à peindre celles qui leur causoient le plus de plaisir. Ils devoient leur bon goût aux jouissances même de la nature; nos théories ne sont que l'analyse de leurs impressions.

Le paganisme des Grecs étoit l'une des principales causes de la perfection de leur goût dans les arts; ces dieux toujours près des hommes, et néanmoins toujours audessus d'eux, consacroient l'élégance et la beauté des formes dans tous les genres de tableaux. Cette même religion étoit aussi d'un puissant secours pour les divers chefsd'œuvre de la littérature. Les prêtres et les législateurs avoient tourné la crédulité des hommes vers des idées purement poétiques; les mystères, les oracles, l'enfer, tout, dans la mythologie des Grecs, sembloit la création d'une imagination libre dans son choix. On eût dit, que les peintres et les poètes avoient disposé de la croyance populaire, pour placer dans les cieux les ressorts et les secrets de leur art. Les usages communs de la vie étoient annoblis par des pratiques religieuses; notre luxe commode

nos machines combinées par les sciences, nos relations sociales simplifiées par le commerce, ne peuvent se peindre en vers d'un genre élevé. Rien n'est moins poétique que la plupart des coutumes modernes ; et chez les Grecs ces coutumes ajoutoient toutes à l'effet des événemens et à la dignité des hommes. On faisoit précéder les repas de libations aux dieux propices; sur le seuil de la porte, on se prosternoit devant Jupiter hospitalier; la vie agricole, la chasse, les occupations champêtres des plus fameux héros de l'antiquité, servoient encore à la poésie, en rapprochant, des faits politiques les plus importans, les images naturelles.

L'esclavage, cet abominable fléau de l'espèce humaine, en augmentant la force des distinctions sociales, faisoit remarquer davantage encore la hauteur des grands caractères. Aucun peuple, donc, n'a réuni pour la poésie autant d'avantages que les Grecs; mais il leur manquoit ce qu'une philosophie plus morale, une sensibilité plus pro

fonde, peuvent ajouter à la poésie même, ény mêlant des idées et des impressions nouvelles.

Les progrès des Grecs, sous les rapports philosophiques, sont extrêmement faciles à suivre. Eschýle, Sophocle, Euripide, introduisirent successivement et progressivement la morale dans la poésie dramatique. Socrate et Platon s'occupèrent uniquement des préceptes de la vertu. Aristote a fait faire des

pas immenses à la science de l'analyse. Mais, à l'époque d'Homère et d'Hésiode, et quelque temps encore après, lorsque Pindare a composé ses odes, dans l'âge le plus remarquable par les chefs-d'œuvre de la poésie, les idées de morale étoient très-incertaines. Elles autorisoient la vengeance, la colère, tous les mouvemens impétueux de l'ame. Hérodote, qui vivoit presqu'à la même époque, raconte le juste et l'injuste, comme les présages et les oracles; le crime lui paroît de mauvais augure, mais ce n'est jamais par sa conscience qu'il en décide. Anacréon, dans sa poésie voluptueuse, est de plusieurs siècles en arrière du genre

!

de philosophie qu'un tel sujet peut admettre. Le mot de vertu n'a point un sens positif, dans les auteurs grecs d'alors. Pindare donne ce nom à l'art de triompher dans les courses de char aux jeux olympiques; ainsi les succès, les plaisirs, la volonté des dieux, les devoirs de l'homme, tout se confondoit dans ces têtes ardentes; et l'existence sensitive laissoit seule des traces profondes. L'incertitude de la morale, dans ces temps reculés, n'est point une preuve de corruption; elle indique seulement combien les hommes avoient alors peu d'idées philosophiques; tout les détournoit de la méditation, rien ne les y ramenoit. L'esprit de réflexion se montre rarement dans la poésie des Grecs. On y trouve encore moins de véritable sensibilité.

Tous les hommes, sans doute, ont connu les douleurs de l'ame, et l'on en reconnoît l'énergique peinture dans Homère; mais la puissance d'aimer semble s'être accrue avec les autres progrès de l'esprit humain, et sur-tout par les mœurs nouvelles qui ont appelé les femmes au partage de la destinée

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