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semblable; mais c'est au christianisme que les orateurs français sont redevables des idées fortes et sombres qui ont agrandi leur éloquence.

On a reproché à la religion chrétienne d'avoir affoibli les caractères; l'évangile a eu pour but de combattre la férocité. Or il est impossible d'inspirer tout-à-la-fois beaucoup d'humanité pour ses semblables, et la plus complette insensibilité pour soi. Il falloit rendre au meurtre ses épouvantables couleurs, il falloit faire horreur du sang et de la mort; et la nature ne permet pas que la sympathie s'exerce toute entière au-dehors de nous. Le fanatisme, à diverses époques, étouffa les sentimens de douceur qu'inspiroit la religion chrétienne; mais c'est l'esprit général de cette religion que je devois examiner; et de nos jours, dans les pays où la réformation est établie, on peut encore remarquer combien est salutaire l'influence de l'évangile sur la morale.

Le paganisme, tolérant par son essence, est regretté par les philosophes, quand ils

le comparent au fanatisme que la religion chrétienne a inspiré. Quoique les passions fortes entraînent à des crimes, que l'indifférence n'eût jamais causés, il est des circonstances dans l'histoire, où ces passions sont nécessaires pour remonter les ressorts de la société. La raison, avec l'aide des siècles, s'emparede quelques effets de ces grands mouvemens; mais il est de certaines idées que les passions font découvrir, et qu'on auroit ignorées sans elles. Il faut des secousses violentes pour porter l'esprit humain sur des objets entièrement nouveaux; ce sont les tremblemens de terre, les feux souterrains, qui montrent aux regards de l'homme des richesses, dont le temps seul n'eût pas suffi pour creuser la route.

Je crois voir une preuve de plus de cette opinion, dans l'influence qu'a exercée sur les progrès de la métaphysique l'étude de la théologie. On a souvent considéré cette étude comme l'emploi le plus oisif de la pensée, comme l'une des principales causes de la barbarie des premiers siècles de notre ère. Néanmoins c'est un genre d'effort intellectuel, qui a singulièrement développé les facultés de l'esprit. Si l'on ne juge le résultat d'un tel travail, que dans ses rapports avec les arts d'imagination, rien ne peut en donner une idée plus défavorable. La noblesse, l'élégance, la grace des formes antiques sembloient devoir disparoître à jamais, sous les pédantesques erreurs des écrivains théologiques. Mais le genre d'esprit qui rend propre à l'étude des sciences, se formoit par les disputes sur les dogmes, quoique leur objet fût aussi puérile qu'absurde.

L'attention et l'abstraction sont les véritables puissances de l'homme penseur; ces facultés seules peuvent servir aux progrès de l'esprit humain. L'imagination, les talens qui en dérivent ne raniment que les souvenirs; mais c'est uniquement par la méthode métaphysique qu'on peut atteindre aux idées vraiment nouvelles. Les dogmes spirituels exerçoient les hommes à la conception des pensées abstraites; et la longue contention d'esprit, qu'exigeoit l'enchaînement des subtiles conséquences de la théologie, rendoit la tête propre à l'étude des

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sciences exactes. Comment se fait-il, dirat-on, qu'approfondir l'erreur puisse jamais servir à la connoissance de la vérité? C'est que l'art du raisonnement, la force de méditation qui permet de saisir les rapports les plus métaphysiques, et de leur créer un lien, un ordre, une méthode, est un exercice utile aux facultés pensantes, quel que soit le point d'où l'on part et le but où l'on veut arriver.

Sans doute, si les facultés développées dans ce genre de travail n'avoient point été depuis dirigées sur d'autres objets, il n'en fût résulté que du malheur pour le genre humain; mais quand on voit, à la renaissance des lettres, la pensée prendre tout-à-coup un si grand essor, les sciences avancer en peu de temps d'une manière si étonnante, on est conduit à croire que, même en faisant fausse route, l'esprit acquéroit des forces, qui ont hâté ses pas dans la véritable carrière de la raison et de la philosophie.

Quelques hommes peuvent se livrer par goût à l'étude des idées abstraites; mais le

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grand nombre n'y est jamais jetté, que par un intérêt de parti. Les connoissances politiques avoient fait de grands progrès, dans les premières années de la révolution française, parce qu'elles servoient l'ambition de plusieurs, et agitoient la vie de tous. Les questions théologiques, dans leur temps, avoient été l'objet d'un intérêt aussi vif, d'une analyse aussi profonde, parce que les querelles qu'elles faisoient naître étoient animées, par l'avidité du pouvoir et la crainte de la persécution. Si l'esprit de faction ne s'étoit pas introduit dans la métaphysique, si les passions ambitieuses n'avoient pas été intéressées dans les discussions abstraites, les esprits ne s'y seroientjamais assez vivement attachés, pour acquérir, dans ce genre difficile, tous les moyens nécessaires aux découvertes des siècles suivans.

Ainsi marche l'instruction, pour la masse des hommes. Quand les opinions que l'on professe sur un ordre d'idées quelconque, deviennent la cause et les armes des partis, la haine, la fureur, la jalousie parcourent tous les rapports, saisissent tous les côtés

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