institution de l'esclavage. Le droit de vie et de mort souvent accordé à l'autorité paternelle, les communs exemples du crime de l'exposition des enfans, le pouvoir des époux assimilé, sous beaucoup de rapports, à celui des pères, toutes les loix civiles enfin avoient quelque analogie avec le code abominable qui livroit l'homme à l'homme, et créoit entre les humains deux classes, dont l'une ne se croyoit aucun devoir envers l'autre. Cette base une fois adoptée, on n'arrivoit à la liberté que par gradation. Les femmes pendant toute leur vie, les enfans pendant leur jeunesse, étoient soumis à quelques conditions de l'esclavage. Dans les siècles corrompus de l'empire romain, la licence la plus effrénée avoit arraché les femmes à la servitude par la dégradation; mais c'est le christianisme qui, du moins dans les rapports moraux et religieux, leur a accordé l'égalité. Le christianisme, en faisant du mariage une institution sacrée, a fortifié l'amour conjugal, et toutes les affections qui en dérivent. Le dogme de l'enfer et du paradis annonce les mêmes peines, promet les mêmes récompenses aux deux sexes. L'évangile qui commande des vertus privées, une destinée obscure, une humilité pieuse, offroit aux femmes autant qu'aux hommes les moyens d'obtenir la palme de la religion. La sensibilité, l'imagination, la foiblesse disposent à la dévotion. Les femmes devoient donc souvent surpasser les hommes, dans cette émulation de christianisme qui s'empara de l'Europe durant les premiers siècles de l'histoire moderne. La religion et le bonheur domestique fixèrent la vie errante des peuples du nord; ils s'établirent dans une contrée, ils demeurèrent en société. La législation de la vie civile se réforma selon les principes de la religion. C'est donc alors que les femmes commencèrent à être de moitié dans l'association humaine. C'est alors aussi que l'on connut véritablement le bonheur domestique. Trop de puissance déprave la bonté, altère toutes les jouissances de la délicatesse; les vertus et les sentimens ne peuvent résister d'une part à l'exercice du pouvoir, de l'autre à l'habitude de la crainte. La félicité de l'homme s'accrut de toute l'indépendance qu'obtint l'objet de sa tendresse ; il put se croire aimé; un être libre le choisit; un être libre obéit à ses desirs. Les apperçus de l'esprit, les nuances senties par le cœur se multiplièrent avec les idées et les impressions de ces ames nouvelles, qui s'essayoient à l'existence morale, après avoir long-temps langui dans la vie. Les femmes n'ont point composé d'ouvrages véritablement supérieurs; mais elles n'en ont pas moins éminemment servi les progrès de la littérature, par la foule de pensées qu'ont inspirées aux hommes les relations entretenues avec ces êtres mobiles et délicats. Tous les rapports se sont doublés, pour ainsi dire, depuis que les objets ont été considérés sous un point de vue tout-àfait nouveau. La confiance d'un lien intime en a plus appris sur la nature morale, que tous les traités et tous les systêmes qui peignoient l'homme tel qu'il se montre à l'homme, et non tel qu'il est réellement. La pitié pour la souffrance devoit exister de tous les temps au fond du coeur: cependant une grande différence caractérise la morale des anciens, et la distingue de celle du christianisme; l'une est fondée sur la force, et l'autre sur la sympathie. L'esprit militaire, qui doit avoir présidé à l'origine des sociétés, se fait sentir encore jusques dans la philosophie stoïcienne; la puissance sur soi-même y est exercée, pour ainsi dire, avec une énergie guerrière. Le bonheur des autres n'est point l'objet de la morale des anciens; ce n'est pas les servir, c'est se rendre indépendant d'eux, qui est le but principal de tous les conseils des philosophes. La religion chrétienne exige aussi l'abnégation de soi-même, et l'exagération monacale pousse même cette vertu fort au-delà de l'austérité philosophique des anciens; mais le principe de ce sacrifice dans la religion chrétienne, c'est le dévouement à son Dieu ou à ses semblabes, et non, comine chez les stoïciens, l'orgueil et la dignité de son propre caractère. En étudiant le sens de l'évangile, sans y joindre les fausses interprétations des prêtres, on voit aisément que l'esprit général de ce livre, c'est la bienfaisance envers les malheureux. L'homme y est considéré, comme devant recevoir une impression profonde par la douleur de l'homme. Une morale toute sympathique étoit singulièrement propre à faire connoître le cœur humain ; et quoique la religion chrétienne commandât, comme toutes les religions, de dompter ses passions, elle étoit beaucoup plus près que le stoïcisme de reconnoître leur puissance. Plus de modestie, plus d'indulgence dans les principes, plus d'abandon dans les aveux, permettoient davantage au caractère de l'homme de se montrer; et la philosophie, qui a pour but l'étude des mouvemens de l'ame, a beaucoup acquis par la religion chrétienne. La littérature lui doit beaucoup aussi dans tous les effets qui tiennent à la puissance de la mélancolie. La religion des peuples du nord leur inspiroit de tout temps, il est vrai, une disposition à quelques égards |