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ploierons désormais les mots raison, intelligence et bon

sens.

La mémoire. La mère montre une chose à son tendre élève pour la lui faire saisir par la pensée, et elle cherche à y rattacher le mot comme signe de rappel. De cette manière la mémoire des mots n'est pas sans la mémoire des choses, et désormais celles-ci viendront se peindre devant la pensée, dès que leurs symboles frapperont l'oreille, ou se présenteront à la vue. Le maître de langue peut y compter; mais qu'il sache bien que, dès que ses leçons dépassent le vocabulaire apporté de la famille, il est dans l'obligation de faire connaître les objets signifiés, pour en faire connaître les signes.

La mémoire est toujours la faculté des souvenirs; mais cette faculté fait un double travail. Toujours active, elle reproduit incessamment le passé; mais, docile à nos ordrés, elle interrompt les chaînes, pour nous remettre sous les yeux ce que nous lui demandons. Cette double fonction de la mémoire est d'un grand intérêt pour les instituteurs, et ils doivent en tirer parti.

La mémoire est d'abord une espèce de magasin où se rassemblent d'elles-mêmes les diverses perceptions des sens et les diverses pensées qui ont été précédemment conçues. La puissance des souvenirs est toujours proportionnelle à la vivacité des impressions éprouvées, et à l'intérêt qu'elles ont inspiré. Tout le reste est comme écrit sur le sable mobile, s'efface bien vite, et ne laisse pas de traces.

Or les souvenirs ne s'entassent pas pêle-mêle dans le trésor qui les conserve. Ils s'y lient, et s'y rangent en bon ordre; et c'est ce que la science de l'âme a nommé l'association naturelle des idées. Cette association se fait d'abord par rang de date, en sorte que les choses simultanées restent réunies comme sur un point, et que les choses successives se tiennent comme par la main dans l'ordre de leur succession. Les souvenirs s'associent aussi sous le rapport du lieu, en sorte que les objets, formant un voisi

nage plus ou moins étendu, se lient entre eux, et se rappellent mutuellement sans se quitter. Nous entendons prononcer le nom d'un lieu quelconque, d'un hameau, d'une ville, d'un pays, et ce que nous en avons appris se présente en foule devant nous. Nous n'avons qu'à choisir dans la multitude. Une autre association est formée par la ressemblance des objets qui se rapprochent naturellement. Par un procédé contraire l'un rappelle celui qui contraste avec lui, et c'est ainsi par exemple que la pusillanimité amène l'idée du courage, et la libéralité celle de l'avarice, etc. La lumière veut ici trancher avec l'ombre, et l'ombre avec la lumière.

Il y a encore une loi qui régit l'association des idées, et celle-ci est le produit de notre volonté. Répétez fréquemment une série donnée de pensées ou même de mots, et la mémoire vous la rendra dans le même ordre. Vous pouvez aussi rattacher des souvenirs à un objet de votre choix. Il ne s'agit que de les rapprocher plusieurs fois de cet objet, et vous ne pourrez le voir ou y penser désormais, sans que les souvenirs accessoires vous reviennent à l'esprit. L'association des idées que la nature de l'esprit fait pour nous, offre de grandes ressources dans l'éducation; mais la plupart des instituteurs ne les connaissent pas. Ils font apprendre par cœur pour faire réciter, et voilà tout. Ils devraient au moins avoir l'attention de ne faire apprendre de mémoire que ce que les enfants comprennent. Ils faciliteraient par là leur travail, ils le rendraient bon à quelque chose, et n'insulteraient pas dans l'enfant à la dignité de l'homme.

Si l'on parle d'une reproduction spontanée de la mémoire, on n'exclut pas par là tout concours de la volonté. Il faut bien qu'elle fasse un choix parmi la multitude des souvenirs qui lui sont présentés à la fois; mais souvent elle est si paresseuse, qu'elle se laisse aller à quelque objet saillant qui l'attire, et qui la retient, jusqu'à ce qu'un autre vienne se placer en lumière, et la captive à son

tour.

Autre chose est, lorsque la mémoire reçoit l'ordre d'arrêter son action pour ne reproduire que ce qu'on lui demande. Elle obéit. Ce qu'il y a ici de bien remarquable, c'est que nous sommes à même de vérifier si elle nous a bien servis, et de nous dire : « C'est cela même. » Il se fait donc une comparaison dans toute réminiscence. Nous comparons l'idée que la mémoire vient de nous fournir avec cette même idée que nous avons eue autrefois. Cette idée précédente ne s'était donc pas effacée en nous; autrement comment la vérification, comment la reconnaissance se ferait-elle? Elle n'était qu'éloignée de nos regards, et, pour la rendre de nouveau présente, il ne s'agissait que de la rapprocher de notre vue. Il y a plus; chaque fois que nous cherchons à nous rappeler une chose, nous en avons en ce moment même l'image devant nous; mais une image si obscure, si confuse, que nous ne pouvons pas en distinguer les traits. Enfin par des efforts sur nousmêmes que nous ne saurions rendre avec nos paroles, un rayon vient éclairer cette image, et elle est reconnue pour être celle qui était comme égarée, sans être perdue, et que nous désirions de ravoir. Une autre fois l'objet même est devant nos yeux. Nous croyons y trouver une ancienne connaissance, mais nous en avons oublié le nom, ou bien nous ne savons pas en quel temps, en quel lieu nous l'avons vu autrefois. Nous cherchons ce que nous voudrions pouvoir nous rappeler. Nos tentatives sont quelquefois infructueuses; d'autres fois elles nous réussissent, et le passé vient s'unir au présent. Ce sont comme deux amis qui se rencontrent, et qui se reconnaissent. La rencontre et la reconnaissance se font en nous-mêmes et par nous, et celui qui reconnaît a déjà connu. En nous ressouvenant nous ne faisons que placer en lumière ce qui était encore en nous, mais à l'écart et dans l'ombre 1.

1 Ceux qui placent la mémoire dans le cerveau et non pas dans le moi pensant et voulant, reconnaîtraient bientôt leur erreur, s'ils voulaient faire attention à ces divers faits qui se renouvellent sans cesse dans la vie.

La mémoire est nécessaire à l'esprit dans toutes ses fonctions. Non-seulement il ne saurait penser sans elle, mais sans elle il ne peut pas même avoir une perception tant soit peu claire d'un objet qui vient frapper les sens : car la clarté, même en ce genre, exige des comparaisons, et les comparaisons ne se font pas sans souvenirs. Les instituteurs ont donc raison d'insister sur la culture de la mémoire; mais nous leur demandons, au nom de l'enfance, de cultiver comme but la mémoire des choses, et de ne faire qu'un moyen de la mémoire des mots. Cela seul est dans l'ordre. La première maîtresse de langue ne s'en écarte pas car elle montre d'abord la chose, et elle y rattache le mot comme signe de rappel.

L'imagination. Je prends ce mot dans sa signification la plus resserrée, afin de ne pas confondre son domaine avec celui des autres puissances intellectuelles. L'imagination invente, c'est sa fonction. Pour inventer elle combine autrement les divers matériaux que l'expérience lui a fournis, car il ne lui est pas donné d'en créer. Il n'y a qu'un Créateur dans l'univers.

Elle se montre d'abord dans les beaux-arts, dans la poésie, la musique, la peinture, etc. Ici elle cherche à produire le beau, qui au fond est l'harmonie de toutes les parties d'une composition quelconque. Elle travaille donc aussi sous l'influence de la raison, et lorsqu'elle est fidèle à toutes ses inspirations, elle s'élève toujours à des conceptions nobles et sublimes. Mais souvent elle se met au service de quelque inclination mauvaise ou de la légèreté. Ainsi l'art se profane; il peut produire du neuf et de l'agréable, mais il a perdu le véritable beau.

L'imagination a un autre champ, celui des inventions de tout genre dans le vaste domaine de la physique, au profit des besoins et des agréments de la vie, et pour l'avancement de la science. Dans les temps antiques elle a inventé l'écriture, beaucoup plus tard l'imprimerie, et plus tard encore la lithographie. Nous lui devons le prisme, qui décompose la lumière en sept couleurs primitives, puis

le microscope et le télescope, qui nous donnent des nouvelles de deux mondes inaccessibles à l'œil désarmé. La pensée se perd dans le dénombrement des inventions utiles. La science les a précédées, quelquefois le hasard, mais c'est toujours l'imagination qui a combiné les moyens.

Elle se montre déjà dans l'âge tendre; car, si le petit enfant veut faire preuve de sa force en détruisant, il aime aussi à produire à sa manière du neuf et du beau. Voyez comme il range ses petits soldats, ses maisonnettes, ses moutons, etc., et comme il se réjouit de ses combinaisons nouvelles. Il appelle sa mère, pour qu'elle en jouisse à son tour.

L'imagination, comme tout ce que le Créateur a mis dans la nature humaine, doit être cultivée dans l'éducation; mais elle doit en même temps être soumise à une sévère discipline, car elle est très-sujette à s'égarer. Elle rêve souvent en plein jour, et, écartant le réel, elle poursuit de vains fantômes, au détriment du rêveur, de ceux qui l'entourent, et quelquefois de la société elle-même. Ce n'est pas à tort que dans cette circonstance on l'a appelée la folle du logis. Outre des fantômes l'imagination peut aussi quelquefois, si elle n'est pas bien disciplinée, produire des images séduisantes qui entraînent la volonté vers le mal, et gâtent le cœur. Mais d'un autre côté aussi elle est capable de nous en peindre vivement d'autres qui élèvent l'âme, qui l'ennoblissent, et la fortifient pour le bien.

C'est aussi au moyen de l'imagination que nous nous transportons en pensée dans nos semblables pour éprouver leurs besoins et leurs maux, pour partager leurs bonnes qualités et leurs plaisirs, et pour fondre ainsi notre vie dans la leur. En cela l'imagination rend à la morale un éminent service; car elle vient au-devant des deux grands commandements de la charité, et l'éducation a le plus grand intérêt à utiliser son secours.

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