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une route plus humaine, plus belle et plus sûre, en associant ses jeunes disciples à la création du langage. Et comment s'est-il fait que les grammairiens de la jeunesse ne l'aient pas suivie avec empressement?

Il est certain que, du commencement à la fin, les enfants peuvent mettre du leur dans les leçons de langue maternelle, dès qu'elles suivent le développement naturel des facultés. Une fois éveillées par quelques indications simples et précises, puis soutenues par plusieurs exemples sagement choisis, ces facultés sont à même de produire beaucoup de leur propre fond, et de faire par la pratique la meilleure et la plus durable des grammaires; car nous ne savons bien que ce que nous avons appris de nousmêmes.

Ces grammaires de la jeunesse qui dominent aujourd'hui, ne l'associent nullement à la création du langage. Toutes lui font redresser des fautes de diction et d'orthographe, et l'une d'entre elles lui fait de plus traduire, c'est-à-dire conjuguer une proposition ou une phrase qui lui est donnée à la première personne du singulier, pour la faire passer par toutes les autres. Elle encore l'attention, dans son questionnaire coupé par tranches, de ne faire que la demande, et de laisser aux élèves le soin d'y répondre avec leurs propres paroles. Hors cela, ils n'ont rien à mettre du leur: aucune proposition, aucune phrase à inventer, et encore moins quelque composition suivie à trouver et à rédiger.

La grammaire prend l'engagement d'apprendre à parler et à écrire correctement la langue. Est-ce donc ainsi qu'elle tient parole? Mais terminons ici une critique que nous n'avons entreprise que par nécessité et à regret, parce qu'il le fallait pour frayer le chemin à une meilleure méthode que nous avons devant les yeux et au fond de l'âme. Avant de finir nous devons cependant ajouter, et nous le faisons avec une vive satisfaction, que la pensée de ces améliorations et de ces réformes se montre déjà dans plusieurs grammaires classiques en usage dans les

écoles françaises. Leurs auteurs y sont entrés sur plusieurs points dans la voie du progrès, en se dégageant franchement de la routine. Nous nous plaisons à citer entre autres noms ceux de M. Vanier (Grammaire pratique), de M. Dupont (Grammaire mise à la portée de l'enfance), de MM. Taillefer et Gillet - Damitte (Synthèse logique), de M. Bescherelle, etc.

CHAPITRE III.

ESQUISSE DE MON COURS DE LANGUE MATERNELLE AVEC DES RÉFLEXIONS JUSTIFICATIVES.

L'enseignement que j'avais enfin établi dans mon ancienne école, a déjà été indiqué plus haut (LIVRE II, Chap. I, S 4), mais seulement à grands traits, pour préparer ce qui allait suivre. Maintenant j'ajouterai quelques développements à cette première ébauche, afin d'avoir l'occasion de motiver mieux les procédés que j'ai suivis. Je ne considérerai encore l'enseignement de la langue que du point de vue grammatical; mais tout lecteur réfléchi pourra pressentir qu'un enseignement ordonné de la sorte doit nécessairement devenir par sa forme, en même temps vaste et progressive, ainsi que par les exercices qui s'y rattachent partout, une gymnastique intellectuelle proportionnée tout à la fois à la portée et aux besoins de l'enfance.

C'est la syntaxe qui est la partie principale de l'enseignement régulier de la langue : car c'est elle qui combine les mots pour exprimer des pensées plus ou moins étendues. Le vocabulaire et la conjugaison travaillent dans son intérêt; le premier lui fournit les mots dont elle compose les propositions et les phrases, l'autre lui donne les formes diverses du mot par excellence, du verbe, et leur emploi pour exprimer les personnes, les temps et les modes, ou les inflexions particulières qui rendent la certitude, le doute, le désir, etc.

Notre syntaxe est divisée en trois parties progressives, savoir syntaxe de la proposition, syntaxe de la phrase (de deux propositions), et syntaxe de la période ou phrase de plusieurs propositions. En voici l'exquisse.

I.

Syntaxe de la proposition.

Le nom, l'article et l'adjectif en accord.

La proposition simple aux temps simples de l'indicatif; sujet, verbe, objet ou attribut.

La même proposition dans les formes négative, interrogative, impérative et passive.

La même aux temps composés de l'indicatif. Accord du participe.

La proposition composée au moyen d'un terme.

La même au moyen d'un infinitif et de son accompagnement.

La même au moyen de déterminatifs de lieu, de temps, de manière, de quantité, d'objet, d'exclusion et de restriction. Prépositions et adverbes correspondants.

Récapitulation dans des conversations d'une mère avec sa jeune fille.

Proposition composée au moyen de déterminatifs de raison, de fin, de remplacement, de compagnie, de condition, de comparaison, de proportion et de croyance. Prépositions et adverbes correspondants.

Récapitulation dans des conversations de la mère avec sa jeune fille.

Proposition composée avec des noms à complément et des noms composés.

La même avec adjectifs à complément.

Idiotismes, ellipses et pléonasmes dans la même proposition.

Récapitulation dans des conversations de la mère avec sa jeune fille.

Inversions et locutions figurées dans la même proposition.

Proposition complexe par le sujet, l'objet ou quelque autre partie.

Récapitulation dans des textes suivis sur différents sujets.

Il ne faut pas être très-versé dans l'art de l'enseignement pour voir d'un coup d'œil que l'exquisse précédente embrasse toute la syntaxe de la proposition, et que sa marche est rigoureusement progressive, sans lacunes comme sans bonds. Je m'en rapporte avec confiance au jugement des connaisseurs, et je vais relever quelques autres points.

1o Les grammaires de mots confondent dans leur enseignement les propositions avec les phrases. C'est contre la règle fondamentale de la méthode. Elle commande un développement régulier, allant pas à pas du simple au composé. Une grammaire d'idées s'attache rigoureusement à cette règle, tandis que l'autre, ne chassant qu'aux mots, la viole du commencement à la fin. Aussi travaille-t-elle avec bien peu de succès auprès de l'enfance, qui est si près de la nature, et qui ne peut se reconnaître dans un enseignement qui la contrarie.

2o La syntaxe ci-dessus est pratique d'un bout à l'autre. Elle commence toujours par les faits pour en venir aux notions et aux règles. Après les observations convenables sur une proposition quelconque, elle présente aux élèves une série d'exemples analogues, pour les leur faire répéter, analyser, et pour leur donner ainsi, avec.connaissance de cause, l'habitude d'expressions convenables. Chaque fois encore elle fait inventer par imitation, mettant ainsi la dernière main à ce travail entièrement pratique.

3o Il est aussi de règle chez nous que les élèves doivent rendre compte du sens des propositions, avant d'en commencer l'analyse. C'est au maître à juger où il devra demander ou donner cette explication préliminaire. Au début le second cas se présentera fréquemment; car faire. comprendre la langue qu'il veut. enseigner, est évidemment le premier de ses devoirs, bien que les grammairiens ne s'en soient guère occupés.

4o Nos grammaires en vogue, il faut le redire, confondent sous la dénomination commune de régime ou de complément indirect les éléments les plus divers de la pensée et de l'expression. Est-ce là faire comprendre la langue pour apprendre à la parler et à l'écrire correctement? Nous avons totalement supprimé le mot de régime, mot qui n'est pas à la portée de l'enfant, et que les grammaires ont cherché à remplacer par celui de complément, mot qui est beaucoup plus intelligible. Mais cette dénomination, nous l'avons réservée à un autre usage. Nous l'employons pour désigner les explications que les noms et les adjectifs amènent à leur suite, pour compléter au besoin leur signification.

Nous appelons objet dans la proposition la partie qui s'attache immédiatement au verbe et répond à la question quoi? Le mot est bref. Il rend la chose, car la réponse à cette question est bien réellement l'objet sur lequel porte immédiatement l'action exprimée par le verbe. Je ne tardai donc pas à me servir d'une dénomination si convenable, et dernièrement, en feuilletant la Grammaire générale de l'abbé Sicard, je trouvai avec plaisir qu'il expliquait aussi par objet d'action ce que l'usage nomme régime ou complément direct. Le même auteur appelle aussi la désinence des noms latins répondant à la question à qui? ou à quoi? le cas terminatif. Au delà de l'objet il avait donc aussi trouvé un terme de l'action, placé en seconde ligne, comme dans cette proposition: « La fille offrit (quoi?) une rose (à qui ?) à sa mère. Le mot terme, dont je me suis servi de bonne heure et avec avantage dans mes leçons, exprime donc bien la chose. Il est au surplus bref et promptement saisi par les enfants.

C'est Beauzée qui a introduit dans la grammaire les divers déterminatifs, pour pouvoir différencier les diverses circonstances de temps, de lieu, de quantité, etc., que les grammaires vulgaires confondent sous le nom commun de compléments indirects; parce qu'ils sont ordinairement amenés par des prépositions. L'abbé Gaultier qui visait

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