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prendrons l'une après l'autre les tendances naturelles que nous avons précédemment signalées, et nous dirons quel parti le Cours de langue doit en tirer pour remplir la belle tâche qu'il s'impose. Ici nous commencerons par la tendance morale, parce que c'est elle qui nous a été donnée par le Créateur pour régler toutes les autres et les mettre en harmonie.

CHAPITRE IV.

CULTURE DE LA TENDANCE MORALE AU MOYEN DU COURS DE LANGUE MATERNELLE.

En parcourant nos facultés intellectuelles, nous avons signalé un domaine moral où le bien et le mal, où le juste et l'injuste se séparent dans notre pensée comme le jour et la nuit. La séparation se fait d'après le grand principe de l'harmonie qui nous est inné, et qui constitue en partie la raison de l'homme (Livre III, chap. 1).

Venant plus tard aux tendances qui toutefois naissent aussi avec nous, mais qui ne peuvent se développer qu'avec la vie, nous en avons constaté une qui correspond au domaine moral de la pensée. Cette noble tendance se compose de l'amour du bien, et du respect pour le bien; affections qui sont accompagnées d'un sentiment hautement remarquable, celui du devoir et du mérite (Livre IV, chap. II).

Comme il s'agissait de cultiver la tendance morale dans ses élèves, le Cours éducatif de langue maternelle avait une double tâche à remplir. Il devait d'un côté éclairer en morale l'intelligence encore très-bornée des enfants, puis fortifier en eux l'empire de la conscience. C'est là ce qu'il a tâché de faire, comme on va le voir. Avant d'entrer en matière, nous ne devons pas oublier de dire que dans la première partie de la syntaxe (chap. XIV), nous avons placé un entretien de la mère avec la jeune fille sur la conscience. C'est l'explication de ce mot plein de sens et une introduction à tout ce qui va suivre en ce genre.

PREMIÈRE SECTION.

DÉVELOPPEMENT DE L'INTELLIGENCE MOrale.

Pour l'obtenir il y avait trois choses à faire. Il fallait rendre les enfants attentifs aux mouvements secrets de l'âme et étendre sur eux le domaine moral. En second lieu il fallait les familiariser avec les idées d'où partent les ordres de la conscience; puis il s'agissait encore d'exercer son jugement moral. Nous allons reprendre ces trois points, l'un après l'autre.

§ I. Étendre le domaine moral sur les secrets mouvements

de l'âme.

Nous agissons comme nous aimons. Voilà une grande et profonde vérité, que le Cours éducatif de langue est chargé de faire bien connaitre à ses élèves, et il ne manque pas à son devoir.

Longtemps l'attention de l'enfant n'est tournée que vers les objets extérieurs dont les sens lui donnent constamment des nouvelles. Elle va où la conduisent la vue, l'ouïe, le tact, l'odorat et le goût, et ces sens dirigent toujours la pensée au dehors du moi Ainsi une fois que la conscience commence à poindre, elle n'a d'abord que la même direction, les mêmes objets sensibles. On peut dire qu'elle ne se meut que dans un matérialisme moral, où les notions et les paroles sont tout, et où les affections ne sont rien encore, parce qu'elles ne sont pas encore aperçues.

La nation juive en était presque entièrement là, lorsque le divin Maître a paru au milieu d'elle. Les docteurs qui se glorifiaient d'avoir à eux seuls la clef de la science, étaient tout aussi aveugles que la multitude, qu'ils méprisaient comme la boue, et qui pourtant en partie valait mieux que ses guides aveugles et superbes. L'histoire évangélique nous prouve à toutes les pages que si elle n'avait pas encore ouvert les yeux à la lumière, elle n'a

vait pas étouffé en elle les sentiments de la vérité et du bien.

La nation juive était fière d'être la seule au monde qui n'adorait qu'un seul Dieu, Créateur du ciel et de la terre. Mais comment croyait-elle l'honorer? Par des louanges que le cœur ne lui dictait pas, et qui n'y produisaient rien. Lui faisait-on le sacrifice de quelque passion mauvaise? Non, on lui offrait les animaux et les présents ordonnés par la loi, et ceux qui se piquaient d'une plus grande piété, ajoutaient à la dîme prescrite des céréales celle des plus petites graines de leurs jardins.

Les aumônes cédées à l'importunité de la misère étaient des bonnes œuvres, mais la charité qui va au-devant des hommes, qui prend intérêt à eux et se dévoue, la charité, dis-je, était entièrement inconnue. On craignait de se souiller par de certains aliments, et l'on s'abandonnait sans le moindre scrupule à toutes les impuretés de l'âme. En un mot, on mettait grand soin à nettoyer l'extérieur du vase, comme s'est exprimé le Sauveur; mais sans s'inquiéter des souillures qui se trouvaient au dedans. Telle était la morale du peuple juif.

Elle est sans contredit beaucoup moins matérielle chez nous, où la parole divine se fait constamment entendre. Elle agit même sur ceux qui ne l'écoutent pas, parce qu'elle est entrée plus ou moins dans la pensée publique, dont ils ne peuvent se défendre entièrement. Cependant la multitude que l'on n'a pas eu soin d'instruire dès l'enfance, est encore beaucoup trop engagée dans le domaine des sens, où nous naissons tous, et sa morale n'est encore que trop peu spirituelle.

Le Cours de langue a pris grand soin d'amener en général l'attention de ses élèves sur l'invisible moi, sur sa nature et ses mouvements. Faire distinguer l'âme de ses organes est une chose dont il s'est beaucoup occupé. Pour ne rien dire des propositions et des phrases isolées à expliquer dans les exercices, nous citerons des récapitulations où l'importante matière est plus ou moins développée

d'office. Dans la première partie de la syntaxe il y a une conversation de la mère avec sa jeune fille sur la différence entre l'âme et le corps (chap. XIV); et une autre sur la conscience (ibid.). Plus loin (chap. xv) il se trouve un soliloque sur le même sujet. Dans la deuxième partie de la syntaxe on lira neuf conversations d'une mère avec son fils, où la distinction des esprits et des corps est établie par le raisonnement (chap. XIII), et dans la conjugaison correspondante (chap. VIII) il y a une psychologie de l'enfance dont l'effet doit être d'autant plus grand que les pensées seront énoncées à toutes les personnes après les explications correspondantes.

Par les exercices que nous venons d'indiquer, le Cours de langue dirige puissamment l'attention de ses élèves sur l'âme, ses facultés, ses mouvements divers et sa vie. Partout d'ailleurs, dans ses propositions isolées, ses phrases et ses périodes, il relève le bien et le mal dans ce que le cœur dit tout bas, et les actions bonnes et mauvaises y paraissent, ce qu'elles sont en effet, comme les fruits et les manifestations des affections du cœur.

Il est entendu qu'en faisant mesurer aux élèves le domaine moral, il leur fait étendre dans la même proportion le domaine de leur liberté. Il les empêche par là de rejeter sur leur nature ou sur autrui les fautes et les vices dont ils sont eux-mêmes les auteurs. L'enfant répugne à s'avouer coupable et il se fait volontiers illusion sur ce point. Il faut donc prévenir cette illusion où elle n'est pas et la détruire où elle est; parce qu'elle émousse le repentir, et empêche l'amendement qui doit en être le résultat.

§ II. Familiariser les élèves avec les motifs d'où partent les ordres de la conscience.

La conscience, comme nous l'avons vu plus haut, part de motifs qui ne sont pas pris dans les suites agréables ou désagréables que peuvent avoir nos actes et nos affections, mais dans les rapports que nous soutenons avec les objets de notre activité.

S'agit-il de nos devoirs envers la Divinité? elle puise ses ordres dans ses grandeurs, dans ses bienfaits, dans les soins de sa providence, et elle conclut à l'hommage de respect, de gratitude et de confiance qui lui revient de notre part. Pour nous prescrire les devoirs généreux de l'humanité, elle s'appuie sur l'identité de nature et de destination qui se retrouve dans tous les hommes, ainsi que sur la dignité d'enfants de Dieu qui leur est commune avec nous. Quant aux devoirs envers nous-mêmes, elle part de l'âme, de sa dignité immortelle et formée à l'image de son Créateur, puis de la mortalité de son enveloppe et des services qu'elle doit rendre à son hôte, etc.

C'est ainsi que sont motivés tous les ordres de la conscience. Ses motifs, comme on le voit, n'émanent point de la tendance personnelle qui, animée de l'idée de notre propre bien-être, calcule tout sur nos intérêts. Ils sont au contraire totalement désintéressés, exprimant, sans avoir égard à nos bénéfices et à nos pertes, ce que sont par rapport à nous les objets que ces ordres concernent. Ces ordres d'ailleurs nous commandent ce qui est en accord avec leurs motifs, et ils nous défendent tout ce qui dans nos affections et notre conduite ne se trouverait pas en correspondance avec eux.

Il en est de même de tous les devoirs particuliers de famille, d'état, de condition et de circonstance que la conscience nous proclame au fond de l'âme. Toujours ses motifs sont purs, c'est-à-dire, dégagés de toute vue intéressée. Ils n'énoncent que les rapports qui existent entre les parents et leurs enfants, entre les instituteurs et leurs élèves, entre les maîtres et les serviteurs, entre l'État et les citoyens, entre les magistrats et les administrés, etc., et dans tous les ordres qui nous arrivent de la loi intérieure, il y a si peu de calculs d'intérêt personnel, qu'il y est beaucoup plus souvent contrarié qu'on ne le voudrait bien. Ne commandent-ils pas fréquemment des privations et des sacrifices?

Du commencement à la fin le Cours de langue prend

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