Images de page
PDF
ePub

merveilleusement préparé son travail. C'est aussi par imitation que l'enfant apprend à parler, toutefois après bien des essais, et en cela il ne répète que trop souvent, même sans le comprendre, ce qu'il entend dire par d'autres. C'est le perroquet, le geai, le sansonnet, qui redisent nos mots sans y attacher nos idées.

A mesure que l'enfant se développe, il imite moins servilement; parce qu'il apprend à penser, à choisir, et même à inventer. Cependant le penchant à l'imitation ne l'abandonnera pas plus que celui qui le porte à croire sur le témoignage d'autrui. Toujours il vivra plus ou moins d'une vie d'emprunt; et c'est ainsi que le Créateur a étroitement lié des êtres qui sous ses yeux doivent former une seule famille.

Le penchant naturel à l'imitation ne restera pas inactif, lorsque nous lui présenterons le modèle tout à la fois le plus sublime et le plus inspirant, celui du Sauveur des hommes et du tendre ami des enfants.

La reconnaissance, la pitié et la bienveillance, puis le penchant à la croyance et à l'imitation, sont donc les nobles éléments dont se compose la tendance sociale. La tendance personnelle prend les devants. Cette priorité dans le développement est nécessaire car il faut bien que nous ayons acquis pour notre compte la connaissance des biens et des maux pour pouvoir les sentir dans les autres et nous y intéresser. Ne blâmons jamais le Créateur; il a toujours raison, et c'est nous seuls qui avons tort.

Que la tendance personnelle devienne hostile aux hommes dans ses excès et ses déviations, ceci est aisé à comprendre; parce que les intérêts mal entendus se croisent, et se heurtent nécessairement dans la vie. Ce qui paraît surprenant au premier coup d'œil, c'est que la tendance sociale, qui est amour, enfante aussi l'envie, la jalousie, la haine et la vengeance. La raison en est qu'épousant avec autant de chaleur que d'aveuglement les intérêts des uns, elle renie sa nature en leur faveur, et tombe dans l'abjection de l'égoïsme sans être elle-même égoïste.

§ III. Tendance morale.

La tendance sociale a donc besoin d'une règle et d'un frein, tout comme celle qui nous porte vers nos intérêts personnels. Or cette règle nous est donnée, non-seulement dans la pensée qui distingue le bien du mal, mais encore dans le cœur qui estime et aime naturellement l'un, et repousse l'autre avec mépris et dégoût. C'est cette imposante disposition de notre nature que nous appelons sa tendance morale. Elle étend son empire à tout ce qui est libre en nous, et s'adresse à notre volonté pour la presser de régler sur le sentiment du bien nos mœurs, c'est-à-dire, toutes les habitudes intérieures ou extérieures qui dépendent de nous.

-

En parlant ci-dessus de la culture intellectuelle, nous avons dû entrer dans le domaine de la morale, pour relever le caractère essentiel qui nous sert à distinguer le bien du mal. Pour cela nous ne sommes point partis d'une théorie abstraite, toujours nébuleuse et souvent erronée; nous nous sommes tout uniment adressés au sentiment intime que nous avons de notre être. Là nous avons appris que l'accord de nos actions avec leurs objets caractérise le bien, tandis que la discordance constitue le mal. Maintenant il s'agit de trouver dans le cœur humain ce qui correspond à ces jugements moraux. D'abord nous y trouvons: L'amour du bien. Au simple récit d'une bonne action, d'un sentiment généreux, nous éprouvons tous un noble plaisir. On nous raconte un beau trait de piété filiale, d'amour de la patrie, d'une fidélité à toute épreuve, d'une innocence conservée au milieu des séductions ou d'un généreux pardon accordé à un ennemi, et ces traits nous vont droit au cœur ; nous aimons à les entendre, à nous les rappeler, et à les raconter à notre tour. Un enfant même les écoute avec un vif intérêt, son œil devient rayonnant, et il n'est pas rare d'y voir briller une larme. Les fictions en ce genre nous plaisent autant que la réalité. Nous savons que tout est de pure invention; n'importe, l'image du bien

venant à se peindre à la pensée, elle nous plaît, et nous attache. Elle nous attache même aux personnes dont les actions ou les sentiments nous présentent cette image. Nous aimons à les connaître de plus près, à les voir et à conserver d'elles quelque souvenir.

Le mal moral fait sur nous l'effet contraire; nous ne l'aimons pas, nous le haïssons. « Mais s'il en est ainsi, dira-t-on, d'où vient qu'on le fait si souvent? » La réponse se présente d'elle-même. Nous avons en nous d'autres penchants que celui qui nous porte au bien, et souvent ils se trouvent en opposition avec lui. Alors il faut choisir, et si, pour contenter quelque autre inclination, on se décide à faire le mal, ce n'est jamais qu'à regret. << Il n'est pas d'homme, comme l'a dit Sénèque, qui ne » consentît à recueillir les fruits du mal sans être obligé » de le commettre. » Aussi on se le dissimule autant que possible, et si on ne peut pas se le cacher à soi-même, on cherche au moins à le dérober à la connaissance d'autrui.

La curiosité peut bien nous engager à nous informer du mal; elle peut nous porter à lire les œuvres de Byron et des romanciers qui, à son exemple et sous la dictée d'un génie infernal, se sont plu à assombrir le tableau de la vie humaine, assemblant tous les vices et tous les forfaits, réels ou imaginaires, pour le noircir de plus en plus. Mais le mal reste le mal, et si l'habitude de le voir peut affaiblir l'impression qu'il fait naturellement sur nous, elle ne peut pas en détruire l'effet. Bien des lecteurs ne lisent que quelques pages de ces écrits, et les rejettent avec une profonde indignation. Mais revenons à nos enfants.

Voulez-vous juger des effets que produisent sur eux le bien et le mal, faites contraster ceux-ci dans vos récits. Peignez-leur l'innocente douleur d'Abel et la férocité de son frère Caïn; racontez-leur comment Joseph a pardonné à ses frères qui l'avaient vendu à des étrangers; placez le Sauveur au milieu de ses ennemis, et priant sur la croix pour eux; racontez, et vous verrez comment le plaisir et la douleur, l'amour et la haine, viendront tour à

tour se peindre dans leurs yeux et sur leurs traits. Permettez-leur d'exprimer leurs pensées, et ce n'est pas sans peine que vous réprimerez la colère que la vue des méchants allumera dans leur sein.

L'amour que nous inspire le bien, est tout à fait désintéressé. Voilà pourquoi les bonnes actions nous plaisent à proportion des sacrifices qu'elles exigent. Elles acquerront à nos yeux le plus haut prix, lorsque tout jusqu'à la vie leur sera sacrifié. C'est là l'héroïsme de la vertu qui est l'amour du bien par-dessus tout et en dépit de tout. D'un autre côté quelque avantageux que puissent être les résultats du mal pour une famille, le public, la patrie, il ne cesse pas pour cela de nous déplaire. Le brigand entretient sa femme et ses enfants par ses brigandages; mais son métier est-il pour cela moins atroce à nos yeux? Un traître peut être très-utile à notre patrie en reniant la sienne, mais la trahison changera-t-elle de nature pour cela? nous plaira-t-elle, et pourrons-nous l'aimer ?

Dans la nature humaine il en est de l'amour du bien comme de l'amour du beau et du vrai. Le bien et le beau ont la même racine dans nos pensées, nos affections et notre langage; tous deux nous offrent à leur manière une harmonie qui nous plaît, et qui nous attire. Dès lors s'il y a quelque chose de distingué dans le bien, nous disons: << Voilà un beau sentiment, une belle action, un beau » caractère. » Nous parlons aussi de la beauté de la vertu et de ses charmes. Dans le vice qui est l'habitude du mal, nous trouvons de la laideur, et au lieu de dire à un enfant: « C'est mal, » nous lui disons : « C'est vilain, c'est affreux, » et l'enfant comprend ce langage.

Le vrai est aussi une harmonie, l'harmonie de nos pensées avec leurs objets et entre elles. Et qu'est-ce que le bien, sinon le vrai mis en action, le vrai passant de l'esprit dans le cœur et la conduite? Le mal est aussi un langage de fait, mais un langage qui exprime une fausseté. L'enfant ingrat ne dit-il pas par son ingratitude : « Je ne dois rien à mes parents. » Et l'action du voleur n'exprime

t-elle pas ce mensonge: « C'est mon bien, et je le reprends. » Aussi dans le langage de l'Évangile les bons sont les enfants de la lumière, et les méchants sont les enfants des ténèbres; puis « faire la vérité et faire le bien » sont synonymes.

Les moralistes français nous parlent plus fréquemment de l'amour de l'ordre que de l'amour du bien. C'est la même idée exprimée différemment. L'ordre est là où l'harmonie se trouve. Que si jamais l'amour du bien pouvait animer la société, elle nous offrirait l'ordre le plus parfait, le spectacle touchant de cette Église primitive de Jérusalem, dont tous les membres n'avaient qu'un seul cœur et une seule âme.

Le respect pour le bien. Le bien n'a pas seulement une beauté qui nous plaît, mais de plus une imposante dignité qui nous commande le respect. Vous avez dans votre voisinage une famille obscure et laborieuse qui, pour pouvoir tendre la main aux nécessiteux, se prive des agréments de la vie. Pouvez-vous la voir; pouvez-vous y penser sans éprouver pour elle une profonde vénération? Et cette vénération, pouvez-vous l'accorder aux riches et aux puissants du siècle qui vivent dans l'éclat et la mollesse, toujours occupés à varier leurs plaisirs et laissant à d'autres le soin des affaires et des misérables? Vous sentezvous quelque respect pour ces hommes qui ne se sont pas encore élevés à la dignité humaine par de grandes pensées et de beaux sentiments? Que si ces hommes se permettent des iniquités dans leur intérêt, s'ils dépouillent leurs semblables, s'ils les immolent à leur vanité et à leur ambition, s'ils se font un jeu de la vérité et de la justice... Certes, ils habiteraient de magnifiques palais, ils marcheraient environnés des marques de l'autorité publique, que votre corps pourrait bien s'incliner devant eux, mais jamais votre cœur.

L'estime et le mépris prennent un caractère particulier, lorsque nous en devenons nous-même l'objet. Trouvonsnous le bien dans notre cœur et nos actions? nous nous

« PrécédentContinuer »