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qu'il est beau. Un modèle vivant parle au cœur, et il y parle autrement que ces idées de dignité, de perfection et de destination humaine qui à la vérité expriment quelque chose de grand, mais qui toujours restent suspendues dans le vague de la froide abstraction. Elles sont par là-même au-dessus de la jeune pensée. En général les hommes aiment à voir, et sous ce rapport les enfants sont doublement hommes.

CHAPITRE II.

CARACTÈRE DE L'ENFANCE, SES TENDANCES ET SES APTITUDES.

Il y a dans le cœur humain des tendances primitives qui, nées avec lui, ne périssent jamais. C'est d'elles que doit partir l'éducation pour le former dans l'âge tendre sur le beau et attrayant modèle que nous avons choisi. Mais comment démêler ces tendances naturelles des directions qu'elles ont prises sous l'influence de l'exemple et par le choix de la liberté ? Le triage n'est pas difficile à faire. D'abord les tendances naturelles ne peuvent être que bonnes, puisqu'elles sont l'œuvre du Créateur, et qu'elles sont destinées à retracer en nous son image. A notre naissance elles ne sont que des germes, et il faut que ces germes se développent bien, pour produire la vertu. Celle-ci ne peut pas naître avec nous; car elle doit devenir le produit volontaire d'un être intelligent qui sait distinguer le bien du mal, et qui, au milieu de toute espèce de séductions, s'attache fortement à tout ce qui est honnête et bon.

Un second caractère distinctif des tendances naturelles, c'est leur universalité; car la nature humaine nous étant commune, elles doivent, dès qu'elles ont eu le temps de se développer, se retrouver partout. Ainsi au moment où vous découvrez une direction qui est commune à toute l'espèce humaine, n'importe à quel point elle se manifeste, dites-vous: «Voilà la nature, voilà l'œuvre du Créateur. » La constance est un troisième caractère des tendances

naturelles au cœur de l'homme : car sa nature est plus forte que lui. Il ne l'a pas faite, et il ne saurait la changer. Ce qui est en son pouvoir, c'est d'en user ou d'en abuser à son gré, de se perfectionner ou de se pervertir. L'acquis seul est variable dans l'homme, comme il est divers; le naturel est constant.

Nous voici maintenant en mesure de faire en grand le triage dont nous avons besoin pour fixer le point de départ que nous cherchons. Nous commencerons par rayer du nombre des tendances naturelles tous les penchants hostiles, tels que l'envie, la jalousie, la vengeance et la haine. D'abord ces penchants sont mauvais, et la conscience qui nous est innée, les réprouve et les châtie par les remords et la crainte d'une punition bien méritée. Puis ces penchants ne sont point communs à tous les hommes: car il existe partout des cœurs doux, bienveillants et généreux qui s'affligent du mal qui arrive à autrui, qui se réjouissent du bien et le font, et qui portent le dévouement jusqu'au sacrifice. On retrouve là le feu sacré que le Sauveur est venu allumer sur la terre; mais ce feu ne prendrait pas, s'il était contre nature. Au surplus les affections haineuses sont variables; elles vont, elles viennent selon les circonstances, et celui qui s'y laisse aller sent fort bien qu'il ne dépendrait que de lui de se débarrasser d'elles et de leur poison.

Mais ces affections hostiles, d'où arrivent-elles au cœur humain? Elles sont enfantées par la sensualité, par la cupidité, par l'orgueil et l'ambition. Ces vices sont bien certainement le produit dès tendances naturelles, autrement ils ne trouveraient pas de place dans le cœur humain; mais ces tendances naturelles se sont égarées dans leur développement. Elles ont pris de fausses directions ou trop d'empire, et par là elles ont engendré des vices qui portent le désordre, le trouble et la honte dans l'intérieur de l'âme et dans le commerce de la vie. Ces vices n'ont aucun des caractères de nos tendances primitives, dont ils ne sont qu'autant de tristes déviations. Nous les

nommons passions, c'est-à-dire, des penchants impérieux qui, en nous dominant, nous tiennent dans un état passif, dans un esclavage aussi pénible que honteux; ils sont nos tyrans. Ils nous font souffrir, parce qu'ils violentent notre nature, et ils nous tourmentent encore par les affections hostiles qu'ils produisent, et qui sont autant de furies dévouées à leur service cruel. Le Sauveur est venu pour nous faire reconnaître cet esclavage intérieur, et pour nous donner en échange la liberté de l'âme; liberté auprès de laquelle tout ce que nous appelons de ce nom, n'est le plus souvent qu'un mot, parce que tout en étourdissant nos oreilles, ce mot n'a pas plus de retentissement dans la vie qu'il n'en a dans les cœurs 1.

Ayant retranché du nombre de nos tendances naturelles des penchants qui n'en sont que la dépravation, nous sommes à même d'aborder directement notre sujet. Nous distinguons dans le cœur humain, tel que le Créateur l'a formé, quatre mobiles primitifs qui ont chacun une direction qui leur est propre. Nous les nommons: Tendance personnelle, Tendance sociale, Tendance morale et Tendance religieuse. Poussés par la première, nous recherchons les intérêts particuliers de notre propre personne. La seconde, nous tirant hors de notre chétif individu sans l'effacer, nous intéresse au bien des compagnons de notre vie. La troisième, planant au-dessus des deux autres pour les régulariser, nous porte vers le bien, le juste, l'honnête. Nous pouvons toutefois lui refuser notre soumission, mais jamais l'estime et le respect. Enfin par la quatrième nous nous sentons élever vers l'invisible Auteur de notre vie et de l'univers, et nous éprouvons le besoin de nous attacher à lui.

Il s'agit maintenant de vérifier l'existence de ces ressorts, et d'en caractériser la nature et les développements. Ce n'est pas la science que nous cherchons ici, mais le profit de l'éducation.

En saint Jean, chap. vIII. En saint Mathieu, chap. XI.

§Ier. Tendance personnelle.

Elle recherche, avons-nous dit, les intérêts particuliers de notre personne; intérêts qui se réduisent à bien peu de chose à notre arrivée à la vie, mais qui s'étendent de plus en plus avec l'expérience, et vont se perdre dans l'infini.

Le nouveau-né ne connaît que les impressions physiques du moment. Il a faim, il a soif, il souffre, et il crie. Le mal a-t-il cessé ? il s'endort paisiblement, jusqu'à ce qu'une nouvelle incommodité vienne l'éveiller. Et c'est ainsi que la tendance personnelle est toute sensuelle à son début, et ne va pas plus loin que le moment qui fuit. Mais ce mobile naturel, d'abord si bas et si borné, se développe peu à peu avec l'expérience et la pensée, et n'ambitionne rien de moins que le bonheur, la possession de tout ce que l'on connaît de plus agréable, et une possession sans fin. Le bonheur est un idéal immense que chacun se forme pour soi et à son goût, sur les données de son expérience et le travail de son imagination.

Partout il est le but de la tendance personnelle qui par rapport à son objet se divise en quantité d'éléments divers. Nous pouvons cependant les ramener à deux chefs, et nous les appellerons l'amour du plaisir et l'amour de soi.

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L'amour du plaisir. Des sens qui nous enveloppent, il nous arrive constamment des impressions agréables ou désagréables. N'est-ce pas dire que nous aimons naturellement les unes, et que pour les autres nous avons une répugnance tout aussi indélébile qu'involontaire? Toutefois nous pouvons, jusqu'à un certain point, nous refuser les plaisirs des sens, et même nous soumettre à la douleur; mais il ne nous est pas donné de faire que la douleur nous plaise, et que le plaisir nous devienne désagréable. C'est par ces deux espèces d'impressions que le Créateur nous a intéressés à la conservation de cette enveloppe organique, dont dépend ici-bas le développement de toutes nos facultés et tout l'apprentissage de notre vie.

L'amour des jouissances sensuelles ne dépasse que trop

souvent la juste mesure et dégénère en sensualité; alors l'animal tue l'homme, et à force d'excès et de divergences, l'animal finit par se tuer lui-même.

Pour l'homme plus ou moins développé, il y a bien d'autres jouissances que celles des sens, et qu'il ne saurait s'empêcher d'aimer dès qu'il apprend à les connaître. Penser est un besoin pour l'esprit, puisque c'est sa vie ; et c'est aussi pour lui un plaisir. Ce plaisir est même indépendant des objets de la pensée; car n'est-il pas vrai que souvent nous aimons à réfléchir sur des maux passés, tout comme sur ceux que nous éprouvons encore?

Cependant ce ne sont pas des idées quelconques, qui peuvent nous satisfaire, mais c'est la vérité qu'il nous faut pour nous contenter, c'est-à-dire, l'accord de nos pensées avec leurs objets, et l'accord de nos pensées entre elles. L'ignorance, lorsque nous la découvrons en nous, nous fait rougir; et nos erreurs nous affligent, dès que nous venons à les reconnaître.

Si le vrai a des charmes pour nous, le beau a aussi les siens, une fois que nous sommes assez développés pour le sentir. Nous le goûtons dans les œuvres de la nature, dans celles de l'art et dans les productions de la littérature. Nous aimons même à le produire, cherchant à donner de la grâce à ce qui vient de nous. Le laid nous inspire du dégoût, et nous avons pour lui de la répugnance tout comme pour le faux.

C'est par l'amour du vrai et du beau que la tendance personnelle touche par ces nobles ressorts de notre être, aux tendances morale et religieuse; car tout se lie en lui qui au fond n'est qu'un et le même. La tendance sociale y trouve aussi son compte; car il nous est agréable de communiquer nos pensées à d'autres, et de recevoir les leurs en échange. De là cette curiosité que l'enfant montre presque au sortir du berceau, et qui n'abandonnera pas le vieillard.

L'amour des jouissances intellectuelles se nuance bien différemment chez nous d'après nos circonstances, et, s'il ne s'éteint jamais, il perd de sa vivacité à côté des besoins

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