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parce que les mots pris dans le sens d'usage n'en disent rien.

Mélange continuel.

Une instruction directe qui se compose de nombreux éléments, bien qu'en rapport entre eux, et qui au surplus commence partout par en donner de loin les menus détails, à charge de les rapprocher plus tard, une instruction de ce genre, dis-je, doit nécessairement présenter un mélange continuel d'idées diverses dont l'ensemble ne se montre pas à l'œil. Pour le découvrir il faut toute la sagacité et la prévoyance d'un instituteur réfléchi, qui connaît le mot d'ordre, et qui sait rapporter à un but commun ce qui n'a pas l'air de lui appartenir. Mais ce mélange dans un enseignement élémentaire et progressif n'est point un mal; puisque, comme nous venons de le voir, la mémoire fera le triage tout en formant ses groupes. Là chaque pensée, quel que soit le moment où elle est présentée dans les leçons, prendra à côté de ses sœurs la place qui lui convient; et ce qui, eu égard à la suite de l'instruction, peut présenter l'image de la confusion, se rangera de soi-même dans l'esprit de la jeunesse. Trop souvent nous ne pensons qu'aux procédés de l'art, et nous oublions que la nature en sait plus que lui. D'ailleurs le Cours de langue ne le repousse pas. Nonseulement il s'attache rigoureusement à ses directions dans le développement de la syntaxe; mais, dans l'intérêt de l'instruction directe, il ménage de loin en loin, pour les pensées d'une même famille, des points de réunion d'où sont exclues celles qui n'ont pas de liens de parenté avec elles.

Le mélange qui nous occupe a un avantage précieux auprès des enfants. Il répand sur leur instruction le charme de la variété, et ce n'est guère qu'à ce prix qu'ils nous accordent leur attention et leur travail. Maintes fois j'ai voulu en faire l'essai dans mon école, et même chez les élèves les plus avancés. J'avais choisi l'un des points de l'instruction directe, et je commençais à le développer, comme j'étais habitué à le faire dans une leçon de philo

sophie. On m'écoutait au début; mais bientôt les yeux s'en allaient ailleurs avec l'attention et les pensées. Pour les ramener à moi je me servais d'un moyen infaillible, c'était de faire entrer dans mon instruction quelque trait analogue de la vie, de l'histoire, de la nature. Ce trait, s'adressant à l'imagination, servait de passeport aux vérités que j'avais en vue, et j'y plaçais en même temps un signe de rappel. N'est-ce pas ainsi que le divin Maître s'y prenait dans son école ? C'est par suite des expériences et des réflexions faites à ce sujet que je rattachai la doctrine évangélique à la géographie sur une carte de la Palestine dans le commencement de notre ère. Les élèves voyageaient avec le Sauveur, recueillant les faits de sa vie et répétant les principales paroles qui étaient sorties de sa bouche en tel ou tel autre endroit. Une carte de l'Asie mineure et d'une partie de l'Italie, dessinée pour cet usage particulier, servait à suivre l'apôtre des nations dans ses voyages et à recueillir ses lecons. L'instruction directe était ainsi revêtue de la variété que nous demandent les enfants pour prix de leur attention.

Toutefois il est vrai que l'éducation doit tâcher de fixer leur légèreté native et de les habituer à s'arrêter à un même objet, pour le connaître dans tous ses rapports; mais ce résultat ne peut s'obtenir qu'insensiblement. Il faut les intéresser par la variété des objets, jusqu'à ce que les objets mêmes puissent captiver leur attention. Au reste, pour ne rien dire des rapprochements que fait la syntaxe dans sa marche progressive, il ne faut pas perdre de vue que si dans la chaîne syntaxique il se trouve une grande variété de pensées, elles ont toutes, sur le même degré, les mêmes parties et le même tour d'élocution. Voilà un point qui exige une attention soutenue de la part des esprits volages, et ce serait trop que de vouloir les enchaîner en même temps sous d'autres rapports.

Ici se présente à moi un ancien souvenir, et je ne veux pas le renvoyer. En 1820, un religieux des écoles pies, enseignant à Gênes, fut envoyé en Suisse par son supérieur

pour y visiter quelques écoles et pour en rapporter de meilleures méthodes que celles qui étaient en usage en Italie. Il s'arrêta plusieurs semaines dans la mienne pour observer ce qui s'y pratiquait. Nous ne causions guère ensemble. Il s'occupait à recueillir les faits, et j'en étais content. Achevant ses observations, il vint me dire: « J'ai » deviné le fond de votre méthode: c'est la morale et la » religion que vous avez essentiellement en vue; mais vous » vous y prenez, comme si vous faisiez tout autre chose (quasi aliud faciendo). C'est le vrai, l'unique moyen de » réussir. » L'étranger m'avait compris, tandis que des indigènes avaient des yeux, et ne voyaient pas.

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Fréquentes répétitions. Les redites dans les ouvrages de littérature sont regardées comme un défaut qui ennuie et fatigue. Pour échapper à la censure, il faut même varier les expressions, bien qu'il ne s'agisse pas de choses différentes. Dans les livres scientifiques il est indispensable de reproduire souvent les mêmes pensées, parce que la vérité que l'on expose, dépend de celles qui l'ont précédée. On les remplace par un simple renvoi, qui est réellement une répétition, et quelquefois le lecteur préférerait qu'on le dispensât de feuilleter le livre pour y trouver la citation.

Or le Cours de langue n'est pas un ouvrage de littérature, et dès lors il n'est pas soumis aux règles que prescrit la délicatesse du goût; il se range parmi les œuvres de la science, mais de la science des enfants. A ce titre les répétitions fréquentes ne lui sont pas seulement permises, mais absolument nécessaires; parce qu'il faut passer fréquemment le burin sur le même trait, si l'on veut obtenir ce que l'on doit chercher, une trace profonde et durable. Ce n'est donc pas un défaut à reprocher au Cours de langue, s'il revient fréquemment aux mêmes pensées, et surtout à celles qui se distinguent par leur importance et par le cortége qu'elles amènent en vertu de l'association naturelle des idées. C'est une certaine manière de penser que nous voulons donner à nos élèves, et ici s'applique

la grande maxime : « la répétition est l'âme de l'instruc

tion. »

D'ailleurs il ne s'agit pas uniquement du souvenir, mais de l'intelligence. Les vérités que l'on désire suggérer aux élèves, ne leur paraîtront au commencement que dans un clair-obscur. Successivement, l'esprit venant à se développer par les divers exercices, elles gagneront de plus en plus en lumière. Qui de nous ne se rappelle pas que les paroles de l'oraison dominicale ont acquis chez lui par degrés une signification toujours plus étendue et plus profonde?

Les instituteurs se plaignent assez généralement de la maigreur qui se trouve dans les compositions de leurs élèves. Cette maigreur doit-elle surprendre, quand on n'a pas eu la précaution de graver en eux, par de fréquentes répétitions, les matériaux qu'ils doivent choisir et combiner? Mais il ne faut pas aller si loin. Dans tout le Cours de langue l'écolier est appelé à motiver ce qu'il a devant lui, ou à inventer ce qu'il n'a pas sous les yeux. Pour tout cela il a besoin de trouver en lui-même, et il n'y trouvera que ce que la répétition y aura écrit en caractères indélébiles.

Anticipations. Il y en a beaucoup dans le Cours de langue, et voici un point que les têtes systématiques ne nous passeront guère. Il est de rigueur dans les sciences exactes que toutes les vérités dont elles se composent, doivent former une chaîne progressive, sans anticipations comme sans enjambements. Nous suivons cette règle où elle peut être observée, c'est-à-dire dans la syntaxe, quant au développement et à la forme des pensées, mais pas du tout quant à leurs sujets ou à leur contenu. Nous cherchons toutefois à fonder en raison toute l'instruction directe; mais les vérités paraissent souvent avant leurs preuves qui ne viennent que plus tard, et dans ce cas elles ne s'adressent encore qu'à la foi des élèves. C'est la pédagogie qui sera encore ici notre juge.

Des anticipations! Mais il y en a toujours sur notre terre,

et pour l'avantage du genre humain qu'elle porte et qu'elle nourrit. Aristote, ou quelque autre sous son nom, nous dit que l'Auteur et le Maître de l'univers a été porté à la connaissance des hommes par la tradition 1, et cela est ainsi; car il fallait d'abord avoir un monde au moyen de la science qui est longue et tardive, avant de pouvoir placer un Dieu au-dessus de lui. Le jeune Sintenis était arrivé jusqu'au soleil, conduit d'un côté par l'éclat de cet astre qui à la vue est dans l'empyrée le seul de son espèce 2; puis de l'autre par les besoins de son cœur pur, reconnaissant et tendre. La science arriva, et elle jeta le trouble et la douleur dans son âme, jusqu'à ce que son père lui fit connaître le Dieu de l'Évangile.

Et cet Évangile n'est-il pas pour les nations qu'il a éclairées, et pour celles qu'il éclaire les unes après les autres, une belle, douce et majestueuse anticipation sur le développement des lumières naturelles qui se fait si lentement, et qui a ses dangers. Elle est vraie cette parole de l'apôtre: «Dieu, voyant que le monde avec la sagesse humaine ne » l'avait point connu dans les ouvrages de la sagesse di» vine, a bien voulu sauver les croyants par la folie de la » prédication 3. >>

Du nombre des croyants sont les enfants qui arrivent au Cours de langue. Leur bonne nourrice s'est empressée de leur donner les éléments du christianisme, tels qu'elle les avait, et qu'ils ont pu les recevoir à leur âge. Ils ont appris de mémoire l'oraison dominicale et le symbole chrétien, ce symbole qui commence par le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui passe de lui à JésusChrist, mort et ressuscité, qui ensuite finit par le SaintEsprit, et la vie éternelle. Ils récitent aussi les dix commandements de l'ancienne loi dans une traduction en rimes, qui est plutôt un commentaire. Certes nos élèves sont bien loin de comprendre tout ce qu'expriment les

1 Lib. vi, de Cœlo.

Sol quia solus. Cic. 31 Cor. I, 21.

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