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lui faire reconnaître et distinguer. De là notre série de déterminatifs qui désignent les choses et leurs rapports, tout en servant d'introduction à la phrase. A l'égard de celleci, la syntaxe ne se borne point à en compter les membres et à relever les conjonctions qui les lient; mais elle s'applique à faire saisir la pensée plus ou moins étendue, plus ou moins compliquée qu'elle exprime dans son ensemble. Ajoutez à cela la gradation régulière de la syntaxe, et vous conclurez qu'elle est une gymnastique de l'esprit continuelle et très-avantageuse.

Cependant puisqu'une sage méthode exige que l'on meuble l'esprit de l'enfance en le forgeant, et qu'on le forge en le meublant; puisque encore, pour arriver à ce résultat si désirable, nous avons choisi une instruction directe qui donne à l'enfance ce qu'il y a de plus noble, de plus nécessaire et de plus inspirant dans les connaissances humaines, nous avons dû donner un rang supérieur aux exercices d'explication et d'invention qui vont droit au but, et mettre après eux comme auxiliaire les exercices syntaxiques.

Et ne voyez-vous pas que le développement graduel qui se fait parmi les grammairiens de France (je ne parle que des grammairiens de la jeunesse) suit cette marche? Lassés enfin ou honteux de n'avoir été que les hommes des mots, ils ont fait un pas vers l'esprit, en ajoutant leur analyse logique à celle qui était purement grammaticale. Ils se sont aussi rapprochés de l'abbé Gaultier qui faisait inventer par ses élèves, et les réjouissait en développant leur intelligence.

'CHAPITRE IV.

RÉPONSE A DES OBJECTIONS FAITES OU A FAIRE CONTRE LE PLAN, PROPOSÉ.

Je terminerai ce livre par un examen des reproches que l'on a faits ou que l'on pourrait faire à son contenu. L'examen que j'entreprends me fournira l'occasion d'a

jouter à ce que je viens de dire, quelques développements qui ne seront ni inutiles ni déplacés.

Je partage en deux classes les objections qui vont m'occuper. Les unes sont prises de la difficulté d'allier convenablement dans un même Cours de langue l'instruction directe avec les exigences de l'enseignement grammatical; les autres attaquent le fond même de mon travail.

§ Ier. Première classe.

Ce sont les hommes à système qui parleront les premiers. Prenant la marche des sciences exactes pour règle générale de tout enseignement, ils ne comprendront pas qu'aux leçons de grammaire on puisse allier des leçons d'un tout autre genre. «Votre instruction directe, me » diront-ils, subira un pitoyable morcellement, quand >> elle devrait être un tout bien lié. Il y aura un mélange >> fâcheux de sujets divers, puis de fréquentes et fatigantes » répétitions des mêmes pensées, et enfin des anticipa» tions continuelles là où il faudrait une progression ri» goureuse, pour que cette instruction fût fondée en rai>> son, et produisit une conviction profonde dans la jeu» nesse.» Nous reprendrons ces quatre points.

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Morcellement de la doctrine. Il est manifeste que subordonnée, bien entendu uniquement pour la forme, à la tâche particulière des différentes parties du Cours de langue, l'instruction directe destinée à ses élèves subira nécessairement une grande décomposition. Dans la chaîne syntaxique elle ne pourra que paraître successivement par propositions, puis par phrases, puis par périodes, toutes détachées, et en même temps soumises à une certaine forme à l'exclusion de toute autre. Dans la Conjugaison c'est la même chose, outre les entraves qui lui sont propres et qui, proviennent de la nature du verbe, etc. Le Vocabulaire se formant de séries de mots, qu'il s'agit de faire entrer dans une pensée quelconque, permet encore moins quelque chose de suivi et de lié sur quelque sujet. Malgré cela nous restons convaincu que notre instruc

tion directe pourra très-bien produire l'effet que nous avons en vue. Ce qui ailleurs serait un défaut, n'en sera pas un ici. La pédagogie a une didactique qui lui est propre, précisément parce qu'elle n'a pas des hommes mûrs devant elle, mais des enfants à mûrir.

Nous sommes maintenant dans l'usage d'écrire sur Jchaque matière des traités, où l'on rassemble tout ce que le titre générique de l'ouvrage paraît exiger ou permettre. C'est le goût moderne. Ce n'était pas celui des anciens. Voyez, par exemple, les livres classiques de la Chine, voyez les dialogues de Socrate et même de Platon. Ces hommes de l'antiquité savaient que toute notre science est fragmentaire, et ils se contentaient de répandre successivement du jour sur tel ou tel autre point. Les chrétiens savent que l'Évangile ne nous offre pas une doctrine suivie, mais détachée, bien que toujours semblable à ellemême, toujours une, et dont tous les membres viennent d'eux-mêmes se rapprocher dans leur cœur comme dans leur esprit. Il en est de même des homélies de l'antiquité chrétienne auxquelles ne ressemblent pas du tout les traités que nous débitons en chaire. Massillon a hautement déploré ce genre nouveau. Il le regardait comme frappé de stérilité. Comme il prêchait devant la Cour sur la parole de Dieu, on l'entendit s'écrier avec douleur: «Que faisons-nous? nous discourons. » Discourir, c'est ici faire des discours à la manière des rhéteurs; ce qui amuse, mais ne conduit pas à bien.

Si les traités ne font pas sur l'âge mûr l'effet que l'on désire, ils conviennent incomparablement moins à l'âge tendre, qui ne peut recevoir d'instruction que goutte à goutte. Combien de temps ne faut-il pas aux enfants jusqu'à ce qu'ils puissent saisir l'ensemble d'une seule phrase un peu longue et compliquée? Ainsi, loin de dire qu'une instruction fragmentaire n'en est pas une pour eux, nous renverserons la phrase en disant qu'on ne peut l'instruire que par des détails, pour les rapprocher ensuite petit à petit.

Toute doctrine suivie est au fond, comme d'origine, un assemblage de vérités particulières. Celles que nous destinons à nos élèves, en supposent beaucoup d'autres. Un instituteur intelligent et instruit n'aura besoin que de les entendre nommer, pour connaître les détails que chacune d'elles annonce. Pour les trouver il procédera par l'analyse ou la décomposition, et résoudra le tout en ses parties. Mais les enfants n'ont pas encore de semblables touts dans un esprit qui est encore à former. Ainsi la seule manière de les instruire, c'est la synthèse; méthode qui commence aux détails pour les rapprocher peu à peu et en faire un ensemble. C'est là commencer l'instruction de l'enfance par son commencement. Si vous mettez les généralités en tête, vous commencez par la fin.

Au reste la méthode synthétique qui rapproche peu à peu les détails, n'est pas seulement réclamée par la faible conception des élèves; il s'agit encore de la conviction qu'il faut obtenir. C'est en sa faveur que nous avons ajouté l'examen critique de tous les détails qui entreront dans l'instruction directe. Si dans leur isolement toutes les vérités n'étaient pas saisies avec connaissance de cause, quel effet pourrait-on se promettre de leur réunion? Le faisceau est plus solide que les baguettes prises séparément, cependant toute sa force dépend de la leur.

Et que l'on ne se mette pas en peine du rapprochement des détails répandus sans lien dans le Cours de langue. La bonne nature se chargera de le faire, et l'art lui tendra la main. Notre mémoire est, comme il a été dit, une puissance active qui, tout en recevant, classe et associe les idées qu'elle reçoit pour les reproduire dans le même ordre d'association. Nos traités scientifiques, nos discours, nos poëmes, en un mot, nos compositions de tout genre ne doivent-elles pas leurs richesses d'abord à ce travail spontané de la mémoire, et seulement après au choix que nous faisons parmi les matériaux qu'il nous fournit ? Eh bien! ces matériaux n'ont été recueillis que un à un; puis insensiblement liés par la mémoire, pour former les

groupes qu'elle nous offre plus tard. Les instituteurs attentifs peuvent, dans les compositions de leurs élèves, voir de leurs yeux la primitive pauvreté de leurs souvenirs.

S'il fallait appuyer nos raisons d'une autorité, nous en citerions une bien grave, celle de l'immortel Fénelon. Il nous dit dans son livre sur l'éducation des filles : « Entretenez la curiosité de l'enfant, et faites dans sa mémoire un amas de bons matériaux; viendra le temps où ils s'assembleront d'eux-mêmes, et l'enfant raisonnera de suite. »

Dès lors la décomposition de l'instruction directe dans le Cours de langue est si peu un vice à lui reprocher, que cette instruction directe serait au contraire un défaut, si elle ne commençait pas par de menus détails, et si elle ne s'y arrêtait pas longuement avant de commencer à les rapprocher. Les savants peuvent avoir perdu le souvenir du chemin qu'ils ont dû faire pour arriver à leurs connaissances rangées en systèmes; mais la pédagogie ne saurait l'oublier. La synthèse est décidément la seule méthode qu'elle puisse approuver, lorsqu'il s'agit d'amener les enfants à un ensemble de doctrine.

Pour aider en eux le travail de la nature, en faveur de notre instruction directe, nous employons plusieurs moyens dans le Cours de langue. L'un est d'en faire expliquer et motiver tous les détails, à mesure qu'ils paraissent; un autre consiste à incorporer à l'enseignement même des rapprochements plus ou moins étendus sur de mêmes sujets. Enfin les nombreuses récapitulations que nous avons insérées dans ce Cours de langue, ne sont-elles pas faites pour habituer les enfants à rapprocher des idées homogènes, et cela sur les objets les plus importants de l'instruction qu'on veut leur donner?

Nous laissons donc aux savants la méthode analytique qui commence par les principes les plus généraux, pour avoir le plaisir d'en déduire longuement tout ce qu'ils ont pensé y renfermer. Le lecteur est souvent bien surpris de rencontrer dans cette déduction des choses dont il ne soupçonnait pas l'existence dans le principe énoncé,

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