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Le système opposé refuse toute instruction directe aux enfants. Il veut que l'on s'en tienne à exciter leurs facultés intellectuelles, pour qu'ils trouvent d'eux-mêmes tout ce que l'on désire leur apprendre. Sa maxime est que l'homme ne sait bien que ce qu'il sait de lui-même. Les instituteurs qui en ont fait leur règle, donnent à leur procédé le nom de méthode socratique, tout enchantés qu'ils sont de n'être, comme le sage d'Athènes, que des accoucheurs de l'esprit. Mais ne se trompent-ils pas? Socrate n'avait pas des enfants devant lui dans ses conversations; il avait des hommes d'âge mûr qui avaient fait des études, et qui étaient dans les affaires. Les interlocuteurs comprenaient les questions que leur adressait le philosophe, tout comme celui-ci connaissait les opinions qu'il voulait redresser ou développer chez ceux qui conversaient avec lui. Il ne s'agissait donc que de mettre plus d'ordre et de conséquence dans leurs idées, ou de les conduire plus loin qu'elles n'étaient allées. Or il n'en est pas ainsi chez les enfants. Si par la pensée vous les remettez au berceau, vous trouverez sans doute que, conduits principalement par les soins maternels, ils ont fait pour leur âge beaucoup de chemin dans la culture intellectuelle; mais, si vous envisagez le terme où il faut les conduire par l'éducation, vous verrez que ce qui reste à faire pour le développement de l'esprit, ne peut pas se réduire à de simples questions qui ne font que demander, et qui ne donnent rien. Où en seraient les sciences, les arts et les métiers, si chacun était obligé de commencer à neuf et de tout inventer?

Il y a un juste milieu entre les deux extrêmes qui nous occupent, et c'est dans ce milieu que se rencontrent le bien et le vrai. La culture que l'on destine à l'enfance, doit être le produit commun des leçons directes qu'on lui donne, et de ce qu'elle est capable de trouver elle-même sur le chemin qu'on lui fraie.

L'instruction contenue dans le Cours de langue est, comme on a pu le voir, tout à fait appropriée au dévelop

pement de toutes les facultés intellectuelles. Ainsi la première condition est remplie. Pour satisfaire à la seconde, il faut ajouter à cette instruction des exercices qui la fassent saisir par les jeunes intelligences, afin que mises en jeu par ce travail, elles se développent, et deviennent capables de produire à leur tour.

Nous employons à cet effet trois espèces d'exercices. Ce sont des essais d'explication, des essais d'invention et des comptes-rendus syntaxiques.

§ II. Essais d'explication.

L'instruction directe que le Cours de langue se charge de donner à ses élèves sera d'abord répandue dans la Syntaxe, du commencement à la fin. Dans son début, elle ne donnera que goutte à goutte les éléments dont elle se composera; cependant petit à petit elle se développera avec la proposition, et plus encore avec la phrase, à mesure que le lui permettra la progression logique sur laquelle l'échelle syntaxique est réglée, comme on peut le voir dans les esquisses que nous avons données au second livre. On y remarquera que la syntaxe de la proposition se termine déjà par des rapprochements qui exposent certains points de doctrine. La syntaxe de la phrase en fera de même en s'avançant, et l'on y trouvera des textes suivis qui, dans leur réunion, présenteront par fragments toute l'instruction directe destinée aux élèves du Cours de langue.

La Conjugaison et le Vocabulaire contribueront aussi de près ou de loin, et autant que leur fonction particulière le leur permet, à présenter aux enfants cette même instruction. Dans le Vocabulaire, l'instituteur sera appelé à exprimer des pensées sur certains mots qui s'y trouvent, et ces pensées rentrent toutes, de quelque manière, dans les grandes leçons destinées aux élèves; d'un autre côté, comme la conjugaison se fera toujours par propositions et ensuite par phrases, qui sont en grande partie déterminées par l'enseignement, on voit que l'instruction di

recte y sera reproduite en détail. Cette instruction sera donc répandue partout, pour se graver profondément dans l'esprit de l'enfance.

Cependant, comme il ne s'agit pas de confier à sa mémoire des mots vides de sens, qui n'iraient pas jusqu'au cœur et à la vie, puisqu'ils n'entreraient pas dans l'esprit, il faut qu'au moyen d'exercices convenables l'instruction directe soit portée dans la pensée et la conviction de l'enfance.

Les élèves, arrivant au Cours de langue, ont acquis une foule d'idées; ils en connaissent l'expression, et ils s'en servent. C'est une grande avance pour l'instruction directe qu'ils recevront. Cependant cette instruction dépasse de beaucoup, et pour les choses et pour leurs signes, la portée ordinaire de cet âge. Le devoir de l'instituteur est donc de s'assurer qu'aucun de ses élèves ne se paye de mots dans une affaire de si haute importance. Dès lors il devra accompagner d'une interprétation convenable toutes les propositions et toutes les phrases qui à son avis vont au delà des idées ou des expressions familières à ses élèves. J'ai dit : à son avis; parce que le degré de culture qu'apporte l'enfance à l'enseignement régulier de la langue, est bien différent dans les divers individus, et que l'instituteur seul peut, et doit en juger.

Il sera quelquefois obligé de fournir lui-même l'interprétation, parce qu'aucun des élèves ne pourra la donner; mais le plus souvent l'un ou l'autre, aidé par quelques questions convenables, sera à même d'éclaircir ce qui est obscur. De là résultera un premier exercice sur chaque proposition et chaque phrase qui aura besoin d'explication. Pour l'obtenir il dira à tous, ou à l'un en particulier : « Que veut dire cela? Exprimez-le en d'autres paroles à >> votre choix. >> Ou bien, donnant à la proposition ou à la phrase une fausse interprétation, il demandera si c'est ainsi qu'il faut l'entendre. Il n'est pas nécessaire d'ajouter que tout ceci doit se faire très-brièvement, sans perte de paroles ni de temps.

Get exercice en amènera un autre qui ira plus loin, et complétera le premier. Les propositions et les phrases formant l'instruction directe sont ou purement théoriques, affirmant ou niant que quelque chose est, a été ou sera; ou bien elles sont pratiques, exprimant ce qui doit, ou ne doit pas être. Dans le premier cas les élèves devront juger du vrai ou du faux, et motiver chaque fois le jugement qu'ils auront porté. Dans le second cas il s'agira de juger du bien ou du mal moral, d'après ce qui en a été dit plus haut, et de motiver aussi ce jugement.

Les élèves se tromperont fréquemment dans ces deux exercices, et d'autres fois ils hésiteront: car ils ne savent pas encore, et ils sont à la leçon pour apprendre. Par là l'instituteur connaîtra leur portée, et rien ne lui est plus nécessaire que cette connaissance; puisqu'il est chargé de leur former l'esprit. Ceux-ci de leur côté apprendront en se trompant, comme le dit une vieille maxime latine. Il faudra alors les mettre sur la voie, par un mot ou par une question convenable. L'enseignement direct ne devra paraître qu'au besoin. En tout cela l'instituteur doit toujours bien se garder de leur reprocher leur ignorance; ce serait les rebuter et leur ôter le courage d'apprendre. Le divin Maître louait toujours la bonne volonté et relevait avec plaisir tout le bien qui se montrait dans ses auditeurs. Regardez ce modèle et imitez-le.

Comme dans les deux exercices précédents la généralité des élèves sera ordinairement appelée à donner une interprétation, ou à porter un jugement et à le motiver; il s'établira ainsi entre tous un utile concours. Il faut bien le distinguer d'une lutte produite par cette fâcheuse émulation qui, voulant primer, épie méchamment les fautes d'autrui, et s'en réjouit. Où est l'instituteur assez profane pour vouloir favoriser les progrès de l'esprit aux dépens de l'innocence et de la bonté du cœur? Par le concours que nous ouvrons, nous voulons simplement tenir tous les élèves en haleine, pour être utile à tous; nous voulons que chacun d'eux fasse tout ce qui dépend de lui,

et qu'en bonne volonté il ne se laisse surpasser par aucun. L'instituteur a de bons moyens à sa disposition pour obtenir ce résultat. Il en fera usage, sans divulguer son secret. L'un est de relever, sans flatterie comme sans affectation, tout ce que les faibles produiront de bon dans ces exercices. Ce sera en même temps leur inspirer le courage d'avancer et leur donner du prix aux yeux de leurs condisciples. L'autre moyen consiste à signaler les fautes que feront ceux qui manifestent de la suffisance et des prétentions. Le redressement de leurs fautes doit se faire brièvement avec bonté, et tout en leur rendant justice en ce qu'ils font bien. En général, l'instituteur doit familiariser tous ses élèves avec la grande vérité évangélique qui dit que les talents sont des dons gratuits du Créateur, que chacun doit faire valoir ceux qu'il a reçus, et que le Juge suprême exigera un jour en proportion de ce qu'il aura donné.

Les exercices que nous venons d'indiquer, vont tout droit à l'esprit pour le nourrir, le développer et le former. Leur résultat naturel, c'est que les enfants s'approprieront les vérités qui seront soumises à leurs réflexions; parce qu'ils seront appelés à les reproduire en eux-mêmes et par eux-mêmes. Ils s'enrichiront par là de connaissances qui passeront dans le fond de l'âme avec pleine conviction. Puis, comme les mêmes exercices s'étendront sur toute l'instruction directe que le Cours de langue leur destine, ils acquerront une manière de penser claire et juste sur tout ce qu'il importe le plus de savoir pour penser, sentir et se conduire humainement.

Le second exercice est d'une utilité qui va au delà de l'instruction directe; puisqu'il fait juger du vrai et du faux, du bien et du mal, et motiver chaque fois le jugement que porteront les élèves. Ils contracteront par là l'habitude de réfléchir sur leurs propres pensées et sur celles qui leur seront apportées d'ailleurs. Ainsi ils apprendront de bonne heure à se séparer de cette masse de gens nuls pour la pensée, qui ne savent que répéter le vrai et le

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