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Le Sens. Il se présente ici le premier comme la base de toutes nos connaissances, comme l'excitateur de toutes les autres facultés intellectuelles, et comme le régulateur de leurs mouvements. Il est hors de doute que toutes nos connaissances, de quelque genre qu'elles soient, partent des données que nous fournissent les sens extérieurs et le sens intime.

Le Cours de langue n'a pas la tâche de développer les organes de ses élèves, en leur présentant des objets propres à les exercer, c'est une chose faite à l'âge où ils sont; mais notre instruction peut beaucoup contribuer au développement de la faculté de sentir, comme propriété de l'esprit qui saisit les impressions qui lui arrivent par l'intermédiaire des organes. Ici notre instruction rendra de grands services. Elle dirigera incessamment l'attention des enfants sur le spectacle de la nature, sur les mouvements de la famille et sur ceux de la société. Par là elle tiendra en éveil l'esprit d'observation, et la faculté de sentir en fera nécessairement son profit.

Mais il y a plus dans cette instruction. Elle prend à tâche de développer le sens intime dans ses élèves, ce sens que malheureusement l'éducation ordinaire n'avertit pas même, et qui reste muet, quand il aurait tant de choses et de si grandes choses à dire. Toutefois l'enfant se sent dès le berceau, mais sans avoir aucune idée de son être invisible, sans savoir le distinguer de son enveloppe passagère. Il se confond avec elle en véritable matérialiste; parce que les impressions des sens parlent haut, et qu'il n'a d'oreille et d'attention que pour elles. Combien de personnes parvenues à l'âge mûr ne sont encore que de petits enfants à cet égard, parce que dans leur éducation on n'a pas eu soin de tourner leurs regards au dedans d'eux-mêmes? On peut conclure de là à quel point elles sont en arrière pour tout ce qui regarde l'esprit, la divinité, la morale, le bonheur et la vie à venir. Notre instruction aura donc le mérite d'éveiller de bonne heure et de cultiver le sens intérieur de ses élèves, de leur remettre,

pour ainsi dire, la clef du monde invisible, et de les amener ainsi à la connaissance des plus importantes vérités de la vie. Elle ne saurait leur rendre un plus grand service.

L'intelligence. Nous avons déjà observé plus haut que l'intelligence de l'enfant, voltigeant d'un objet sensible à un autre, et toujours comme terre à terre, ne s'élève pas d'elle-même à de grandes et vastes idées dans ses conceptions, et que, bornée comme elle l'est, elle manque nécessairement de rectitude dans les jugements qu'elle forme, sans cependant manquer de raison dans le sens plus strict que la science attache à ce mot.

La culture de l'intelligence dans le Cours de langue dépend surtout des exercices auxquels il soumettra ses élèves, et dont nous allons bientôt parler; mais ces exercices demandent des matériaux convenables, et il s'agit de voir si ceux que fournira notre instruction sont appropriés à ce noble but.

En jetant un coup d'œil sur les objets qu'elle embrasse, on verra d'abord qu'elle est faite pour étendre le domaine de la pensée dans les enfants. Non-seulement elle a soin de les orienter mieux dans l'admirable nature qu'ils ont devant les yeux, mais elle les conduit dans des terres jusqu'alors inconnues, comme le sont encore pour eux les invisibles agents de la nature et tous ces peuples microscopiques d'êtres vivants de toutes formes, pour ne rien dire de ce moi qui s'ignore encore lui-même, et qui ignore en même temps le monde des esprits. Elle s'applique en outre à faire saisir par ses élèves les rapports divers que présentent la famille, la société et le genre humain dans la multitude de ses peuples. Partout ici se rattachent de nouvelles vues morales qui entreront dans le secret des cœurs, loin de s'arrêter aux paroles et aux actions.

Cette même instruction élève l'âme en l'agrandissant. Elle parle aux enfants de notre globe comme d'un point flottant dans l'immensité du ciel étoilé; elle les fait remonter du mcnde visille à son invisible Auteur, à sa

puissance créatrice, à sa bonté et à sa sagesse qui embrassent et gouvernent l'univers; elle leur parle de sa sainteté et ensuite de la vertu, en leur en montrant l'auguste modèle, le Sauveur des hommes. Au delà de notre pélerinage terrestre, elle leur fait entrevoir notre seconde vie, et au temps qui s'enfuit, elle ajoute l'éternité qui reste à jamais. Pourrait-on présenter quelque chose de plus vaste et de plus haut pour élever l'esprit de la jeunesse au-dessus de la poussière qu'elle foule à ses pieds? On me dira peut-être que ces objets sont beaucoup trop sublimes pour que des enfants puissent y atteindre. A cela je répondrai en toute confiance que ce sera bien assez pour le moment qu'ils s'en fassent une idée selon la portée de leur âge. Cette idée sera un germe précieux qui se développera dans la suite, si on ne l'étouffe pas.

Enfin la jeune intelligence ne peut que gagner en rectitude par l'instruction qui lui est destinée. Les erreurs n'ont-elles pas leur source dans l'ignorance, et nos leçons ne sont-elles pas faites pour la dissiper? Toutefois les intérêts matériels et les connaissances spéciales qui s'y rapportent, n'y trouvent pas de place, puisque tout se borne aux grandes vérités de la vie; mais ne pouvant pas tout faire à la fois, elle court au plus pressé et au plus important. Une fois que l'homme sera fortement ébauché, il sera facile d'y ajouter le reste. Incontestablement notre instruction fait beaucoup pour la justesse de l'esprit; elle l'occupe de pensées graves, qui donnent de l'aplomb à la pensée; elle élargit ses vues, et l'habitue à saisir un ensemble; elle le fait remonter des effets aux causes et descendre des causes aux effets, et produit de la sorte le besoin d'observer pour se rendre raison. Nous n'avons pas la ridicule prétention de croire que notre instruction transforme, comme par enchantement, des enfants en hommes mûrs; mais elle aura assez fait pour sa part si, à ses leçons, les enfants deviennent moins enfants.

La mémoire. Elle ne restera pas sans culture dans cette instruction, qui confiera à sa garde les plus belles et

les plus importantes vérités de la vie, avec les nombreux détails qui s'y rattachent. La mémoire qui sera cultivée de la sorte, sera surtout la mémoire des choses. Néanmoins celle des mots ne sera pas négligée, puisque les choses ne vont pas sans leurs signes de rappel.

L'imagination. A l'égard de l'imagination, l'essentiel dans l'éducation consiste à la discipliner et à renfermer son jeu dans un cercle convenable. Les intérêts matériels de la vie gagneront beaucoup à cela, car il est constant que quantité d'individus et de familles sont les tristes victimes des fictions auxquelles ils s'abandonnent.

Cependant discipliner l'imagination, ce n'est pas l'éteindre. Notre instruction est bien éloignée de vouloir l'entreprendre. Elle occupe beaucoup les élèves du spectacle de la nature, et leur fait en cela recueillir de belles images, pour revêtir les objets spirituels d'une enveloppe sensible, comme le Seigneur le faisait. Il relevait aussi dans la nature ce qui pouvait servir de symbole ou de signe de rappel à divers points de sa doctrine, agréable et utile poésie que le Cours de langue ne négligera pas.

Nous utiliserons enfin l'imagination de nos élèves, pour leur donner l'habitude de se transporter dans la situation d'autrui, et pour sentir dans leurs semblables soit le bien, soit le mal que ceux-ci éprouvent dans les vicissitudes de la vie. Cette sympathie est l'œuvre de l'imagination, qui nous fait sortir de nous-mêmes pour nous placer dans nos frères. La morale et la charité chrétienne en ont besoin pour se développer dignement. Il s'était identifié avec toute l'espèce humaine Celui qui a dit : « Ce que vous aurez fait au dernier d'entre vous, c'est à moi-même que vous l'aurez fait. » Quelle imagination et quel cœur!

Nous sommes donc autorisés à conclure que l'instruction choisie pour le développement des facultés de l'enfance répond absolument au grand but que nous nous proposons. Non-seulement elle avertit, active et agrandit tous les divers pouvoirs de l'âme, mais elle les met en harmonie les uns avec les autres, comme l'éducation est chargée de le faire.

CHAPITRE III.

EXERCICES DU COURS DE LANGUE PROPRES AU DÉVELOPPEMENT DES
FACULTÉS INTELLECTUELLES.

Après avoir exposé et apprécié l'instruction qu'embrassera le Cours de langue, il nous reste à déterminer les moyens de la communiquer aux élèves, de telle sorte qu'elle produise en eux le développement intellectuel que nous avons en vue. Mais, avant d'aborder directement notre sujet, il ne sera pas inutile de comparer deux méthodes diamétralement opposées dans l'éducation. Cet examen préalable nous indiquera la juste mesure à prendre et à garder.

§ Ier. Juste milieu entre deux extrêmes.

Il est des instituteurs qui n'ont aucune confiance dans la capacité des enfants. Ils se croient dans la nécessité de leur apprendre tout mot pour mot, et les réduisent au rôle triste et abject d'écouter, de lire, d'apprendre de mémoire ce qu'ils lisent ou entendent, pour le réciter fidèlement, comme ils viennent de le lire ou de l'entendre. Les jeunes têtes ne sont donc à leurs yeux que des vases où l'on peut mettre tout ce qu'on veut, et que l'on renverse ensuite pour trouver ce que l'on y a jeté. Cette méthode, si toutefois il est permis de lui donner ce nom, n'a que trop de partisans parmi les instituteurs de tous les pays. C'est elle qui nous produit tant d'adultes qui, incapables de penser eux-mêmes, ne sont que les échos des paroles d'autrui. Par ce déplorable mécanisme, l'esprit reste sans culture, tant sous le rapport de son développement que sous celui des connaissances qu'on pense lui donner. Cellesci ne sont confiées qu'à la mémoire des mots, puisque l'esprit ne les a pas rendues siennes par son travail, et cette mémoire cessera bientôt de répéter des paroles qui n'auront qu'effleuré la surface de l'âme, comme un fard léger que l'air emporte.

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