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et qu'ils ne peuvent au juste indiquer sur lesquels d'entre eux auraient été enlevées certaines armes et certaines sommes d'argent. Guidal s'était déjà emparé de la croix et du sabre de Frotté, et en restait saisi. Les portefeuilles avaient pu être fouillés et aucune garantie n'avait été prise pour en constater le contenu.

On fit circuler le bruit qu'on avait saisi sur Frotté des papiers importants que la prudence ne permettait pas de publier. C'était un mensonge de la police. Elle imprima cependant quelques pièces. Voici deux lettres que nous supposerions plutôt avoir été saisies au château de la Chaux, le 6 février, dans les papiers de Commarque. Elles figurent dans le Journal des hommes libres, 1er et 2 ventôse, devenu depuis le 18 brumaire l'organe officieux de Fouché. Sont-elles bien authentiques? Il est permis d'en douter. La première serait l'œuvre d'un membre des agences royalistes; la seconde, celle d'un espion de haut rang, prenant tous deux vis-à-vis de Frotté un ton maussade et presque insolent.

Saint-Hilaire à Frotté.

« Je ne sais, Monsieur, si l'on peut attendre raisonnablement quelque succès des mesures incomplètes, décousues, sans suite, que je vois prendre partout. Croit-on que c'est avec des prétentions aussi ridicules que celles de certains chefs de partis que l'on servira efficacement celui du Roi? Je ne le pense pas. Il faut ajourner au moins toute idée de domination individuelle jusqu'à ce qu'on ait assuré le champ de bataille à la monarchie. Vous avez peut-être comme les autres quelque léger tort à vous reprocher. Un peu de réflexion sur votre position vous fera sentir la nécessité de mettre plus d'ensemble dans les mesures qui se prennent de part et d'autre. D'après les derniers ordres que j'ai reçus, vous voudrez bien faire une proclamation que vous répandrez avec profusion dans tous les pays où vous pourrez la faire parvenir. Cette proclamation aura pour objet d'indiquer le but de Sa Majesté et ce à quoi doivent s'attendre les sujets qui lui sont restés fidèles. Le rétablissement du trône et du culte catholique doit être l'objet constant de leurs efforts. Il faudra rassurer aussi les acquéreurs de biens nationaux et leur faire savoir que s'il n'est pas possible de leur laisser la paisible et entière jouissance des biens qu'ils n'eussent jamais dû acheter, on pourra, du moins, prendre des mesures qui empêcheraient leur ruine totale, et que, d'ailleurs, la conduite qu'ils auront tenue sera, dans tous les cas, prise en considération.

« Quant aux prêtres qui ont eu la lâcheté de prêter le serment aux régicides, faites-leur savoir que l'intention de Sa Majesté est de publier une annistie pour ce genre de délit, mais qu'ils doivent se choisir un autre état et renoncer à un ministère dont ils sont devenus indignes. Vous sentez toute l'importance de cette prociamation. Il faut qu'elle soit faite avec art et onction. Veillez surtout à ce que le vœu de Sa Majesté

soit plutôt indiqué qu'exprimé, afin que, dans tous les cas, le Roi ne soit lié par rien de gênant.

« SAINT-HILAIRE. »

Lettre trouvée sur un officier de Frotté.

« Vous pouvez dire à M. Frotté que j'ai trouvé presque partout des hommes disposés à seconder ses vues, mais ils ont besoin d'être encouragés autrement que je ne le suis moi-même. J'ai offert à M. Frotté zèle, activité et dévouement; comme je ne lui ai pas laissé ignorer que c'était moins pour un attachement particulier pour sa personne que parce que j'y trouvais mon compte, il est malhabile, s'il doute de ma sincérité; s'il n'en doute pas, il est malhabile et ingrat. J'ai pris sur moi une besogne désagréable et rebutante; dans une autre position, j'en eusse chargé un subalterne. Si M. Frotté s'est imaginé me ranger dans la classe de ceux qui sont d'ordinaire employés à ce genre d'occupation, il avilit à son grand détriment tous ceux qui, comme moi, ont descendu, par égard pour leur position, à des soins que leur objet doit anoblir à ses yeux, s'il a vraiment une ambition digne d'un homme. Je veux bien faire tout ce que je crois utile, mais quand je m'abaisse avec connaissance de cause, je ne veux pas être pris au mot; si l'on ne gagne pas à l'élever de la fortune et de la considération, on la cherchera ailleurs. C'est ce que je vous invite à lui dire, et vous pouvez même aller jusqu'à lui avouer que je vous ai prié de lui montrer ma lettre. Je ne rougis pas plus des conditions que je mets à mes services, que du rôle que je veux bien jouer pour lui... »

PORTEFEUILLES.

Les Archives nationales (Carton F7, 6231) renferment les portefeuilles de du Verdun et de Commarque.

Ce n'est pas sans une certaine émotion que l'on interroge ces deux petits portefeuilles, couverts d'un simple maroquin rouge éraillé par l'usage. Sur l'un d'eux, la main d'un greffier ou d'un gendarme a tracé grossièrement à l'encre le noin de DUVERDUN. Ils sont gonflés des dernières occupations, des dernières pensées, des derniers sentiments, des dernières légèretés de ces jeunes gens que la mort surprit pour ainsi dire en déshabillé, sans qu'ils eussent le temps de faire la moindre toilette pour la recevoir : témoignage irrécusable de leur confiance dans la loyauté de leurs ennemis et du caractère véritable du sauf-conduit sur la foi duquel ils se remettaient en leurs mains.

Voici l'inventaire minutieux du contenu de ces portefeuilles : Dans celui de du Verdun vocabulaire des nouvelles mesures; recette de la Médecine royale; adresses ou mémoires d'un bottier, d'un cordonnier, d'un tailleur; note des étapes de sa troupe, du 21 janvier au 29; adresse du géographe Piquet au Palais-Royal;

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- fragment du journal le Publiciste, renfermant la loi sur la contribution somptuaire; tableau de comparaison entre les anciennes et les

nouvelles mesures; état de vérification de cartouches d'or et de sacs d'argent, montant en tout à 10,992 francs; — copie de la lettre de Hédouville à Frotté du 24 frimaire; recommandation à Commarque en faveur de deux cultivateurs de Lignou qui ont fourni des chevaux pour transporter des blessés ; lettre d'un de ses officiers, des Louvrets (sic), qui lui mande, le 14 janvier, qu'il est impatiemment attendu à son quartier général et que les soldats, à l'exception des déserteurs, sont très-découragés.

Dans celui de Commarque: passe-port en blanc de la municipalité d'Alençon; lettre très-affectueuse de sa sœur lui donnant de touchants détails sur ses enfants, et particulièrement sur Angélique, filleule de Commarque, «la plus jolie des trois petites sœurs » ;-chiffon de gros papier renfermant une mèche de cheveux blonds très-fins et très-soyeux, avec ces lignes qui semblent avoir été renvoyées à leur auteur, peut-être avec la boucle destinée à adoucir la sévérité du renvoi :

« Madame, je n'ai pu vous voir sans éprouver pour vous les sentiments les plus tendres. Je sais qu'il est impardonnable de vous en avoi ait part; mais je n'ai pu résister au désir de vous apprendre que jer n'aime et n'estime que vous. Si l'amour respectueux, fidèle et surtout discret peut ne pas vous déplaire, je jure de vous adorer toute ma vie. "

Toute ma vie!... Combien lui restait-il de mois, de semaines ou de jours à vivre quand Commarque écrivait ces lignes?

De plus notes d'auberge; - recette de cirage; -liste de sobriquets chouanniques (sans synonymie); - billet d'Auguste (le secrétaire de Frotté), 3 février, le pressant de rejoindre le général.

Enfin, deux chansons, qu'au premier moment j'avais cru pouvoir attribuer à Commarque, qui se piquait de littérature, mais l'une,

J'aimons que l'on chante gaîment

Comme faisaient nos pères.

est bien connue, et l'autre sur le Vin et l'Amour,

Las! je sais borner mes désirs...

doit se trouver aussi dans quelques recueils.

Un troisième portefeuille, en maroquin vert, jeté avec les deux autres dans le carton F7 6231, et dont le propriétaire portait le nom de Martin, a paru à M. le comte de Martel (p. 183) être celui de Saint-Florent. A l'appui de cette conjecture, on peut noter une circonstance curieuse : Saint-Florent se nommait en réalité Florent-Martin Hudeline d'Hauricourt. Mais l'homme au portefeuille, comme le prouve son acte de naissance, devait s'appeler Louis Martin, né à Paris, le 24 février 1768, et Saint-Florent était né à Château-Gontier, le 4 juillet 1764. Autre détail :

parmi les lettres adressées à Martin, qui paraît avoir été un Don Juan de boutique, par ses victimes — (dont l'une, ne sachant pas écrire, emprunte la plume d'un écrivain public, et dont une autre lui dit : « Vous savez qune jeune personne a des pres cocions à prandre que les hommes nonpas... Vous me demandez quel est mon état; il ne concerne nulmant labilleman d'homme »), il en est une datée du 27 prairial an IX, c'est-à-dire postérieure de plus d'un an à la mort de Saint-Florent. Pêle-mêle avec ces lettres, des contre-marques du théâtre de l'Ambigu et du théâtre du Marais, des factures de marchandises; rien qui concerne la politique. Le tout est parafé, ce qui n'a pas eu lieu pour les pièces saisies sur les officiers royalistes. Conclusion: Martin (sans doute arrêté lui-même, plus tard, pour délit politique) et Saint-Florent sont deux personnages différents, et c'est par suite d'une méprise que son portefeuille a été réuni aux deux autres.

Dans un autre carton de la même série des Archives, une enveloppe maculée et fripée, qui ne parait même pas avoir été jamais scellée, renferme d'autres papiers provenant, la plupart, selon toute probabilité, de la saisie faite à la Chaux, lors de la fuite de Commarque. On en avait commencé une sorte d'inventaire, demeuré incomplet, mais qui permet de constater la disparition de plusieurs pièces.

Mêmes éléments que dans les portefeuilles, même variété et même confusion.

Lettres d'amitié, écrites par des familles Delaunay et Lefranc; notes d'auberge et de fournitures diverses, notamment de « vin bouché, à un franc cinq sous la bouteille »; - état d'objets mobiliers déposés chez la citoyenne M..., parmi lesquels « un rôtissoir » ;-comptes d'argent; - recette d'un collyre pour les yeux; - autorisation à Commarque, par Praux, commandant à Couterne, de se transporter de Bagnoles à Couterne, chez Grillon, notaire, 26 pluviôse an VIII (15 février); autre compte, où les expressions bride, réseau et le nom d'Anne cachent sans doute un sens particulier; correspondance de Ruays avec le général Gardanne, citée ci-dessus, p. 472; - nombreuses chansons et autres pièces de poésie, parmi lesquelles la fameuse Pipe de tabac; - passe-port au nom de Pierre-François Dumesnil, de Quillebeuf, allant dans l'Eure, le Calvados et l'Orne; Quillebeuf, 12 vend. an V (3 oct. 1796);

XIX

DISCUSSION. (T. II. p. 503.)

etc.

La diversité mème des explications qu'ont essayées les apologistes de Napoléon, sa mémoire a eu ses courtisans comme autrefois sa puissance, prouverait au besoin qu'il n'en existait aucune de véritablement sérieuse et solide.

Nous avons établi, à l'aide de documents irréfragables, que la qualité d'émigrés était, non-seulement en loyauté, mais en justice rigoureuse, couverte ou du moins suspendue chez Frotté et chez ses compa

gnons, par le seul fait de leur admission à négocier, de la délivrance d'un sauf-conduit.

Il en était de même du crime de connivence avec l'étranger, ce crime étant antérieur à l'arrestation, connu des autorités républicaines au moment de la délivrance du sauf-conduit, avoué par les porteurs, et le sauf-conduit ayant précisément pour objet de leur permettre de discuter les conséquences de leur situation légale.

On a prétendu que Frotté avait été arrêté au moment où légalement finissait l'armistice qu'il avait conclu et où, par conséquent, sa personne cessait d'être inviolable. Ce n'est pas en vertu de l'armistice, qui ne l'autorisait pas à venir à Alençon, mais sur la foi de la parole donnée par les généraux et d'un sauf-conduit délivré par eux, qu'il s'était rendu dans cette ville, et il est, en vérité, trop absurde de supposer que ces malheureux auraient attendu, pour profiter de l'armistice, le moment, qu'ils connaissaient bien, où il cessait d'avoir cours!

La lettre à d'Hugon, en date du 11 février, saisie sur lui après son arrestation à Alençon, renfermait bien une protestation contre le désarmement et cette déclaration par Frotté que « jamais l'ordre de rendre les armes ne sortirait de sa bouche ni de sa plume»; le lendemain, il avait écrit à Commarque à peu près dans les mêmes termes. Mais ces lettres, base principale de la condamnation (De Martel, p. 180, 181, 182), ne pouvaient constituer la violation d'un traité qui n'existait pas

encore.

Pouvait-on même se faire un titre de la violence exercée sur des individus qui ne l'avaient provoquée par aucun délit, pour s'emparer de leurs papiers sur leur personne même, y surprendre leurs secrets si ces papiers en renfermaient, et les proclamer ensuite coupables? Et la force publique a-t-elle le droit de commettre un attentat en arrêtant un innocent, sauf à en chercher la justification dans le délit dont, par suite de cette arrestation, elle lui extorquerait la preuve? Beaucoup d'excellents jurisconsultes et de moralistes ne le croient pas.

En quoi les lettres adressées par Frotté à ses lieutenants pouvaientelles les compromettre, alors qu'ils n'y avaient pas répondu? Et comment surtout les invoquer contre ceux qui ne les avaient ni écrites ni même reçues?

Enfin, si ces pièces étaient véritablement compromettantes, leur présence dans le portefeuille de Frotté ou de ses compagnons ne suffirait-elle pas pour démontrer qu'ils se croyaient protégés par le saufconduit dont ils étaient porteurs, par l'honneur français, et à l'abri de toute violence?

M. de Martel, s'ingéniant à chercher des explications justificatives de la conduite du premier Consul, et ne trouvant sans doute pas suffisante la raison qu'il avait tirée de la qualité d'émigrés de Frotté et de ses compagnons, en a découvert une autre : « Le sauf-conduit donné à Frotté lui permettait de venir à Alençon faire sa soumission à des con

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