Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

qu'elle eût un de ses foyers à quelques lieues seulement de notre frontière, à Saint-Jean d'Assé (Sarthe). Elle n'envahit, en réalité, sur la rive droite de la Loire, qu'une zone étroite, souvent interrompue, courant de Vitré au Mans, en traversant les arrondissements de Laval, Château-Gontier, Segré et la Flèche. On sait quels contre-ordres, quels discords entre les chefs, quel décousu dans les opérations en amenèrent le prompt et inévitable avortement, malgré d'héroïques efforts individuels.

On fit circuler à cette époque les bruits les plus alarmants et les plus mensongers. Ainsi les journaux de Paris' annonçaient des troubles à Caen, qui resta parfaitement calme, et à Caen on croyait que tout était à feu et à sang dans l'Orne. Les ravages cruels du choléra ajoutaient encore à l'inquiétude générale et exaspéraient les imaginations.

Il y eut sur quelques points des trois départements des conciliabules, des bravades, des voeux imprudemment manifestés, des distributions de rubans verts ou de cocardes blanches, ou même des achats clandestins de poudre et d'armes; nulle part attentat, complot ni tentative armée. Des ouvertures avaient été faites à Boulvrais pour prendre la direction d'un mouvement du côté de Mayenne; il les rejeta, se sentant trop vieux et ne croyant le succès possible qu'à la condition de s'appuyer sur un corps de troupes régulières. On parla aussi de pouvoirs secrets envoyés au colonel de Noirville, à Falaise 3.

A Caen, on avait arrêté, comme prévenus d'attentat, Gaudin de Saint-Brice, Berthout, ancien commissaire de police; Guérard-Deslauriers, marchand quincaillier; Lavarde, cou

1 Le Courrier français, de Paris, particulièrement, et l'Ami de la Charte, de Nantes, montrèrent dans cette campagne une passion et une exagération singulières.

2 Crétineau-Joly et l'abbé Deniau parlent à tort d'une campagne de Camille de Pont-Farcy en basse Normandie; elle eut lieu dans le bas Maine.

3 Celui qui, lisant par hasard les rapsodies d'Arsène Lainé (de Néel), y verrait que son frère et lui furent officiers dans l'insurrection de 1832, qu'ils devinrent en 1842, ou 1844, ou 1846, lieutenants-colonels, avec 20,000 hommes sous leurs ordres, dans une nouvelle levée de boucliers préparée par Adjutor du Bisson, sorte d'aventurier que 1871 devait trouver mêlé aux sinistres exploits de la Commune, reconnaîtrait bien vite qu'il a affaire à un cerveau fèlé dont les rèvasseries ne méritent pas la moindre confiance.

vreur; Mutel, cultivateur; Mutel fils; Martin; aux portes d'Alençon, Paillard de Chenay'. Des ordonnances de non-lieu les rendirent tous à la liberté, après des détentions plus ou moins longues. L'abbé Chartier, principal du collége à Argentan, fut l'objet de soupçons qui n'aboutirent qu'à faire mettre un instant son père en état d'arrestation. Des visites domiciliaires furent faites en très-grand nombre, notamment dans les arrondissements de Vire et de Mortain; chez le curé d'Irai, près Laigle, au milieu de la nuit, par des gardes nationaux qui le soupçonnaient de recéler la duchesse de Berry; à Alençon même, chez Théophile de Pontchâlon, ancien officier, et chez Blondel, ancien employé des forêts. Elles n'amenèrent aucun résultat. Au château de Carrouges, le vieux comte Le Veneur, que son âge el ses antécédents patriotiques semblaient devoir protéger contre le soupçon, retrouva une énergie juvénile pour protester, au nom de ces antécédents mêmes, contre l'injure faite à son domicile. Saint-Paul (Henri), l'ancien divisionnaire de Frotté, vit aussi fouiller son château.

Un individu nommé Thomas Érard, plus gravement compromis (il était accusé d'avoir transporté trois barils de poudre de guerre de Caen au Fresne-Poret), fut également relaxé par ordonnance de non-lieu (août 1832).

D'assez nombreuses poursuites pour cris séditieux, distribution d'écrits hostiles, sermons politiques, se terminèrent aussi presque toutes par des acquittements. Le jury, dans l'Orne et dans la Manche, plus que dans le Calvados, montra une générosité intelligente. Composé en majeure partie d'hommes attachés au nouveau régime, il sut faire la part des circonstances et résister aux excitations de certains fonctionnaires qui ne se souvenaient plus qu'ils avaient servi le régime ancien, ou plutôt qui ne s'en souvenaient que trop; il apaisa.

Des postes nombreux de gardes nationaux avaient été établis

'Des contemporains en position d'être bien renseignés nous affirment qu'il avait été chargé de donner le mot d'ordre dans le département de l'Orne; avec un véritable dévouement, il n'était pas l'homme d'un pareil rôle.

2 Arch. de l'Orne.

dans toutes les villes et les bourgs, des patrouilles parcouraient les campagnes. Il y eut des arrestations et des détentions arbitraires, absurdes méme'; des violations de correspondances. Le débit de la poudre de chasse fut interdit, ailleurs que dans les chefs-lieux d'arrondissement; des fonctionnaires subalternes furent révoqués avec une rigueur peu justifiée : taquineries personnelles, excès de zèle, trouble des choses passant dans les esprits; en somme, pourtant, quelques larmes versées, beaucoup de cidre et d'encre, et point de sang'!

Parmi les bas Normands qui prirent une part active à l'insurrection, nous n'en pouvons citer qu'un seul, Philippe de SaintNicolas. Il avait quitté Rennes, où il demeurait alors, pour partager avec Courson le commandement de la division de Vitré; il prit part aux affaires sanglantes de la Bretonnière et de Touchenaux, près de cette ville (29 et 31 mai 1832).

Un des chefs de la chouannerie dans la Sarthe, le comte Henri de Tilly, lui aussi gravement compromis, vint se réfugier à Alençon. Grâce au dévouement de madame Joseph d'Ornant, sa

1 M. de Pr... fut arrêté près d'Argentan, en venant prendre possession de son siége de président du tribunal de première instance; on saisit comme armes des jouets d'enfant ; on arrêta comme des inconnus, au presbytère d'Haleine, quelques prêtres du voisinage réunis pour le service anniversaire de la mère du curé, leur confrère; le brigadier de gendarmerie de Couterne fut déplacé à cette occasion. (Arch. de l'Orne.)

Le comte de Beaurepaire-Louvagny, ancien ambassadeur, homme de bien et d'honneur entre tous, fut, lui aussi, comme inconnu, emprisonué dans une étable, à la porte de son château, et des magistrats s'inscrivirent en tête de la souscription destinée à couvrir l'amende à laquelle les coupables avaient été condamnés. (Journaux du temps, et particulièrement l'Ami de la Vérité, journal de la Normandie, imprimé à Caen.)

2 Philippe de Saint-Nicolas (Charles-René). Né à Alençon en 1790, mort à Angers en 1871; ancien garde d'honneur. Il avait quitté Alençon pour diriger, à Rennes, les messageries royales de l'Ouest; il se jeta dans l'insurrection avec une fougue juvénile; condamné à mort par contumace, il dut an dévouement des royalistes d'Avranches, et plus particulièrement de la famille Lesplu-Dupré, les moyens de passer en Angleterre; il servit ensuite en Portugal la cause de don Miguel et en Espagne celle de don Carlos; breveté lieutenant-colonel; chevalier de Saint-Louis et de plusieurs Ordres étrangers. (Abbe DENIAU, t. VI, p. 655; CRÉTINEAU-JOLY, t. IV, p. 498; · Acte d'accusation contre Saint-Nicolas et consorts, 11 janvier 1833 (Cour de Rennes); Renseignements particuliers.) C'est par erreur que les historiens ci-dessus lui donnent pour second un frère, Arsène; il n'avait point de frère.

[ocr errors]

6

cousine, et de M. Druet des Vaux, qui devait, en 1848, honorer la députation de l'Orne par sa loyauté et son courage, il put se cacher d'abord et plus tard passer en Angleterre.

Nous devions ces dernières pages à cette dernière insurrection, qui fut, comme l'a proclamé un généreux ennemi, M. Jules Simon, l'agonie d'un grand sentiment1».

C'est sur ces nobles et touchantes paroles que nous fermons notre livre sur les insurrections normandes.

L'affaire Nayl, préface, 1883.

« ZurückWeiter »