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PRÉFACE.

A mesure que nous avançons dans l'histoire de l'assemblée nationale, nos préfaces antérieures sur l'initiative se trouvent de plus en plus confirmées. L'absence de cette condition de toute activité propre abandonne la constituante aux impulsions extra-parlementaires.

Elle avait ordonné la société par rapport aux individus, car elle avait dit que le but de celle-ci était le bonheur de ses membres. Une semblable doctrine appelait et justifiait l'usurpation du bénéfice révolutionnaire par les intérêts individuels les plus forts. Après le 14 juillet 1789, nous avons vu la classe bourgeoise commencer des tentatives de ce genre, et les conduire avec beaucoup de persévérance et beaucoup d'énergie.

Les intérêts bourgeois eurent sur les travaux législatifs de l'assemblée l'influence même du principe général renfermé dans sa définition de la société. Aussi ils prirent position sur la vraie conséquence logique déduite de ce principe dans la fameuse déclaration des droits, sur le droit de propriété. De la sorte ils furent maîtres de l'œuvre constitutionnelle. Les autres sources quelconques de réalisation sociale ouvertes par la déclaration, telles que les droits de la vertu et des talens, ne fournirent pas un alôme de loi, parce qu'elles étaient inconséquentes ou contradictoires à la généralité souveraine.

Le terrain choisi par l'assemblée ne lui permettait donc que d'agir pour conserver, défendre et constituer les intérêts bourgeois. Ses dé

crets provisoires de conservation et de défense débutèrent par la loi martiale sur les émeutes. L'ordre nouveau avait triomphé le 14 juillet,' ou tout au moins les 5 et 6 octobre; les émeutes étaient désormais un crime contre l'ordre nouveau. Il existait une mauvaise presse, presse de désordre et d'anarchie, dont la polémique combattait le principe constituant, et dont les prédications soufflaient l'émeute sous prétexte de patriotisme. Vinrent les poursuites d'office contre les journalistes, les répressions de la police municipale, et enfin un décret de l'assemblée sur les auteurs, crieurs et colporteurs. La garde nationale, composée de cette portion de citoyens qui avait pu payer un uniforme, selon l'expression des écrivains du temps, pourvoyait à l'exécution de ces lois. On y avait ajouté des bataillons soldés, dans lesquels on avait fait entrer les vainqueurs de la Bastille bien pensans. Comment contester la légitimité des mesures appuyées par de tels hommes ? La misère et la corruption en firent bientôt de vrais sergens de ville. Nous les trouverons en décembre 1790 signalés comme mouchards, spadassins et assommeurs à la solde des intérêts bourgeois.

Le décret électoral fut l'acte constitutionnel qui livra le domaine politique à la bourgeoisie: alors son droit d'exploitation s'assit sur une base royale. Les termes de ce décret sont si décisifs et si clairs; ils renversent si complétement la civilisation chrétienne tout entière, qu'une réfutation est ici une bonne fortune.

Cette loi divise les citoyens en deux classes, la classe active et la classe passive, l'une gouvernante, l'autre gouvernée. Les mots citoyens actifs, citoyens passifs, sont d'une propriété très-remarquable; car gouverner, c'est donner le mouvement, c'est agir; être gouverné, c'est recevoir le mouvement, c'est être passif. De plus, ils appartiennent à la terminologie de la science sociale, et nous allons lui en demander le sens et la place dans l'ordre du développement humain.

Les dogmes civilisateurs qui se sont succédé jusqu'au christianisme, sont fondés sur la différence d'activité à passivité. Ils enseignent que, parmi les hommes, il y en a d'actifs, de libres, de responsables, et qu'il y en a de passifs, d'esclaves, d'irresponsables. Les premiers recevaient seuls l'éducation, la connaissance du bien et du mal; et seuls ils avaient la capacité du devoir, c'est-à-dire des fonctions sociales; et celle du droit, c'est-à-dire de l'instrument de ces fonctions. Les seconds, re

connus incapables.d'agir, n'apprenaient point la règle des actes, et partant il n'y avait lieu pour eux ni à devoirs ni à droits. Ces mineurs conservés ou exploités par la tutelle, selon qu'elle leur était distribuée du point de vue du devoir ou du point de vue du droit, marchaient progressivement à leur émancipation, car ils en acquéraient progressivement la condition, c'est-à-ċire la faculté du libre arbitre.

Expliquons-nous : Le signe de notre activité spirituelle, la parole, ne fut pas d'abord commun à tous les hommes. L'esclavage primitif tira sa justification de l'absence de ce signe, et ceux qui ne le possédaient pas, furent alors des citoyens tellement passifs qu'on ne les distinguait pas des animaux. Cet état répond à la formule: Il y a sur la terre des dieux et des hommes (').

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Ce mutum pecus atteignit la civilisation suivante, parlant à peine un patois grossier; et la seconde formule, Il n'y a sur la terre que des anges déchus, la laissa dans les liens de la passivité; mais elle rendit ceux-ci moins pesans et moins immédiats. En effet, le principe antérieur n'ayant produit d'autre système d'échange que celui des instrumens de travail eux-mêmes, il en résultait que les esclaves inhabiles à posséder les instrumens de travail n'avaient aucun moyen d'affranchissement. Le principe égyptien, en créant le système monétaire, donna occasion au pécule et au rachat.

Durant cette période, l'esclavage perdit sa justification. Il fallait donc qu'une formule nouvelle fit disparaître toutes les traces de la passivité dans la famille humaine, et constatât dans chacun de ses membres la présence d'une âme raisonnable. Et ne pensez pas que la science engendrée par les dogmes précédens pût sortir de l'enceinte qu'ils avaient tracée,

Ceci est philosophiquement rigoureux. La logique appliquée à un principe ne peut en extraire que les conséquences qu'il recèle: un à posteriori ne saurait surpasser d'un iota la virtualité inventrice de l'à priori dont il émane.

Cela est historiquement démontré. Le dernier effort scientifique sur le dogme égyptien fut opéré par Socrate et par ses élèves. Il nous serait facile de prouver que les spéculations les plus transcendantes

(1) Voir dans l'Introduction à la science de l'histoire ou Science du développe. ment de l'humanité, par P.-J.-B. BUCHEZ, le chapitre Androgenie, et celui de la motricité.

d'Aristote et de Platon ne furent que la traduction métaphysique de la théologie, que ce dogme avait d'abord parlée. Il nous suffira d'établir notre assertion en ce qui touche la science sociale. Ces deux théoriciens proposèrent des organisations politiques, dans lesquelles la passivité était un élément fondamental. Tous deux immobilisèrent l'esclavage, et leur constitution modèle consacra le droit naturel des actifs sur les passifs. Aristote surtout caractérise avec sa netteté ordinaire l'essence et l'extension de ce droit. Il définit la société le lien fédéral des familles, et la famille une unité composée d'une âme, d'une activité, le maître; et d'un corps, la femme, les enfans, les esclaves, la terre ; les instrumens animés et inanimés, en un mot la passivité. Il dit que le droit du maître n'a qu'un nom en grec', et qu'on l'a distingué par des épithètes toutes les fois qu'on l'a spécialisé en le rapportant à l'un des objets qu'il implique. Cette remarque met à découvert les limites de la tutelle; elle nous montre à côté de l'esclave la femme et l'enfant confondus dans le même despotisme, d'où il suit que le verbe d'émancipation devait les comprendre et les affranchir tous les trois.

La formule chrétienne, tous les hommes sont enfans de Dieu, consacra et constitua à l'état actif toute existence humaine. En conséquence, elle leur donna l'enseignement moral, et leur conféra la capacité du devoir et celle du droit. L'esclave, la femme, l'enfant lui-même, à qui une organisation préparée par les progrès des générations antérieures, permettait de posséder de bonne heure le signe de l'activité, la parole, tous furent reconnus, par ce dogme, des élémens sociaux aussi complets que leur maître d'autrefois. Les bornes de cette préface nous interdisent l'examen des institutions sacramentelles par lesquelles le christianisme ouvrit aux spontanéités qu'il intrônisait la route des institutions sociales. Seulement, nous observerons en passant que les saint-simoniens, qui s'annoncèrent dernièrement parmi nous comme les émancipateurs de la passivité pure, de la matière, méconnurent à la fois et la tutelle ordonnée jusqu'à la venue d'un esprit dans les corps esclaves, et l'affranchissement de ces corps munis enfin du principe actif. A l'appui de leur prétention, qui ne se rattachait à aucune tradition historique ou philosophique, ils apportèrent des axiomes tels que l'homme et la femme sont les deux aspects de l'élément social. N'est-ce pas là, nous le demandons, la doctrine d'Aristote? Il n'y manet la logique les y eût amenés, que l'esclave et l'enfant.

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