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nous autres pauvres chats, attachés au sol qui les a vu naître; ils peuvent voler par les airs à une autre patrie; ceux qui vous manquent, jaloux sans doute de la préférence que vous montrez à quelques-uns d'entre eux, ont été chercher l'égalité dans des colombiers républicains, plutôt que de traîner l'aile sous la domination insolente de vos pigeons favoris.

L'accusation qu'on intente contre nous d'avoir attrapé quelques-uns de vos serins, est une imposture grossière. Les mailles de leur volière sont si petites, que lorsqu'en jouant nous essayons d'y passer nos pattes, nous avons beaucoup de peine à les en retirer. Nous nous amusons, il est vrai, quelquefois à voir de près leurs jeux innocens; mais nous n'avons pas à nous reprocher le sang d'aucun de ces jolis oiseaux.

Nous ne nous défendrons pas de même d'avoir mangé autant de moineaux, de merles et de grives, que nous en avons pu attraper: mais ici nous avons pour nous vos Abbés mêmes, nos plus cruels ennemis: ils se plaignent sans cesse du dégât de cerises que les moineaux font, disent-ils, à leur préjudice. Le Sieur Abbé M. montre une haine ardente contre les grives et les merles, qui dépouillent vos treilles de raisins, ainsi que lui. Mais il nous semble, très-illustre Dame, qu'il vaudroit autant que vos raisins fussent mangés par des merles que par des Abbés, et qu'en vain ferons-nous la chasse à ces pillards ailés si vous tolérez chez vous d'autres

voleurs à deux pieds sans plumes qui y font encore de plus grands dégâts.

Nous savons qu'on nous accuse aussi de manger les rossignols qui ne volent rien, et qui chantent, diton, fort agréablement. Il se peut en effet que nous en ayons croqué quelques-uns, dans l'ignorance où nous étions de votre affection particulière pour eux; mais leur plumage terne et gris ressemble beaucoup à celui des moineaux, et nous ne nous connoissons pas assez en musique pour distinguer le ramage des uns et des autres. Un chat de M. Piccini' nous a dit, que quand on ne savoit que miauler on ne pouvoit pas juger de l'art du chant, et cette maxime suffit à notre justification. Cependant nous mettrons désormais le plus grand soin à distinguer les Gluckistes, qui sont, nous a-t-il dit, les moineaux, des Piccinistes, qui sont les rossignols. Nous vous supplions seulement de nous pardonner les erreurs où nous pourrions tomber en dénichant quelque couvée de Piccinistes, qu'il est impossible de reconnoître lorsqu'ils sont sans plumes, et qu'ils n'ont pas encore appris à chanter.

La dernière imputation que nous repousserons, très-illustre Dame, est celle qu'on tire contre nous du grand nombre de souris dont votre maison est infestée. Elles font, dit-on, un dégât horrible dans votre sucre et vos confitures; elles rongent les livres de vos savans, et jusqu'aux mules de Mademoiselle

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1 Compositeur Italien. * Gluck, compositeur Allemand.

Luillier dans le tems même qu'elle marche. On prétend que les chats n'étant créés et mis au monde par la Providence, (qui veille avec une égale bonté sur les chats et les souris,) que pour manger les souris, quand ils ne remplissent pas leur destination, on n'a rien de mieux à faire que de les noyer.

Certainement, très-illustre Dame, il vous est aisé de reconnoître le langage de l'intérêt personnel dans la bouche de nos accusateurs. Le Sieur Cabanis, qui fait chez vous une consommation énorme de confitures et qui va sans cesse dérobant des morceaux de sucre lorsqu'il croit n'être pas vu, a ses raisons pour vous faire regarder comme un crime capital la gourmandise de quelques souris qui écornent un pain, ou entament avant lui un pot de gelée de groseilles: mais il montre une âme encore plus atroce qu'intéressée lorsqu'il nous juge dignes de mort parceque nous n'empêchons pas ces petites bêtes de faire la millième partie d'un dégât que lui-même, tout grand qu'il est, fait sans discrétion comme sans remords: et pousseroit-il plus loin sa barbarie envers nous si, comme lui et les souris, nous étions nous-mêmes des animaux sucro-phages et confituri-vores? N'est-il pas manifeste que sa gourmandise seule lui inspire des sentimens si cruels, et pourriez-vous leur donner entrée dans votre cœur?

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Vieille femme-de-chambre de Madame H.
Ami de Madame H. demeurant chez elle.

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Pour les livres du Sieur Abbé de la Roche et de cet autre savant,' dont nous avons lu tout-à-l'heure le discours à l'Académie enveloppant un mou de veau que vous avez eu la bonté de nous faire donner; quel est donc le grand mal que les souris mangent un peu de leurs bouquins? A quoi leurs servent toutes leurs lectures? Depuis qu'ils vivent auprès de vous, ne doivent-ils pas s'être pleinement convaincus de l'inutilité du savoir? Ils vous voient bonne, sans le secours d'aucun Traité de Morale; aimable sans avoir lu l'Art de Plaire de notre historiographe Moncrief, et heureuse sans connoître le Traité du Bonheur, du malheureux Maupertuis; en même tems qu'ils sont les témoins journaliers de votre profonde ignorance. Ils savent beaucoup de choses, mais ils ignorent l'art que vous savez si bien de vous passer de rien savoir. Votre orthographe n'est pas beaucoup meilleure que la nôtre, et votre écriture ne vaut pas mieux que notre griffonage. Vous écrivez boneure pour bonheur; mais vous possédez la chose sans savoir comment son nom s'écrit; enfin, ce bonheur même qu'ils ne savent pas puiser dans leurs livres, du haut de votre ignorance vous le répandez sur eux. Les souris ne leur font donc pas un si grand

tort.

Quant aux mules de Mademoiselle Luillier, pour peu qu'elle voulût aller moins lentement, les

'L'Abbé Morellet.

souris ne lui mangeroient pas les pieds; et il est étrange qu'on nous condamne à la mort parceque votre femme-de-chambre n'a guères plus de mouvement qu'un limaçon.

Ces raisons si fortes ne sont pas encore les seules qui peuvent nous excuser envers vous des dégâts que les souris font dans votre maison.

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Ah! très-illustre Dame, en quelle conscience peut-on se plaindre de ce que nous ne prenons pas vos souris, lorsque vous avez sans cesse auprès de vous deux monstres altérés de notre sang, qui ne nous permettent pas d'approcher de votre chère personne, comme la reconnoissance et le devoir nous y porteroient? deux chiens, c'est tout dire ; animaux nourris dans la haine des chats, dont les aboiemens continuels nous remplissent de terreur. Comment ose-t-on nous reprocher de nous tenir éloignés des lieux où règnent ces animaux féroces, en qui la nature a mis l'aversion pour notre race et la force pour la détruire? Encore, si nous n'avions affaire qu'à des chiens François; leur haine ne seroit pas si active, leur ferocité seroit moindre; mais vous êtes toujours accompagnée d'un bull-dog que vous avez fait venir d'Angleterre, (au mépris des sages dispositions de M. le Contrôleur-Général) et qui nous hait doublement, comme chats François. Nous voyons, sous nos yeux, tous les jours, les cruels effets de sa rage, dans la queue dépouillée de notre frère Le Noir. Notre zèle pour votre service, et même le goût que nous avons

VOL. I.

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