Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

cret de les renfermer dans le cadre étroit d'une création lyrique. Avec quel art il force le sujet à obéir aux ordres du génie, et nous conduit de l'enlèvement d'Hélène à la ruine d'Ilion!

α

Quand le berger phrygien, hôte adultère et perfide, entraînait Hélène sur les mers, tout à coup Nérée enchaîna les Vents indignés du repos, pour prédire au ravisseur ses cruelles destinées. »>

Que ce début vraiment lyrique est à la fois grand et simple! que de souvenirs il réveille! quelle attente il excite ne croit-on pas voir ici le devin que Racine nous représente avec un air si effrayant?

Entre les deux partis Calchas s'est avancé,
L'œil farouche, l'air sombre, et le poil hérissé,
Terrible, et plein du dieu qui l'agitait sans doute,

Calchas impose à toute l'armée par cette apostrophe:
Vous, Achille, a-t-il dit, et vous, Grecs, qu'on m'écoute.

Mais quelle terreur inspirent au coupable les premières paroles de Nérée qui le surprend ainsi au milieu du triomphe de son crime! «Sous quel fatal auspice conduis-tu dans ton palais cette femme que va te redemander la Grèce tout entière, la Grèce réunie par le serment de briser ton hymen impie et le trône antique de Priam! Quels flots de sueur inondent les chevaux et les guerriers! Que de funérailles tu apportes à la race de Dardanus! Déjà Pallas prépare son casque et son char et sa rage! » Arrêtons-nous un moment ici. Avec quelle rapidité le poëte franchit la distance des lieux

et les intervalles des faits! En deux strophes de quelques vers, voilà le ciel et la terre soulevés contre un peuple par la faute d'un homme!

Au milieu de toutes les horreurs de la guerre, quand l'Europe et l'Asie sont aux prises pour lui seul, que fait l'auteur de tant de calamités? Prend-il du moins sa part des périls de la patrie? Le voyons-nous regarder et suivre dans les batailles le panache du redoutable Hector? Le lâche n'a pas même le courage de combattre pour défendre sa conquête. A cet aspect, le poëte ou le dieu s'indigne et lui crie: « En vain, trop fier de l'appui de Vénus, tu feras briller ta chevelure; en vain ta lyre efféminée partagera ses faveurs entre des beautés attentives; en vain, réfugié au fond de ton palais, tu croiras éviter les pesantes javelines, les flèches aiguës du Crétois, le bruit des armes et l'ardente poursuite du léger Ajax: il viendra ce jour, hélas! trop tardif, où tes cheveux adultères seront traînés dans la poussière humide de ton sang!'» Après ces menaces dont l'ironie est si

[ocr errors][merged small][merged small]

Mais Horace crée une image bien plus forte que ces expressions:

Tamen, heu serus adulteros
Crines pulvere collines.

Les hommes livrés aux délices et vains de leur beauté, comme Pâris, donnaient de l'éclat à leurs cheveux avec de l'huile et des essences. Le

cruelle, vous croyez peut-être la vengeance de Nérée satisfaite. Pâris est mort; nous le voyons défiguré sur l'arène, puni dans sa beauté, source de son orgueil. Ce n'est point assez; le Dieu semble le ranimer pour jouir du spectacle de ses nouvelles frayeurs : «Ne vois-tu pas derrière toi Nestor de Pylos, et le fils de Laerte, ce fléau de ta race? Sur toi s'élancent, d'un air intrépide, Teucer de Salamine et Sthénélus son rival! Tu connaîtras aussi Mérion!.... Ce héros dont la fureur brûle de te rencontrer, c'est le cruel Tydée, plus vaillant que son père.»>

Nul repos, nul relâche pour Pâris; tout pâle d'effroi devant les redoutables ennemis qui l'environnent, et surtout devant son dernier adversaire, il se dit tout bas à lui-même: «Où fuir? où me cacher?» Nérée le voit, l'entend, et nous révèle ainsi les secrètes pensées de l'indigne frère d'Hector: «Comme le cerf timide, qui aperçoit un loup de l'autre côté du vallon, oublie au moment même l'herbe tendre des prairies, tu fuis devant ce guerrier, tu fuis tremblant de faiblesse et respirant à peine du fond de ta poitrine haletante! Ce n'étaient pas là tes promesses à ta complice! »

On pourrait croire que le poëte manque ici à la loi

mot collines, qui signifie frotter, enduire, fait une allusion cruelle aux mœurs de Pâris. Le poëte nous montre souillée par la poussière et le sang, cette tête naguère embellie et parfumée des mains de la mollesse. Les cheveux adultères sont une hardiesse prise dans la nature des choses.

de la gradation, qu'il nous offre un tableau moins riche de couleur et plus faible d'intérêt que celui du coupable étendu sur la poussière. Mais outre que la poésie lyrique, et surtout un oracle, aiment un certain désordre passionné, les conseils de l'art peuvent avoir suggéré à Horace la pensée de fermer tout accès à la pitié, en ajoutant un nouveau degré à la haine par le mépris.

Cette composition me paraît un modèle ; la raison et la morale se réunissent pour l'approuver. La fiction, conforme aux traditions reçues, a le mérite de la vraisemblance, puisque Nérée est à la fois un oracle et un des dieux de la mer. Le caractère de Nérée se montre tout entier dans les paroles et dans l'accent de son indignation, qui peignent d'une manière si vive la mollesse, la terreur de Paris, et les diverses attitudes des héros d'Homère acharnés à sa perte. On pouvait donner ici carrière à l'imagination, déployer une grande richesse de couleur. Eschyle et surtout Euripide auraient succombé à cette double tentation du sujet; le jugement d'Horace l'a préservé d'une faute. En effet, avec des ornemens plus ambitieux, nous posséderions une ode plus étincelante, nous n'aurions pas le véritable chant de Nérée. Les menaces d'un mortel semblent avoir besoin d'un certain luxe de paroles; les prédictions infaillibles d'un dieu tirent leur force et leur éclat de leur brièveté. L'ode d'Horace me semble belle de tout ce qu'elle contient, et de tout ce qu'une raison sévère n'a pas voulu y laisser entrer. Le merveilleux accord du style avec la nature du sujet, et les mœurs du prin

cipal personnage, achèvent de donner le mérite de la perfection à cette ode.

L'apothéose de Romulus respire une chaleur dramatique qu'on ne trouve ordinairement qu'au théâtre ; peut-être même les deux discours de Junon, dans le premier et dans le septième livre de l'Énéide, n'ontils pas plus d'éloquence que les paroles de flamme que 'le poëte lyrique prête à cette déesse. La haine immortelle de Junon se trahit par le premier cri échappé de son cœur : « Ilion! Ilion! un juge adultère et fatal à son pays, une femme étrangère et ravie par un crime, t'ont réduit en cendres 1. Judex est le mot de la passion', il nous révèle les causes du ressentiment de la reine

Horace a mis en scène et animé d'un mouvement dramatique ce que Virgile retrace dans ces beaux vers de l'exposition de l'Énéide:

Necdum etiam causæ irarum sævique dolores
Exciderant animo, manet altà mente repostum
Judicium Paridis spretæque injuria formæ.

Virgile raconte, Horace peint avec des traits de feu. Dans l'Énéide, nous écoutons le poëte; dans l'ode, nous entendons la déesse ellemême. Il est encore à remarquer que trois vers suffisent ici à Horace pour nous rappeler presque tout ce que renferment les prédictions de Nérée, c'est-à-dire le crime de Pâris et d'Hélène, l'origine de la guerre de Troie et la chute de l'empire de Priam.

Ilion, Ilion,

Fatalis incestusque judex,
Et mulier peregrina vertit

In pulverem.

« ZurückWeiter »