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guste et celui de la patrie. A quelle distance le premier de ces deux hommes est du second! Qui pourrait égaler Horace lorsque, loin de la cour et de son siècle, il se réfugie auprès de la statue de l'ancienne Rome, divinité de son génie ? C'est alors qu'il a le droit de s'écrier : « Non omnis moriar!» Nous ne connaissons pas le génie d'Horace tout entier. Horace devait être le premier des lyriques du monde : une partie de la gloire du poëte brille du plus vif éclat, tandis que l'autre est restée dans l'ombre par sa faute. Je ne poursuivrai pas le développement de cette affligeante pensée; mes lecteurs me permettront sans doute de la réserver pour un autre ouvrage, ainsi que de plus longs détails sur nos études d'Horace dont il me suffira d'indiquer ici les éléments,

Fidèle à la loi de regarder avant tout la composition du poëte, j'offrais à mes auditeurs des rapprochements avec les chœurs des tragédies grecques, avec la Bible et les lyriques modernes. La moisson à faire dans le vaste champ ouvert par ces comparaisons, était abondante; elle enrichit beaucoup nos entretiens. Homère et Virgile, Ovide, Lucain et Juvénal, le Dante, le Tasse, Pétrarque, nous fournirent d'autres parallèles non moins utiles, soit pour marquer les limites des genres, soit pour reconnaître comment le génie de chacun de ces écrivains imprime à leur pensée une forme originale. Par les mêmes motifs, et par d'autres encore, nous opposions souvent Horace aux grands prosateurs. Il y a dans ces parallèles de salutaires avis à recueillir, surtout chez un peuple où la prose, enhardie par

une espèce de faveur publique, menace d'usurper le domaine de la poésie. Je remarquais encore les rapprochements et les contrastes de mœurs entre le dix-huitième siècle et celui d'Horace. Chaulieu, Voltaire et la cour du régent, mais Voltaire surtout, rendaient aussi instructive que piquante l'explication d'une ode badine ou d'une épître familière.

L'étude approfondie du style savant et hardi qu'Horace paraît avoir emprunté aux Grecs, mais dont nous ne retrouvons pas les traces même dans Pindare, avait aussi de l'attrait parce qu'elle nous conduisait à des découvertes. C'est ainsi que nous reconnûmes l'artifice des transitions du poëte que Laharpe, et beaucoup d'autres avant lui, n'ont peut-être pas soupçonnées. Le besoin de prévenir la fatigue qui naît de l'uniformité, nous suggéra un autre moyen de soutenir l'attention: au lieu de suivre l'ordre des compositions d'Horace, je les distribuais de manière à leur donner plus d'intérêt par des contrastes ou des similitudes de sujets, et par des oppositions de formes, qui prouvaient la souplesse et la variété du poëte.

Horace, considéré sous tous ces rapports, me porta bonheur mes leçons ne ressemblèrent à celles de personne, et obtinrent quelques succès, surtout lorsque le suffrage de quelques vieillards que j'appelais la couronne de mon cours, m'eut rendu moins timide à dire ce que je savais le mieux. Le travail que j'ai fait pour plaire à ces hommes que je ne connaissais pas d'abord, ne peut être su que de moi. Pendant les leçons, je leur adressais les observations

critiques qui m'étaient suggérées par les interprétations d'Horace; mes regards se portaient vers eux à la dérobée, comme sur mes juges: leur gravité me causait des alarmes, leur sourire accordé à mes efforts m'inspirait comme une approbation. Quand je crus avoir acquis leur bienveillance, lorsque plusieurs d'entre eux m'eurent donné leurs suffrages par des lettres ou par des paroles également flatteuses, je parvins à triompher de cette contrainte si nuisible à l'essor de la pensée; c'est alors que j'osai me livrer par degrés à l'improvisation fécondée par l'étude.

Horace combat le fol enthousiasme de son siècle pour tous les écrivains anciens, il reprend avec une franchise entière les défauts de Lucile, son maître dans la satyre; il respecte les hautes renommées, mais sans être à genoux devant elles; sa raison juge ce qu'elle admire. La devise d'Horace était, en littérature comme en morale : Quid verum atque decens curo et rogo, et omnis in hoc sum. Ainsi donc j'aurais pu penser qu'Horace lui-même me donnait le droit de tout dire sur Horace; mais la juste défiance de mes forces, et une foule de convenances faciles à deviner, me rendirent d'abord très circonspect à user des droits de la critique envers un si grand écrivain; je me sentis plus timide encore devant le chantre d'Énée.

Virgile se présente à nos regards comme l'égal d'Homère; peut-être non moins souvent imité que son modèle par des hommes de génie, tels que le Dante, le Tasse, Milton, Camoëns, Fénélon et Voltaire, il passe aussi pour leur maître chez tous les peuples qui ont une

littérature. Mais les Français lui ont voué une espèce de culte; la plupart d'entre eux admirent un peu sur parole le chantre d'Achille; n'entretenant point un commerce assidu avec ce prince des poëtes, ils ne le connaissent point assez '; au contraire, ils sont familiarisés avec son rival: la maison la plus obscure a souvent pour Virgile un autel semblable à celui des dieux pénates chez les anciens. Homère offre des longueurs qui nous fatiguent, des trivialités qui répugnent à notre délicatesse moderne; les mœurs de ses héros présentent un mélange de grandeur et de grossièreté que nous avons peine à souffrir, même quand nous y reconnaissons l'empreinte de la vérité. Virgile, toujours sobre de détails, toujours noble et décent, nous attache encore par une autre raison. Dans ses tableaux, l'Italie d'Auguste rappelle souvent la France de Louis XIV; à vingt siècles de distance, la cour des deux princes offre des ressemblances singulières, et ce rapprochement nous rend plus sensibles encore à l'heureuse opposition que l'humble Rome d'Évandre forme avec la grandeur de la reine du monde : d'ailleurs, Virgile est clair, facile, harmonieux; son imagination

De jour en jour ce reproche devient moins fondé : il s'est fait dans nos écoles un changement très favorable à la langue grecque. Homère compte maintenant parmi les jeunes gens une foule d'admirateurs qui le lisent avec délices, et l'étudient avec constance. Ils ont pris pour devise le précepte d'Horace :

Nocturna versate manu, versate diurnâ.

n'a rien de gigantesque, sa marche rien de déréglé. Il excelle à exprimer toutes les passions tendres du cœur humain, surtout celle qui règne sur notre théâtre depuis deux siècles, et dont nous aimons à voir diviniser les faiblesses. Enfin, accoutumés à répéter les vers de Virgile depuis notre jeune âge, nous le regardons comme un modèle achevé du beau, nous l'aimons presque autant que nous aimons Racine; sa gloire semble intéresser notre orgueil national. Concevoir quelques doutes sur la perfection d'un auteur ainsi consacré, devait passer pour une témérité devant des Français. La haute renommée de Virgile, la prédilection certaine de mes auditeurs pour lui, m'imposaient beaucoup de respect et de précaution. Cette retenue devenait d'autant plus nécessaire, que je devais trouver dans l'Énéide un plus grand nombre d'observations critiques que dans quelques odes d'Horace. Une épopée est une vaste tragédie; les passions y figurent comme sur le théâtre. Obligé de les faire agir et parler sans cesse, le poëte le plus habile ne peut éviter des moments d'impuissance et de langueur, des fautes contre la vérité, des invraisemblances, des scènes vides et des intervalles de sommeil pour l'action.

Une multitude de comparaisons s'élevaient devant nous, et allaient encore accroître la moisson du critique. Au lieu d'étaler cette moisson, il fallait en cacher une partie ; au lieu d'ouvrir la main pour répandre toutes les vérités qu'on avait pu recueillir, il fallait imiter la réserve de Fontenelle, et surtout éviter jusques à l'ombre de la malignité. La seule idée de paraître

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