Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

CHAPITRE PREMIER

Défauts sensibles de l'éducation intellectuelle dirigée suivant l'ancienne méthode universellement adoptée.

Dans les temps primitifs les pères étaient les seuls précepteurs de leurs enfants, et ne connurent rien de plus expédient pour une bonne éducation que de les accoutumer à suivre en tout les opinions, les maximes reçues et les usages établis.

On ne faisait entrer dans le plan d'éducation ni l'étude des langues étrangères, ni celle des sciences et des arts qu'on ne connaissait pas encore. Tout se réduisait à apprendre par cœur quelques chants destinés à conserver la tradition primitive, le souvenir des événements importants, et à retracer les idées de religion et les usages qui pour lors tenaient lieu de lois.

On peut bien présumer que les pères ne négligèrent pas dans la suite de communiquer à leurs enfants les premières observations ou découvertes que les hommes avaient faites, les premières connaissances qu'ils avaient acquises sur les objets qui pouvaient les intéresser par des rapports sensibles avec leurs besoins et leurs goûts. Mais ces observations, ces découvertes. ces connaissances se réduisaient encore à des faits isolés, et en trop petit nombre pour être ramenés par l'induction à des vérités générales et employées comme principes dans l'art du rai

sonnement.

Nous avons vu (— partie Ire, chapitre IIme —) comment les hommes s'élevèrent peu à peu à ces principes généraux et aux expressions générales, et comment les docteurs, chargés de l'instruction des jeunes gens, bornèrent à cela leurs enseignements et adoptèrent la méthode appelée synthèse, qui commence toujours par les vérités les plus générales pour descendre de là par degrés aux particulières. Nous ne répétons pas ce que nous avons déjà dit des grands inconvénients qui résultèrent de l'emploi d'une méthode si peu propre pour instruire ceux qui n'ont point encore d'expérience; il nous suffira d'observer que dès lors toute l'instruction fut réduite à des notions générales, associées à des termes abstraits, auxquels les jeunes gens ne purent jamais attacher aucun sens bien déterminé, et dont ils durent dès là même faire le plus souvent des applica

tions fausses, lorsqu'ils voulurent s'aviser de raisonner à l'imitation de leurs maîtres.

Les enfants raisonnant mal pour l'ordinaire par une suite nécessaire de cette méthode, on dit, et il passa en maxime, qu'ils sont incapables de raisonnement, et de toutes les opérations intellectuelles dont l'exercice est nécessaire pour acquérir la connaissance des choses; d'où l'on conclut qu'il fallait laisser à leur jugement le temps de se former et mûrir par lui-même et, en attendant, se borner à exercer leur mémoire sur des mots, des langues étrangères, et tout ce qui peut s'apprendre par cœur. Telle fut et telle est encore l'erreur généralement répandue; erreur destructive de toute bonne éducation intellectuelle. De là sont résultés les abus suivants, dominants encore dans tous les collèges :

1o On se donne beaucoup de peine pour apprendre des mots aux enfants, et peu ou point pour les instruire des choses; par là on charge leur mémoire de mots qui sont pour eux vides de sens, puisqu'ils ne sauraient y attacher aucune valeur déterminée, pendant qu'ils n'ont pas acquis auparavant la connaissance des objets ou des faits que ces mots sont destinés à exprimer : cela est surtout frappant lorsqu'il s'agit des mots qui expriment des objets non sensibles, idéaux et abstraits.

2o On les occupe sans cesse de grammaire, dont les idées et les expressions abstraites et métaphysiques sont inintelligibles pour eux, et on

ne pense point à leur faire connaître les choses qui seraient à leur portée, ce monde qu'ils habitent, cette terre qui les soutient, les productions qui les nourrissent, les animaux qui les servent, les hommes qui s'emploient à satisfaire leurs besoins, les métiers et les arts industrieux dont ils retirent tant d'usages, les événements qui ont produit tant de révolutions chez les peuples, et autres objets d'un intérêt général, qu'il est honteux d'ignorer, et dont il faut absolument instruire les enfants, si l'on ne veut les exposer au risque de les ignorer pour toujours et de jouer toute leur vie le triste rôle de pédants, hérissés d'une science stérile, et destitués de l'expérience qui est la base de toutes les sciences vraies et utiles.

3o On néglige de les instruire de leur langue maternelle, quoiqu'elle soit proprement la seule dont ils soient capables d'acquérir une connaissance un peu exacte, à mesure qu'ils avancent dans la connaissance des choses; la seule qu'ils puissent apprendre facilement par l'usage, et se rendre familière par l'habitude : et avant qu'ils soient en état d'exprimer dans cette langue les choses les plus communes de la vie, on les applique à l'étude d'une langue étrangère, ancienne et morte, et qu'il leur est même impossible d'étudier régulièrement, ni d'entendre, sans le secours d'une connaissance assez exacte et approfondie de leur propre langue. La raison de ce que je dis ici est toute simple. Quand on apprend

par l'usage sa langue maternelle, on est dans le cas de lier sans cesse immédiatement les mots avec les idées ou les objets; mais dès qu'on étudie une langue étrangère, on est contraint, par une suite naturelle de la constitution de l'esprit humain, d'en lier les mots immédiatement avec les mots correspondants de sa propre langue; et cela demande nécessairement qu'on connaisse auparavant bien ceux-ci, qu'on en ait même l'usage très familier pour les rappeler promptement au besoin et sans équivoque sur leur véritable valeur. Comment d'ailleurs bien saisir le mécanisme, le génie, les idiotismes d'une langue étrangère quelconque, si l'on n'est en état d'en faire un parallèle continuel avec la sienne propre, pour en marquer les analogies ainsi que les différences, et en rapprocher les tableaux?

4° Quelle est encore cette langue étrangère à laquelle on croit qu'il est si essentiel d'appliquer les enfants dès leur entrée dans les collèges ? C'est une langue riche, sans doute, intéressante par son énergie et ses beautés, que le monde savant a adoptée de préférence depuis bien des siècles; mais c'est aussi une langue des plus difficiles par sa composition très compliquée, par la multitude prodigieuse de ses tours et de ses idiotismes, et par le peu d'analogie qu'elle a avec la nôtre pour la construction. Bien des gens pensent comme moi, qu'il vaudrait beaucoup mieux commencer l'instruction par la langue grecque, non moins riche, non moins belle que la langue

« ZurückWeiter »