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sont aussi sages et aussi éclairés que nous ? Et sur cet argument sans réplique et ad hominem on s'abandonne à la route ordinaire.

J'avoue qu'il faudrait être bien chimérique pour se promettre d'introduire dans l'esprit des jeunes gens les éléments de ces belles sciences, et de les former sur la raison, pendant que leur éducation sera confiée à des gens sans habileté, à qui l'école fournit un asile contre la faim. Mais si l'on voulait une fois ouvrir les yeux, et regarder comme capital ce qui l'est effectivement, et ce qu'il y a au monde de plus important et de plus nécessaire, je veux dire une heureuse éducation, il serait moins difficile qu'on ne croit de remplir la société d'hommes raisonnables.

Je persévère donc dans mes sentiments, et je conçois que l'on devrait instruire la jeunesse dans les mathématiques, sans les fatiguer, leur en enseigner peu à la fois, les faire repasser sur les mêmes leçons et ne les pousser à des suivantes qu'après qu'ils se seraient rendu les précédentes tout à fait familières. Il les leur faudrait enseigner avec un esprit de douceur, et leur faire regarder ces leçons comme un honneur dont on récompenserait le reste de leurs occupations; car en même temps on leur ferait aussi apprendre les langues, on les pousserait dans l'histoire, on y joindrait ensuite la philosophie, et à mesure qu'ils avanceraient en âge, on avancerait chez eux les mathématiques et les autres sciences en même temps. Et plus loin il ajoute :

Ceux qui voudront se donner la peine de lire attentivement l'essai que je joins à ce discours, et de le comparer sans prévention avec les règles de la Grammaire, qui sont presque l'unique étude de la plupart des enfants, se convaincront aisément que mon Arithmétique démontrée roule sur des principes plus simples et d'une application plus aisée et beaucoup moins embarrassée d'exceptions et de variétés que ce qu'on est en possession

de faire regarder comme l'occupation la plus à portée de l'enfance.

Traité de l'Education des Enfants.

(La Haye, 1722.)

Je reconnais qu'on ne saurait guère rendre de service plus considérable à la société que de mettre les écoles publiques où l'on élève la fleur de la jeunesse et l'espérance de l'Etat, sur un tout autre pied qu'elles ne sont. II ne serait pas difficile de former là-dessus d'excellents projets; mais leur exécution dépend de ceux à qui le Souverain de l'univers a confié le soin des hommes. II faudrait un beaucoup plus grand nombre de classes, afin qu'il y eût moins d'écoliers dans chacune. Il faudrait attirer à ce pénible emploi, par de grosses pensions, des personnes de mérite qui leur fissent honneur par leurs qualités personnelles, au lieu que ces charges, quoique des plus honorables par elles-mêmes et des plus intéressantes pour la société, sont abandonnées au rebut des gens de lettres. Un pauvre misérable, qui se sent trop peu de talent, ou qui se trouve trop paresseux, pour prêcher une fois la semaine à une troupe de paysans, se rabat sur une régence. Il faudrait enfin apporter toute l'application à faire d'excellents choix entre ceux qui se présenteraient. Avant qu'on soit résolu à cela, il est inutile de dresser de nouveaux plans. Je prendrai la liberté d'ajouter que rien ne me parait plus digne d'attention; l'éducation des hommes a plus d'influence qu'on ne saurait dire dans la société, soit en bien, soit en mal, et s'il y a quelque chose qui mérite les soins de ceux qui la gouvernent, c'est le bon état des écoles, objet pourtant de leur indifférence. Il n'y a presque rien dont on soit moins en peine.

Pensées libres sur les Instructions publiques du bas Collège. (Dans divers ouvrages de M. de Crousaz, Amsterdam, 1737.)

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C'est dans ce qu'on appelle les bas collèges, les écoles inférieures, que l'on pose les fondements de ce que l'on

est destiné à apprendre dans les auditoires supérieurs. Il n'est pas nécessaire d'en dire davantage, pour persuader de la nécessité d'en bien régler les établissements ceux qui connaissent l'importance de la première éducation et l'influence du premier âge sur le reste de la vie, le naturel enfin du cœur humain et la force des habitudes. C'est dans ces premières écoles qu'on se forme à prononcer mal, à la chicane, à l'humeur grondeuse, au goût de la dissipation, au mauvais latin, à parler sans savoir ce que l'on dit, surtout en matière de religion, à ne se ranger enfin à son devoir que par contrainte, ou par vanité, à haïr ses camarades, et à ne se lier avec eux qu'à proportion de ce qu'ils peuvent contribuer aux plaisirs auxquels on se livre.

Avec tout cela rien ne peut être plus superflu que de prescrire des règles et de donner des avis sur un si important sujet, pendant qu'on ne voudra pas se résoudre à choisir mieux les régents à qui l'on confie ces écoles. A qui abandonne-t-on pour l'ordinaire la fleur même de la jeunesse, et la ressource future de l'Etat? On a honte de le dire. Les chétifs gages, qu'on leur assigne, éloignent de ces importantes fonctions tous ceux qui se sentent des talents. La pauvreté et l'incapacité de ceux qui s'en chargent attirent le mépris, non seulement sur leurs personnes, mais encore sur leurs emplois; nouvelle raison à ceux qui ont quelque mérite, et qui sont sensibles à l'honneur, de s'y refuser.

Qu'on se représente un homme de qualité et riche qui ordonne à son maître d'hôtel de faire habiller ses fils. Celui-ci parcourt les boutiques, choisit tout ce qu'il y trouve à meilleur marché, et le donne au tailleur qui se fait le moins payer de ses façons. Ces enfants se présentent devant leur père habillés de neuf, mais ridiculement et comme des enfants de village. Le maître d'hôtel produit son compte et se croit suffisamment justifié par le peu qu'il en coûte.

L'application est aisée à faire. Ceux qui ont le gouver

nement en main, de quelque nature que soit ce gouvernement, sont les pères des peuples, et quand il s'agit des ornements de l'âme et de sa nourriture, ils sont obligės d'y pourvoir, et de penser que ce sont tout autant d'enfants qui leur appartiennent, et dont la Providence les a chargés à cet égard. Là-dessus ils disent: Qui sont ceux qui me demandent le moins pour s'acquitter de ces fonctions, c'est à eux que je les abandonne? Mais ils s'en acquitteront mal. Ce sont leurs affaires. Mais les enfants n'apprendront presque rien, et à divers égards sortiront de ces écoles plus gâtés qu'ils n'y étaient entrés. Tant pis pour

eux.

Si l'on pouvait en donnant des titres inspirer une capacité qui y répondit, on pourrait se permettre de choisir à l'aventure; mais on est bien loin de là. Aussi voiton qu'après huit années consumées dans le collège, on en sort sans autre fruit que de parler plus mal latin que les plus vils esclaves ne le parlaient à Rome.

On dirait qu'une fatalité empêche presque toujours l'esprit humain d'arriver au simple qu'après s'être épuisé dans le composé par des essais de toute sorte. Dans le temps du renouvellement des sciences, on composa des grammaires pour apprendre les langues mortes et le latin en particulier; on les chargea de beaucoup trop. Les disciples des premiers maitres enseignaient ponctuellement ce qu'ils avaient appris, et leurs écoliers, devenus maîtres à leur tour, en firent de même; de sorte que le temps autorisa ce qu'il aurait dù servir à corriger. On a blâmé pendant un siècle la méthode établie de faire apprendre de mémoire en langue latine, la grammaire destinée à apprendre le latin à ceux qui ne le savaient point encore, sans avoir le courage de changer cet établissement. Les voies abrégées ont trouvé encore plus de peine à s'insinuer. Il ne paraissait pas juste qu'un seul homme se donnât assez d'autorité, pour régler à son gré tout ce que les régents d'un collège auraient à faire. On a trouvé plus à propos de faire là-dessus des consul

tations; mais malheureusement les consultants, soit par politesse, soit par politique, en accordant chacun quelque point aux vues des autres, ont consenti à des volumes, là où des brochures auraient suffi. D'autres motifs encore s'en sont mêlés. Il n'est pas sans exemple que l'ouvrage d'un grammairien habile, revu par des personnes éclairées, ait été désapprouvé par quelques-uns de ces soupçons terminés en isme, dont son auteur était chargé.

Il importe que le nombre des régents ne soit pas petit. Un régent réussit mieux sur un moindre nombre d'écoliers que sur un plus grand. Le changement a des appas pour la jeunesse, elle use de diligence pour ne demeurer pas longtemps dans la même classe, et dès qu'un jeune écolier a appris dans une demi-année ce qu'il doit apprendre dans une classe, s'il y reste davantage, il risque de donner dans la dissipation et de tomber dans l'inaction.....

J'ai connu plusieurs personnes très éclairées, et remplies d'un grand zèle pour l'intérêt public, déplorer le temps qu'on fait passer à la jeunesse presque uniquement à l'étude de la langue latine. Si une coutume se trouve affermie à proportion du temps qu'elle a duré, c'est en vain qu'on se promettrait du changement dans celle-ci. Il y a plus de deux siècles qu'il fallait savoir lire en latin et l'entendre un peu, pour être reçu prêtre. Il était rare qu'on demandât beaucoup au-delà. Les notaires et les commissaires n'écrivaient qu'en latin. Les écoles étaient principalement destinées à mettre ces deux ordres en état de gagner leur vie. Elles sont restées sur le même pied; et tout ce qu'on y fait de plus qu'autrefois c'est de bannir les barbarismes et les mots vulgaires latinisés, sans avoir jamais été latins. On s'est borné, et dans le renouvellement des sciences on s'est trouvé d'autant moins éloigné de faire de cette étude à peu près le capital de l'érudition, que les langues vulgaires, étant alors dans une extrême grossièreté (car partout les lan

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