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a-t-on conçu la science elle-même d'une manière plus grande, plus vraie et mieux appropriée aux besoins du temps? Nous ne le croyons pas. On sera surtout frappé du mérite des travaux du professeur Chavannes, si l'on considère qu'il habitait une petite ville, peu littéraire, peu savante, malgré son académie, et dans laquelle Gibbon, pour une sphère de travaux bien plus limitée, se plaignait d'être à l'étroit et dénué de ressources. Que Chavannes fût placé dans un grand centre de lumières, environné de savants et de bibliothèques, il eût trouvé non pas un plan plus vaste, mais plus de matériaux pour construire son édifice, plus d'encouragement, plus de témoins et plus d'admirateurs La publicité aurait donné à ses œuvres la vie extérieure et l'utilité dont elles sont dignes. Aujourd'hui ses manuscrits, déposés dans une bibliothèque publique, n'en peuvent pas sortir pour paraître au grand jour : quel libraire se chargerait de les éditer? Ils sont peu lus et peu consultés ! C'est un monument admiré bien plus pour ses dimensions matérielles que pour sa valeur scientifique. L'abrégé qui a été publié est à peine connu, et cependant aucun ouvrage français n'est conçu d'après un plan aussi complet, et ne présente un meilleur ordre à suivre dans les grandes et belles études sur l'homme et sur l'humanité.

Pour faire connaître Chavannes dans toute l'étendue de sa valeur, je citerai encore les passages suivants du livre de M. Gindroz:

M. Chavannes a laissé un autre ouvrage manuscrit, dont le sujet appartient à ses études de prédilection : les recherches sur l'origine des langues. Le livre a pour titre : Dictionnaire étymologique de tous les mots de la langue française. Un gros volume in-quarto. Ce titre n'est pas menteur : il donne une idée exacte du travail; les mots de la langue française sont passés en revue ceux qui ont une famille ou des dérivés, s'en trouvent accom

pagnés, et leur origine est expliquée souvent avec une grande justesse, souvent avec bonheur, quelquefois peutêtre avec plus d'esprit que de vérité. Il y a là une mine riche à exploiter, et les grammairiens modernes, nous dirons même ceux de l'Académie française, y trouveraient des filons d'or, qui entre des mains habiles enrichiraient la linguistique française.

Jusqu'à présent les travaux de Chavannes sur la science qu'il enseignait nous ont peu occupé, et l'on serait tenté de se demander s'il lui restait des heures à y consacrer. On se rappelle toutefois qu'il a commencé sa carrière par un ouvrage destiné aux jeunes gens qui se vouent au St-Ministère. La théologie n'a donc pas été dédaignée qu'elle fût son étude de prédilection, c'est ce que nous ne croyons pas, mais qu'elle occupât dans sa vie la place qu'elle méritait comme étude de devoir, nous ne saurions en douter; ses travaux l'attestent positivement.

La Bibliothèque possède un manuscrit qui présente, comme l'Anthropologie, un monument de labeur. C'est un Cours complet de morale chrétienne, divisé en morale générale et morale particulière, rédigé sous la forme d'analyses de sermons sur des textes de l'Ecriture Sainte analogues à chaque matière; il y a dix volumes grand in-8°. L'ouvrage est divisé en quatre parties. Fondements de la morale; Devoirs généraux; Moyens; Motifs; il comprend quatre-vingt-onze analyses de sermons. Les feuilles du manuscrit ne sont pas toutes rangées dans l'ordre que nous venons d'indiquer; on a quelquefois un peu de peine à retrouver certains sujets. On pourrait croire que le plan général a été adapté aux analyses après la composition d'un certain nombre d'entre elles. Mais, quoi qu'il en soit, le plan n'a pas ici une grande importance; c'est dans les analyses qu'il faut chercher la valeur du livre. Or cette valeur est réelle; les étudiants en théologie et les pasteurs ne consulteront pas ce livre sans fruit.

Cet ouvrage ne constituait pas cependant l'objet de l'enseignement principal du professeur : la dogmatique chrétienne.

Il doit exister sur ce sujet un manuscrit intitulé: Cours abrégé de théologie chrétienne, écrit en latin. 1 vol. in-8°. Le catalogue de la Bibliothèque cantonale indique ce livre; mais nous ne l'avons pas trouvé dans la collection. Cette lacune est peu à regretter, puisque Chavannes a publié son cours sous le titre de Theologiæ christianæ fundamenta et elementa. 2 vol. in-8°. Lausanne 1772-73.

Cet ouvrage, publié à la demande des étudiants, est le compendium du cours de théologie qu'ils entendaient de leur professeur. Rien de remarquable, sous le rapport du progrès de la science, ne distingue cet ouvrage des autres ouvrages didactiques sur la théologie.

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Le titre de l'ouvrage annonce que l'auteur fait une distinction entre les fondements et les éléments de la théologie. Les fondements sont une théorie de religion naturelle, suivie d'une étude d'une révélation considérée au point de vue général et historique. Ce dernier sujet comprend les points suivants : nécessité d'une religion révélée; des caractères distinctifs d'une religion révélée; de la fausse religion de Mahomet; de la vraie religion révélée juive; de la vraie religion révélée chrétienne; du judaïsme et du christianisme; canon de l'Ecriture; de l'usage de l'Ecriture. Les éléments de la théologie chrétienne sont exposés en cinq parties; dans la première, l'auteur traite de la religion, de Dieu être parfait, de Dieu créateur, de Dieu dirigeant le monde; sur ces sujets, l'auteur reprend les principes de la religion naturelle, les appuie sur de nombreux passages de l'Ecriture Sainte, réfute les adversaires du christianisme, indique enfin les applications pratiques de la doctrine. C'est sa marche constante. La seconde partie est consacrée aux anges, à leurs diverses espèces, aux bons et aux mauvais anges, à leur punition, à la question de leur rétablissement, à l'état des

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hommes avant la chute, à la chute et à ses conséquences. Dans la troisième partie, il est parlé de la rédemption et du rédempteur divin. Les avantages et les conditions de l'alliance de grâce sont exposés dans la quatrième partie. La cinquième et dernière partie présente les diverses économies de l'alliance de grâce, ses signes extérieurs. les sacrements et l'Eglise, les dernières destinées de l'homme, savoir la mort, la résurrection, le jugement dernier, le bonheur ou le malheur éternel.

Tel est le plan général de la Théologie de Chavannes. La doctrine nous a paru solide et conforme à l'orthodoxie des Eglises réformées. Nulle part cependant il n'est fait mention de la Confession de foi helvétique.

Les chapitres sur l'élection, sur la vocation, sur la foi. sur la régénération, sur la sanctification et sur la justification, sont, il nous semble, irréprochables sous le rapport de l'orthodoxie; les articles de la foi ne sont pas exprimés, il est vrai, dans les termes sévères, et quelquefois trop exclusifs, qui plaisent aux théologiens de nos jours, mais la vérité a aussi sa liberté, et ce n'est pas dans les liens des formules qu'elle déploie sa plus puissante efficacité.

Les applications pratiques sont constamment jointes à l'exposition du dogme: celui-ci reçoit de la vie, et si l'on osait le dire, une nouvelle évidence, par son appropriation aux besoins de l'âme et aux devoirs religieux.

Tel qu'il est, ce livre, malgré son âge, est un monument de science et de talent. S'il n'a pas l'originalité d'invention qui frappe dans les autres ouvrages de l'auteur, c'est qu'il ne pouvait l'avoir. Destiné à l'enseignement élémentaire de la théologie, il devait présenter la science dans son état actuel, et se préserver des innovations, des hardiesses, des témérités que l'on pardonne et même que l'on aime quelquefois dans les ouvrages destinés aux savants. Tout vieux qu'il est, le manuel de Chavannes serait encore consulté avec fruit par les jeunes théologiens, ne fût-ce que comme un répertoire systématique de textes de l'Ecriture Sainte.

Ce sont là les travaux de Chavannes. Et remarquonsle bien : ces travaux ne sont point les corvées d'un manœuvre ou d'une machine sans intelligence : partout l'intelligence règne, lumineuse, ferme, féconde, étendue, élevée, souvent originale et créatrice. Chavannes a l'esprit classificateur de Bacon, sans avoir peut-être au même degré la vue lointaine et le coup-d'œil pénétrant. Le nerf du style, le pittoresque de l'expression lui manquent aussi. Il nous paraît supérieur à Locke; plus vrai, plus savant, et d'une conception plus puissante et plus étendue.

Chavannes vivait dans la solitude; il s'était retiré de bonne heure de la société, quoiqu'il eût beaucoup de moyens d'y réussir. Il tenait de la nature une gaîté originale, de la vivacité et du plaisant dans l'esprit. Il savait placer à propos dans la conversation les choses instructives dont sa mémoire était ornée. Mais bientôt il fut

absorbé par l'intérêt que lui inspirèrent ses études favorites. Ses parents et ses amis avaient de la peine à obtenir de lui de temps en temps le sacrifice de quelques heures. Cependant il travaillait avec une grande facilité. Son esprit enrichi par des études profondes et variées et assoupli par une discipline sévère, obéissait à sa volonté et fournissait avec fécondité les matériaux à mettre en œuvre. Chavannes s'attachait peu à la parure littéraire du style; mais l'ordre, la clarté et la force qui ressortent du fond des choses, il les recherchait et les trouvait. Au brillant, il préférait le solide et le vrai, et sa phrase n'était jamais un ensemble de mots sans idées. La composition de ses sermons lui coûtait si peu, que pour l'ordinaire il avait préparé le lundi matin celui qu'il devait prêcher le dimanche suivant. Il fallait bien cependant que ses sermons eussent un mérite réel, et même le mérite qui doit distinguer la prédication chrétienne : ils étaient goûtés également par les hommes instruits, qui savaient y trouver toujours des choses neuves ou originales, et par les personnes peu cultivées dont ils excitaient la réflexion.

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