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Elle cesserait alors d'être regardée et traitée comme une affaire de pure mémoire, et en quelque sorte méchanique, et on l'envisagerait, ainsi qu'elle doit l'être, comme une étude vraiment philosophique et même des plus importantes, qui mettrait le couronnement à toutes les autres, en leur donnant des vues plus étendues et en mettant à portée d'en faire continuellement l'application.

Alors la mémoire ne serait plus la seule faculté mise en œuvre pour apprendre cette masse effrayante de mots qui ne peuvent que la surcharger lorsqu'elle en porte seule le fardeau ; mais toutes les facultés de l'âme seraient mises en jeu de concert; l'imagination s'exercerait à développer l'énergie des traits sous lesquels chaque mot retrace une peinture, elle lui donnerait de la vie et de la force; le jugement s'occuperait à montrer le rapport de chaque mot avec d'autres mots déjà connus; le goût en ferait sentir la justesse et la précision.

L'étude des langues ne passerait plus pour une étude sèche, rebutante, fastidieuse, comme elle l'est effectivement selon la méthode ordinaire qui est aussi lente que pénible et embarrassée, on commencerait à y trouver de l'intérêt et de l'attrait, et la mémoire en serait infiniment moins fatiguée, parce que rien n'aide plus à cette faculté que l'exercice simultané du jugement et de la réflexion sur les objets dont on travaille à l'enrichir.

On apprendrait en très peu de temps une immensité de mots, et la connaissance qu'on en acquerrait ne s'échapperait point du souvenir comme celle que l'on acquiert en consultant un dictionnaire, qui n'est qu'une lumière instantanée, isolée, qui ne conduit à rien et ne sert ni à approfondir les langues ni à les lier entre elles.

En voilà plus qu'il n'en faut pour servir de réponse à cette objection sans cesse répétée, une étude aussi désagréable que celle des langues n'est-elle pas ce qui convient le mieux dans un âge où les mots se gravent mieux que les choses et où le dégoût des règles minutieuses se surmonte plus aisément, parce que la mémoire est dans toute sa force et que le cerveau possède toute la flexibilité dont il est susceptible?

Tout se réduit ici à savoir s'il ne vaudrait pas mieux exercer le cerveau et la mémoire des enfants à retenir des choses intelligibles pour eux, faciles à saisir, agréables, d'une utilité générale et qui dure autant que la vie, que de l'occuper, comme l'on fait, à des choses audessus de leur portée, rebutantes par leurs difficultés, qu'ils ne peuvent apprendre que mal et sans utilité réelle, pendant que ces mêmes choses étudiées dans un âge plus avancé pourraient être apprises avec facilité, avec intérêt et avec le plus grand fruit.

Les jeunes gens qui seraient invités par goût ou appelés par état à étudier les langues mortes

et qui voudraient en tirer parti pour étendre leurs lumières, devraient commencer toujours par l'étude de la langue grecque, de toutes la plus propre à servir de point de ralliement pour toutes les langues anciennes et modernes, ainsi qu'il a été dit.

A l'aide de cette langue et de l'habitude d'analyse contractée en l'étudiant, les jeunes gens remonteraient beaucoup plus aisément aux mots radicaux des langues d'orient et en saisiraient même plus promptement et plus exactement le génie. Celles-ci cesseraient d'être la croix de ceux qui sont forcés de s'en occuper et qui ne les trouvent difficiles et rebutantes que parce qu'ils manquent des connaissances qui devraient en précéder l'étude. Ces langues deviendraient même attrayantes pour tous ceux qui aimeraient à approfondir les origines primitives des choses et des mots, des idées, des opinions, des usages, des mœurs, des arts et des sciences chez les anciens peuples policés.

L'étude de la langue grecque serait aussi sans contredit le meilleur de tous les préparatifs pour celle de la langue latine, qui en a tiré la plus grande partie de ses mots et qui a même avec celle-là un grand nombre de rapports grammaticaux par ses particules, ses formes et ses terminaisons.

Quelque difficile que soit l'étude de cette langue si riche en expressions et si variée dans ses tours, on ne laisserait pas de la faire avec

autant de facilité que d'intérêt, si l'on y était préparé par les connaissances nécessaires et surtout par la langue grecque qui est certainement plus aisée et plus attrayante; dans un espace de temps fort court on parviendrait à en acquérir une connaissance étendue, exacte, vraiment utile et agréable, pendant que, selon la marche de nos études gymnastiques, on consacre à cette langue plusieurs années pour l'apprendre sans jugement, sans goût, sans en saisir le génie et les beautés et d'une manière qui n'aboutit qu'à mettre les jeunes gens dans l'impuissance de la jamais bien connaître.

Cette facilité et cet intérêt que les jeunes gens auraient trouvé dans l'étude des langues grecque et latine se répandraient bientôt sur toutes les langues occidentales dérivées du grec et du latin, et même sur celles du nord, qui ont peut-être avec celles-ci plus de rapports qu'on ne le croit communément. Il n'est pas douteux d'ailleurs, que la connaissance de la théorie du langage, de l'art étymologique, de la grammaire générale et des anciennes langues d'orient, ne puissent fournir les plus grands secours pour aplanir les difficultés que présente l'étude des langues vivantes dérivées des anciennes langues européennes, le celte, le slavon, le theuton.

J'ai supposé que pendant tout le cours de l'institution, on a cherché à apprendre aux jeunes gens leur propre langue par l'usage et l'habitude, par des instructions journalières et

par la lecture des bons auteurs en prose et en vers, qui peuvent passer pour modèles d'élocution; rien n'est plus essentiel, en effet, que d'apprendre de bonne heure à parler et écrire purement dans sa propre langue : c'est même pour y avoir manqué dans le premier âge que nombre de gens, d'ailleurs très savants, éclairés et judicieux, ne cessent de pécher contre l'usage et le bon goût, et se voient comme forcés d'apprendre leur propre langue pendant toute leur vie, sans pouvoir jamais venir à bout de la parler aussi bien que ceux qui y ont été formés dès les premières instructions.

Cependant, si l'on veut connaitre à fond sa langue maternelle, ce n'est point assez de l'usage et de l'habitude; il faut en faire une étude raisonnée, en mettant à profit les lumières que les instructions précédentes ont pu fournir pour l'apprendre par principes, comme l'on dit. Il s'agit encore de tirer parti de tout ce qu'on connaît sur la théorie du langage, l'art étymologique, la grammaire, les langues grecque et latine, pour acquérir une prononciation plus corracte, une orthographe plus exacte, une diction plus régulière et plus pure, surtout pour s'instruire plus à fond de la valeur originaire et dérivée des mots, de l'usage ancien et moderne, du bon et du mauvais usage, des différentes acceptions des termes, des figures, des tropes, en général du méchanisme et du génie de cette

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