Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

le capitaine Trullet ne se rendit à terre que lorsqu'il eut acquis la certitude que l'incendie ne pourrait être éteint.

J'ai indiqué les avaries des vaisseaux anglais qui prirent le plus de part au combat; les dommages avaient porté prin– cipalement sur les mâtures. Les autres vaisseaux n'avaient eu, si l'on en croit les relations anglaises, que des avaries insignifiantes. Si cette assertion est exacte, on doit se demander pourquoi un seul vaisseau suivit le Guillaume Tell et le Généreux, lorsque le contre-amiral Villeneuve mit sous voiles. Les vaisseaux anglais étaient généralement, en effet, en bonne position pour leur donner la chasse. Ne peut-on pas émettre l'opinion, que le commandant en chef de l'armée anglaise n'eût pas laissé le ZEALOUS exposé à l'attaque soudaine de deux vaisseaux et de deux frégates qui n'avaient pas combattu, si l'état de ses autres bâtiments leur avait permis de mettre sous voiles?

Une autre raison permet d'ailleurs de douter de l'exactitude de l'assertion des historiens anglais. Pourquoi, si une partie de l'escadre anglaise était encore en état de se mouvoir avec facilité, le commandant en chef laissa-t-il écouler plus de vingt-quatre heures entre les deux sommations qu'il fit faire au Tonnant? Pourquoi enfin ne mit-il pas obstacle à l'évacuation et à la destruction du Timoléon, sur lequel le pavillon de la Grande-Bretagne ne flotta pas?

Les pertes étaient considérables des deux côtés. Le chiffre exact de celles des Français n'a jamais été connu. D'abord il ne fut pas possible de constater le nombre des hommes qui échappèrent au désastre de l'Orient. Ensuite, les soldats des garnisons des vaisseaux, les artilleurs et les marins qui atteignirent le rivage, furent incorporés dans les divers corps de l'armée d'Égypte, et plusieurs dont on déplorait la mort s'y trouvaient peut-être encore (1). Le

(1) Latil, Campagne de Bonaparte en Egypte, prétend que Nelson débarqua 4,000 hommes qui furent incorporés dans l'armée. M. William James, The naval history, etc., dit aussi que le vice-amiral Nelson mit les prisonniers à terre.

vice-amiral Brueys avait perdu la vie, ainsi que son capitaine de pavillon Casa Bianca; le capitaine Dupetit Thouars du Tonnant et Thevenard de l'Aquilon avaient eu le même sort. Le contre-amiral Blanquet Duchayla et plusieurs capitaines qui ont déjà été nommés étaient blessés. Le contre-amiral Nelson avait reçu une blessure.

Tel fut le déplorable résultat de la bataille qu'on nomma en France bataille d'Aboukir et qu'on appela en Angleterre bataille du Nil. Ce résultat fut d'autant plus désastreux qu'il traça pour la guerre entière le rôle de chacune des deux puissances. A l'Angleterre l'agression et l'audace qui amènent fréquemment le succès; à la France l'hésitation et la crainte, conséquences naturelles de ce défaut de confiance sans laquelle aucune grande action n'est possible. Ce résultat ne confirma malheureusement que trop les appréhensions qui avaient été exprimées au moment où l'escadre allait quitter Toulon ; il y avait eu, de la part du commandant en chef de cette escadre, courage et dévouement à prendre la mer, avec des vaisseaux dont quelques-uns étaient condamnés et dont la majeure partie était déclarée incapable de soutenir les commotions de sa propre artillerie, alors surtout qu'il avait la presque certitude d'être obligé de livrer bataille avec des équipages incomplets, et dont l'organisation, loin de gagner pendant les quelques jours de mer auxquels ils allaient être astreints, ne pouvait que perdre, par suite de la nécessité dans laquelle s'étaient trouvés les vaisseaux de prendre des troupes et une partie du matériel de l'expédition. Certes il y eut des fautes commises avant et pendant le combat; mais il y aurait autant d'injustice à en faire peser toute la responsabilité sur le commandant en chef de l'escadre française et sur ses lieutenants, qu'il serait inexact d'attribuer au contre-amiral Nelson tout l'honneur du magnifique résultat qu'il obtint ; une grande part de cet honneur revient à la fortune. Au lieu de vaisseaux ne pouvant armer leurs canons des deux bords, quelques-uns même toutes leurs

batteries d'un seul bord; au lieu de vaisseaux qui ne pouvaient faire usage de leur artillerie, non parce que leurs canons et leurs affûts étaient démontés ou brisés par les boulets de l'ennemi, mais parce que les pitons des bragues et les boucles des palans de côté étaient arrachés aux premiers coups; au lieu de vaisseaux s'effondrant aux premières bordées qu'ils tiraient, mettons en face de l'amiral anglais et de ses capitaines des équipages complets et quelque peu exercés; des vaisseaux, sinon neufs, du moins en assez bon état pour pouvoir se servir de leur artillerie, et demandons-nous ce qu'eût été la désastreuse bataille d'Aboukir ? Il est certainement des circonstances dans lesquelles l'accessoire doit disparaître devant le principal; dans lesquelles, le succès dépendant de la promptitude, il n'y a pas lieu de tenir compte de la conséquence possible de la précipitation. Mais, était-ce bien le cas? Ne devait-on pas, au début d'une guerre avec l'Angleterre, ménager un personnel et un matériel qu'on avait eu tant de peine à se procurer? Le gouvernement, tout en adoptant les idées du grand capitaine qui, déjà, ne considérait la marine que comme un moyen, ne devait-il pas en ajourner l'exécution, au moins jusqu'au moment où ses vaisseaux seraient en état de lutter contre ceux de l'ennemi? Oui, je le répète, et cela parce qu'on n'y a jamais pris garde, ou parce qu'on ne l'a pas assez dit; il y eut faute de la part du commandant en chef de l'escadre française; il y eut faute de la part de quelques-uns de ses sous-ordres; mais la plus grande faute fut commise par le gouvernement qui fit prendre la mer à des vaisseaux sans équipages et, l'on peut dire, sans canons, jouant ainsi, pour la réalisation problématique d'une des idées les plus fécondes en résultats qui ait jamais été conçue,-on ne peut en disconvenir-le sort de sa marine dans le présent et dans l'avenir. Ce triste résultat était prévu de toute l'armée de mer; mais son opinion ne put pas contrebalancer celle de l'homme qui dictait déjà ses volontés à la France. Accep

tons le fait accompli. Rendons au contre-amiral Nelson l'hommage que mérite la juste appréciation qu'il sut faire de circonstances qu'il connaissait parfaitement ; mais n'exagérons pas, au détriment de la marine française, la part qui lui revient dans cette affaire. Le résultat est là, patent, incontestable. C'est le premier échelon de cette renommée d'habileté et d'audace qui, à partir de ce jour, accompagna partout le vainqueur d'Aboukir. Cela aurait dû suffire aux historiens, surtout aux historiens français. Il n'en a rien été cependant. Tous ont exalté le triomphe des Anglais; aucun ne s'est attaché à démontrer que ce triomphe était probable, si même il n'était pas certain. Ces historiens n'ont tenu aucun compte des difficultés de toute sorte que le gouvernement avait dû surmonter pendant six années de commotions politiques pour avoir une marine. C'est à peine s'ils ont parlé de l'état déplorable dans lequel se trouvaient et le matériel et le personnel de l'escadre de Toulon. Pourquoi attribuer à un ordre d'idées très-contestable un résultat qui était la conséquence toute naturelle de la situation que les événements avaient faite à la France? Si une chose peut surprendre, ce n'est pas, à mon sens, le résultat néfaste de la bataille d'Aboukir; c'est que quelques historiens aient laissé entendre que nous pouvions, avec les moyens dont nous disposions à cette époque, sinon triompher d'un ennemi qui, lui, était dans les conditions les plus favorables, au moins soutenir la lutte sans trop de désavantages.

On a dit que la guerre défensive avait été érigée en système depuis la révolution; que la flotte d'Aboukir n'était pas une de ces flottes improvisées de toutes pièces par la République aux jours malheureux de 93; que si les équipages, considérablement affaiblis, étaient composés d'hommes rassemblés au hasard et presque au moment du départ, pour compenser ces désavantages, elle comptait dans ses rangs les officiers les plus renommés de notre marine. On a dit enfin que, si Brueys, épargnant à Nelson

la moitié du chemin, eût pu courir à sa rencontre pour combattre, la fortune eût hésité plus longtemps entre les deux armées et n'eût point appuyé si lourdement sa main sur notre escadre. On doit applaudir à l'esprit qui a dicté ces critiques; mais étaient-elles méritées ? Et d'abord, on chercherait vainement ce qui, de 1793 à 1798, ressemble • à la guerre défensive contre laquelle on s'élève avec juste raison. Que la conduite du vice-amiral Villaret et celle du contre-amiral Martin aient été timides, embarrassées, c'est incontestable. On conviendra qu'avec les éléments dont ces officiers généraux disposaient, et dans la position qui leur était faite, il put y avoir, sinon de la timidité, du moins de l'indécision et de l'embarras dans leur conduite. En ce qui concerne leur attitude, il est vrai que le 13 prairial an II, les Anglais commencèrent l'attaque. Mais alors qu'il fallait entraîner l'ennemi loin de la route que le convoi de grains d'Amérique était présumé devoir suivre, eût-il été d'une bonne tactique de prendre l'offensive? Ce reproche de s'être tenu sur la défensive, le commandant en chef de l'escadre de Toulon le mérite-t-il davantage? On sait ce qu'était cette escadre. On doit dès lors comprendre que le contre-amiral Martin aux prises, en plus, avec l'insurrection permanente des équipages, circonstance dont les historiens n'ont pas assez tenu compte, ait pu n'être pas très-désireux de combattre avant d'être maître de la situation. En tout cas, on ne peut pas dire qu'il ne prit pas l'initiative le 15 mars 1795.

L'état de choses était-il suffisamment changé, amélioré, pour qu'il fût possible d'avoir à Aboukir la confiance que les commandants en chef des escadres de la République n'avaient pas eue jusque-là? Eh quoi ! l'escadre d'Aboukir était supérieure aux escadres de 93! Que deviennent donc les appréciations du commandant en chef et du chef d'état-major de cette escadre? Pourquoi celui-ci disait-il que les équipages étaient si faibles en nombre et en qualité d'hommes; que les vaisseaux étaient en si mauvais

« ZurückWeiter »