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A mesure que les prétentions des corps privilégiés se développoient avec plus de force et d'avantage, l'influence de toute autorité qui leur étoit étrangere s'effaçoit sensiblement, et le ministere du duc de Choiseul fut la premiere époque de cette révolution, dont les progrès rapides n'ont pas peu contribué à celle qui s'opere aujourd'hui.

L'état militaire avoit toujours eu en France une prééminence d'opinion; il acquit alors une prépondérance effective; et ce que Louis XIV, le plus absolu de nos rois, avoit soigneusement évité; ce que la noblesse de son temps auroit peut-être dédaigné, l'invasion de tous les pouvoirs, de toutes les places d'administration et magistratures supérieures, et ensuite de tous les emplois militaires, s'est exécutée de nos jours, et étoit devenue le partage d'une seule classe de citoyens.

L'ordonnance de 1765 fut pour le corps militaire de la marine l'exorde du nouveau systême qui devoit changer l'admission des ports. A cette époque, le commandant et les officiers militaires devinrent coopérateurs des officiers civils; de ce mélange de fonctions, de toutes les prétentions respec

tives et de l'inexpérience de la marche incertaine des ministres, naquirent les conflits d'autorité, la confusion, les embarras, qui s'accrurent par les nouvelles ordonnances de 1772, mais qui devoit s'accroître encore par celle de 1776: laquelle a subi de nouveaux changemens en 1786. Le corps militaire de la marine étoit parvenu, depuis plusieurs années, à un degré d'instruction et de connoissances qui présageoit le zele et l'éclat de ses services dans la guerre d'Amérique; et si les places d'administration de. voient être le prix d'une grande supériorité dans les sciences exactes, dans les talens militaires, les officiers de la marine méritoient sans doute toute préférence; mais l'obscurité même de ces détails, l'assiduité qu'ils exigent, les occupations de bureau les habitudes d'ordre et de ménage auxquelles il faut se soumettre pour les remplir avec succès, contrarient une perspective plus brillante, et semblent dès-lors réclamer d'autres conditions.

On ne peut revenir sur les temps antérieurs, sur cette mobilité de principes et de formes, sans se rappeller que nos ministres étoient des vice-rois, dont le pouvoir étoit très-étendu; mais avec la facilité de

nos mœurs, il n'y a rien de si vacillant, rien de moins imposant que l'autorité ar- ́ bitraire; rarement nous l'avons vue ferme et conséquente.

Un ministre pouvoit, à son gré, bouleverser son département, augmenter les dépenses, faire de nouvelles loix, accorder de nouvelles prérogatives; mais il étoit moins puissant pour maintenir l'ordre, l'économie, la discipline; car à mesure que le gouvernement s'éloigne des bons principes, le bien ne se fait que par exception, et l'influence de tous les désordres s'accroît de toute la puissance publique qui les favorise.

L'ordonnance de 1776 détruisit toutes les bases de celle de 1689, et par des principes inverses établit une hiérarchie militaire d'administration à laquelle fut transférée la direction des travaux, et conséquemment des dépenses de la marine; mais les ordonnateurs et les directeurs de ces travaux n'en furent point comptables; et pour conserver les formes de l'ancienne comptabilité, on laissa subsister les administrateurs civils, avec le droit apparent de concourir à toutes les dépenses, sans aucuns moyens de les modérer,

Les motifs de cette ordonnance sont que la meilleure éducation des officiers de la marine, leurs études obligées des sciences exactes, s'unissant à la pratique de la mer, les rendent infiniment plus propres que toute autre classe d'hommes à la direction des travaux des arsenaux. Il est en effet de toute impossibilité que les travaux s'exécutent sans le concours des hommes versés dans les sciences mathématiques, des officiers et des maîtres exercés à la manoeuvre des vaisseaux et au mouvement des ports, et des artistes les plus distingués dans leur art; mais l'intervention des ingénieurs, officiers de ports, des officiers d'artillerie et des maîtres les plus experts des divers atteliers, a toujours été nécessaire dans les arsenaux, et l'ordonnance de 1689 les avoit institués. Il s'agit de savoir si l'agence de ces différens chefs d'ouvrage doit avoir pour point de réunion et de direction un administrateur général des dépenses et des approvisionnemens, qui surveille et réponde des consommations, des magasins et des atteliers, ou un commandant militaire qui n'entre dans l'administration que pour ordonner les consominations, et qui s'en sépare lorsqu'il s'agit de la comptabilité. On

pourroit

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pourroit concevoir l'inspection de l'officiercommandant sur l'administration comptable, mais celle du comptable sur l'administrateur-commandant ne peut être que fictive et dérisoire aussi la surveillance réciproque des deux autorités, établie par l'ordonnance de 1776, n'est elle considérée aujourd'hui par les partisans de ce systême que comme une disposition incomplette, qui se perfectionneroit en faisant disparoître tout-à-fait le partage de l'autorité, en la concentrant dans un seul administrateur militaire, qui auroit sous ses ordres un comptable. Mais il est, je crois, démontré que, dans toute administration, celui qui ordonne une dépense doit en rendre compte et en répondre; car la comptabilité ne peut être que l'exposé, le résultat et les motifs de cette action.

Il résulta donc du systême de 1776 une multiplication d'agens et une complication de formes sans responsabilité. Le pouvoir d'administration devint une prérogative pour les officiers militaires, et l'obligation de rendre compte une vaine formule pour les officiers civils.

Un prince qui veut être absolu peut, avec quelques succès, rendre son adminis2e année. Tome XII.

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