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prenoit la plume, et qu'il ne faut pas oublier lorsqu'on lit son ouvrage ! Elle inspire autant d'intérêt, qu'elle commande d'indulgence.

Cependant l'espèce d'impatience avec laquelle Pascal se hâtoit de fixer ses réflexions sur le papier, lui a inspiré souvent des tours elliptiques, heureux et irréprochables, de laveu du même Condillac. On remarque, en effet, la précision et l'avantage de l'ellipse, dans plusieurs de ces Pensées, comme dans celle-ci :

« Le fini s'anéantit en présence de l'infini; ainsi, notre >> esprit devant Dieu; ainsi, notre justice devant la justice

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Cette matière de l'ellipse n'a pas été assez étudiée par nos grammairiens. Plusieurs même, dominés par l'esprit de Vaugelas, qui ne croyoit pas que l'on pût supprimer des mots dans la langue françoise, n'ont point parlé de cette figure de construction, si fréquemment et si heureusement employée par nos grands écrivains, à l'exemple de Pascal, le premier d'entre eux.

Il y auroit bien d'autres remarques de goût à faire sur le style des Pensées, et sur les locutions et les tournures qui appartiennent particulièrement à l'auteur. Il excite tantôt l'admiration, tantôt la surprise. Par exemple, on ne peut trop se récrier sur la manière singulièrement énergique, heureuse et précise, dont il définit les rivières et les canaux navigables, DES CHEMINS QUI MARCHENT. C'est avoir mis en quatre mots la substance d'un grand traité d'économie publique. Que la France seroit puissante, si cette belle expression y étoit mieux comprise!

Ailleurs, on est un peu étonné de trouver cette phrase,

entre autres:

« Le plus grand des maux EST les guerres civiles. »

Ce n'est pas le fond de l'idée qui arrête, car elle est toute simple. Voisin des temps de la Ligue, contemporain de Cromwell, témoin de la Fronde, Pascal n'avoit entendu parler que de séditions et de troubles. François, philosophe

que

et chrétien, ces discordes intestines lui faisoient horreur, et avec raison; mais pourquoi a-t-il fait accorder le verbe de sa phrase avec son sujet, le plus grand des maux, plutôt de le faire rapporter à son terme, les guerres civiles? On ne peut douter qu'il ne l'ait fait à dessein, puisqu'il lui étoit facile de mettre : « Le plus grand des maux est la >>> guerre civile. » C'est encore le résultat d'une figure de construction, aussi peu connue de nos grammairiens vulgaires que l'ellipse. Mais ce n'est pas ici le lieu de scruter ces mystères de l'art d'écrire, et c'est bien moins le mérite ou la singularité de la diction qu'il faut examiner dans les Pensées, que l'importance de leur objet principal. Tournons donc de ce côté toute notre attention, et ne nous exposons pas au reproche que nous feroit justement l'ombre sévère de ce pieux philosophe, si nous pouvions ici oublier le penseur, pour ne songer qu'à l'écrivain.

§. III. Comparaison des Pensées de Pascal avec les autres apologies du christianisme.

Véritable époque et causes de l'incrédulité moderne.

La matière que Pascal avoit entrepris de traiter a été souvent discutée avant lui.

Le christianisme a été combattu dès son origine, et dans tous les siècles écoulés depuis son établissement : il a trouvé des adversaires furieux parmi les païens, les juifs, les mahométans, et surtout parmi les chrétiens eux-mêmes, dont ceux qui se vantent d'être les plus purs et les plus parfaits, sont si forcenés les uns contre les autres, que Julien disoit : « Ces Galiléens sont entre eux plus tigres que les >> tigres! » Je ne sais quel poète anglais s'écrie à ce sujet :

On ne voit que docteurs l'un sur l'autre acharnés,
Aujourd'hui condamnants et demain condamnés.

Un prêtre grec des premiers siècles s'en affligeoit déjà, et disoit dans le même sens : « Toutes les hérésies me tiennent » le même langage; car chacune d'elles me crie: hors de

» mon sein, point de salut! Entre tant de partis qui s'ana>> thématisent tous mutuellement, malheureux que je suis! lequel croire, et auquel entendre? (*) »

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Cependant, il est vrai de dire que ces scandales de tous les temps, et ces contradictions perpétuelles n'ont pas empêché la religion chrétienne de s'affermir et de s'étendre.

« La marque péculière de nostre vérité debvroit estre » nostre vertu. Pourtant eut raison nostre bon saint Louis, » quand ce roi tartare qui s'estoit faict chrestien, desseignoit » de venir à Lyon baiser les pieds au Pape, et y reconnoistre » la sanctimonie qu'il espéroit trouver en nos mœurs, de l'en » détourner instamment, de peur qu'au contraire, nostre » débordée façon de vivre ne le dégoustât d'une si sainte » créance.» (Montaigne, Essais, L. 11, c. XII. )

Il en fut autrement d'un certain Juif, dont parle Bocace (**). Ce Juif s'étoit rendu à Rome pour se faire baptiser. Il fut d'abord frappé du contraste énorme qu'il trouvoit entre la sévérité de l'Évangile, et le faste et les mœurs corrompues du clergé romain de ce temps-là. Ce spectacle sembloit devoir le détourner de son projet; mais ce fut au contraire ce qui l'y fit persévérer, parce qu'il jugea qu'une religion qui, malgré ces obstacles nés dans son sein même, n'avoit pas laissé de subsister, ne pouvoit, en effet, jamais être détruite (***).

(*) Universæ hæreses eo modo loquuntur: Nisi nobiscum communices, salvus non eris! Quid ergo faciam? miser nescio. Cotelerii monumenta Ecclesiæ Græcæ, T. 11, p. 359.

(**) Décameron, nouv. 2. La narration en est très-piquante.

(***) Ce conte de Bocace n'étoit que le cadre d'une satire; mais notre Louis Racine en a fait un argument en forme. « Puisque c'est la foi qui » nous sauve, dit-il, nous devons marcher dans l'obscurité. Si les dons >> du Saint-Esprit eussent toujours été visibles dans l'Église comme » dans sa naissance, si les miracles y eussent été aussi fréquents, si >> chaque Pape eût été un saint Pierre, et chaque évêque un saint » Paul, la présence de Jésus-Christ dans son église eût été si sensible, » que notre foi n'auroit eu aucun mérite. » ( La Religion, chant V,

Machiavel, comme l'on sait, a été plus loin que Bocace. Florence, sa patrie, avoit à se plaindre de Rome. Dans son ressentiment, il charge l'Église et les Papes du reproche formel d'avoir détruit en Italie la religion et les mœurs (*); et il s'emporte jusqu'au point de regretter le paganisme.

Ces satires de l'Italie n'ont que trop convenu depuis à beaucoup d'autres contrées. L'Histoire, ce témoin inflexible et irrécusable, dépose qu'en France, nommément, la religion a souffert, dès que son intérêt a été confondu avec celui de ses ministres. Ici, les faits s'offrent en foule, et remontent à des époques déjà bien reculées. En 867, les chefs de l'Église gallicane tombent dans le piége tendu à leur ambition par l'obscur et hardi fabricateur des fausses Décrétales. Cette aberration des maximes de l'Évangile, reçue d'abord aveuglément, a, pendant plusieurs siècles, les suites les plus déplorables; elle entraîne des innovations. contre lesquelles on réclame, même dans les temps d'ignorance. Dès le douzième siècle, nous trouvons l'Hérésie des Prêtres, ouvrage d'Anselme Faydit, première pièce de théâtre écrite en notre langue. Baluze observe aussi que la papauté d'Avignon est une autre époque funeste où viennent, d'Italie en France, des abus et des vices jusque alors inconnus. Les querelles des deux puissances mettent partout le trouble et la confusion. Les usurpations des cours spirituelles (cours de chrétienté, cours d'Église) doivent finir par absorber l'autorité judiciaire, sans la digue tardive que leur oppose

note sur le vers 359. ) Cette preuve est si forte, qu'elle paroît l'être à l'excès. Elle mettroit un peu trop à l'aise la conscience des princes de l'Église, en leur persuadant que le scandale de leurs désordres seroit un moyen d'augmenter le mérite de la créance des fidèles.

Ce qui est singulier, c'est que madame de Sévigné se sert absolument de la même raison pour raffermir la foi de M. de Coulanges, qui étoit à Rome, et « se trouvoit embarrassé dans sa religion », d'après ce qui se passoit dans cette ville et au Conclave, en 1691. On peut voir la lettre du 26 juillet de cette année.

(*) Discours sur Tite-Live, I. 12.

PENSÉES.

b

enfin l'appel comme d'abus. Nos meilleurs rois, nos plus grands hommes, ne sont occupés fort long-temps qu'à chercher les moyens d'arrêter ce torrent, qui envahit tous les pouvoirs. Enfin, dans le seizième siècle, les controverses acharnées et les guerres religieuses déchirent le royaume. Le clergé n'eut jamais besoin d'être plus prudent et plus sage, et il ne manque pas d'avertissements sérieux qui doivent l'engager à rentrer en lui-même. En 1561, le chancelier de l'Hospital, la noblesse et le tiers-état, disent, d'une commune voix, aux ecclésiastiques, que leurs désordres sont la cause de tous les troubles de la France. Ces troubles vont toujours croissant. Loin de chercher à les calmer, on s'en fait des triomphes. En 1572, on frappe à Rome une médaille pour consacrer le souvenir de la nuit du 24 août de cette malheureuse année. La médaille représente un ange exterminateur, portant une croix de la main gauche et une épée de la droite, foulant aux pieds un grand nombre de personnes égorgées, et autour, ces mots pour légende: HUGONOTORUM STRAGES (*). L'histoire numismatique des papes regarde le massacre éternisé par cette médaille comme un des événements les plus glorieux du pontificat de Grégoire XIII (**). En 1579, l'assemblée du clergé de France se refuse à payer des rentes dues à la ville de Paris, au risque d'exciter une sédition. En 1580, plusieurs évêques se permettent de publier la bulle In cœnd Domini. Des conciles

(*) Numismata Pontificum Romanorum, à P. Bonnanni, societatis Jesu, in-fol., 1699. Le clergé de France célébra de même la révocation de l'Édit de Nantes, en 1685. Il fit peindre au revers d'une médaille une hydre accablée sous des ruines, et une main qui fait tomber ces ruines, avec ces mots du chapitre 3 d'Isaïe : Ruina hac sub manu tuá! Menestrier, art des Devises, page 16.

(**) On voit aussi dans les Voyages de Montaigne, qu'il ne fut pas fort édifié de trouver, en deux endroits de l'église de Saint-Pierre de Rome, la mort de l'amiral de Coligny, représentée comme une victoire de la religion; et il faut observer que Montaigne se montre partout catholique sincère, et argumente même contre les protestants.

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