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Vous avez commencé par détruire la féodalité, vous la poursuivez aujourd'hui dans ses effets vous allez comprendre dans vos réformes ces lois injustes que nos coutumes ont introduites dans les successions. Mais, messieurs, ce ne sont pas seulement nos lois, ce sont nos esprits et nos habitudes qui sont tachés des principes et des vices de la féodalité. Vous devez donc aussi porter vos regards sur les dispositions purement volontaires qui en sont l'effet. Vous devez juger si ces institutions d'héritiers privilégiés, de préciputs, majorats, substitutions, fidéicommis, doivent être permises par les lois qui régleront désormais nos suc

cessions.

Les comités de constitution et d'aliénation viennent de vous présenter un projet qui embrasse toute la matière des propriétés relatives aux successions et partages. Les détails de cette intéressante loi vont vous occuper successivement; mais ils dépendent d'une question qu'il importe d'approfondir, d'un principe qu'il faut reconnaître. Il nous faut examiner, relativement aux chefs de famille, ce qui concerne le droit de tester, ses fondemens et ses limites. Alors seulement nous toucherons à la source de tous les abus; alors, peut-être, nous sentirons la nécessité de les détruire tous ensemble par le bienfait de la loi que l'on vous

propose.

Voici donc la question fondamentale qui se présente la loi doit-elle admettre chez nous la libre disposition des biens en ligne directe? c'est-à-dire un père ou une mère, un aïeul ou une aïeule doivent-ils avoir le droit de disposer à leur gré de leur fortune, par contrat ou par testament, et d'établir ainsi l'inégalité

III.

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dans la possession des biens domestiques? C'est ce que je me propose d'examiner.

Les formes et les règles testamentaires ont varié et varient encore à l'infini chez les divers peuples de la terre, et souvent chez le même peuple; mais, à quelques exceptions près, la faculté de tester a été accordée de tout temps à tout citoyen qui possède quelque propriété transmissible, et qui n'est pas dans le cas particulier d'incapacité.

Ceux qui ont traité cette matière ont pu se méprendre sur le fondement et le caractère d'un système aussi général. Ce qui est universellement adopté peut être regardé aisément comme un principe pris dans la nature. Des erreurs bien plus grossières ont échappé à la philosophie des légistes.

Si le droit dont jouissent les citoyens, de disposer de leurs propriétés pour le temps où ils ne seront plus, pouvait être regardé comme un droit primitif de l'homme, comme une prérogative qui lui appartient par les lois immuables de la nature, il n'est aucune loi positive qui pût les en priver légitimement. La société n'est pas établie pour anéantir nos droits naturels, mais pour en régler l'usage, pour en assurer l'exercice. Cette question, sur la faculté de disposer arbitrairement de ses biens par testament, n'en serait donc pas une, surtout dans une constitution comme la nôtre, dont le premier caractère est le respect pour les droits de l'homme.

Il faut donc voir ce que la raison prononce à cet égard. Il faut voir si la propriété existe par les lois de la nature, ou si c'est un bienfait de la société. Il faut voir ensuite si, dans ce dernier cas, le droit de disposer

de cette propriété par voie de testament en est une conséquence nécessaire.

Si nous considérons l'homme dans son état originaire, et sans société réglée avec ses semblables, il paraît qu'il ne peut avoir de droit exclusif sur aucun objet de la nature; car ce qui appartient également à tous, n'appartient réellement à personne.

Il n'est aucune partie du sol, aucune production spontanée de la terre qu'un homme ait pu s'approprier à l'exclusion d'un autre homme. Ce n'est que sur son propre individu, ce n'est que sur le travail de ses mains, sur la cabane qu'il a construite, sur l'animal qu'il a abattu, sur le terrain qu'il a cultivé, ou plutôt sur la culture même et sur son produit, que l'homme de la nature peut avoir un vrai privilége.

Dès le moment qu'il a recueilli le fruit de son travail, le fonds sur lequel il a déployé son industrie retourne au domaine général, et revient commun à tous les hommes. Voilà ce que nous enseignent les premiers principes des choses.

C'est le partage des terres fait et consenti par les hommes rapprochés entre enx qui peut être regardé comme l'origine de la vraie propriété; et ce partage suppose, comme on voit, une société naissante, une convention première, une loi réelle. Aussi les anciens ont-ils adoré Cérès comme la première législatrice du genre humain.

Et c'est par là, messieurs, que la matière que nous traitons est liée aux lois politiques, puisqu'elle tient au partage des biens territoriaux, à la transmission de ces biens, et par là même à la grande question des propriétés dont ils sont la source.

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Nous pouvons donc regarder le droit de propriété, tel que nous l'exerçons, comme une création sociale. Les lois ne protégent pas, ne maintiennent seulement la propriété; elles la font naître en quelque sorte, elles la déterminent, elles lui donnent le rang et l'étendue qu'elle occupe dans les droits du citoyen.

Mais de ce que les lois reconnaissent les droits de propriété et les garantissent, de ce qu'elles assurent en général aux propriétaires la disposition de ce qu'ils possèdent, s'ensuit-il que ces propriétaires puissent de plein droit disposer arbitrairement de leurs biens pour le temps où ils ne seront plus?

Il me semble, messieurs, qu'il n'y a pas moins de différence entre le droit qu'a tout homme de disposer de sa fortune pendant sa vie, et celui d'en disposer après sa mort, qu'il n'y en a entre la vie et la mort même. Cet abîme, ouvert par la nature sous les pas de l'homme, engloutit également ses droits avec lui; de manière qu'à cet égard, être mort, ou n'avoir jamais vécu, c'est la même chose.

Quand la mort vient à nous frapper de destruction, comment les rapports attachés à notre existence pourraient-ils encore nous survivre? Le supposer, c'est une illusion véritable, c'est transmettre au néant les qualités de l'être réel.

que

Je sais les hommes ont professé de tout temps un saint respect pour la volonté des morts. La politila morale et la religion, ont concouru pour conque, sacrer ces sentimens. Il est des cas, sans doute, où le vou du mourant doit faire loi pour ceux qui survivent. Mais ce vou lui-même a ses lois aussi; il a ses limites naturelles; et je pense que, dans la question dont il s'a

git, les droits de l'homme, en fait de propriété, ne peuvent s'étendre au-delà du terme de son existence.

La propriété ayant pour fondement l'état social, elle est assujétie, comme les autres avantages dont la société est l'arbitre, à des lois, à des conditions. Aussi voyons-nous partout le droit de propriété soumis à certaines règles, et renfermé, selon le cas, dans des limites plus ou moins étroites. C'est ainsi que, chez les Hébreux, les acquisitions, les aliénations de terre, n'étaient que pour un temps, et que le jubilé voyait rentrer, au bout de cinquante années, tous les héritages dans les familles de leurs premiers maîtres. C'est ainsi que, malgré la liberté laissée en général aux citoyens de disposer de leurs fortunes, la loi réprime la prodigalité par l'interdiction: on pourrait citer vingt autres exemples.

La société est donc en droit de refuser à ses membres, dans tel ou tel cas, la faculté de disposer arbitrairement de leur fortune. Le même pouvoir qui fixe les règles testamentaires, et annulle les testamens quand ces règles ont été violées, peut interdire en certaines circonstances les testamens mêmes ou en limiter étroitement les dispositions; il peut déterminer, par sa volonté souveraine, un ordre constant et régulier dans les successions et les partages.

Il ne s'agit donc plus que de savoir si ce que le législateur peut, il le doit faire; s'il doit refuser au citoyen qui a des enfans la faculté de choisir entre eux des héritiers privilégiés.

Les lois romaines l'accordent, on le sait; et c'est un grand argument pour plusieurs juristes. J'ignore, messieurs, s'il faut rendre grâces à ces lois romaines, ou

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