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position parlementaire à meilleur marché qu'en 1847.

Le pays jouissait, dans la plénitude de la liberté et de la paix, d'une prospérité que les agitations de quelques coteries et les cris avinés de quelques banquets ne semblaient pas pouvoir sérieusement troubler; 100 millions avaient été consacrés à bastionner Paris contre la république plus que contre l'étranger. Le parti qui, quinze années auparavant, avait pu y livrer des batailles, était réduit, au matin même de son triomphe, à quinze cents bravi dont bon nombre entraient secrètement à la préfecture de police par la petite porte avant d'y pénétrer par la grande. La monarchie possédait enfin une admirable armée, commandée par de jeunes généraux créés par elle et réputés les meilleurs de l'Europe. Cette armée avait vu grandir dans ses rangs des princes qu'une noble confraternité de périls unissait étroitement à ses chefs. On tenait pour stratégiquement résolu le problème de protéger à jamais Paris contre un coup de main, et les cabinets les plus anciennement hostiles à la dynastie d'Orléans la réputaient inexpugnable derrière le double rempart de la force armée et d'une politique pacifique appuyée par tous les pouvoirs de l'État. C'est dans la plénitude de cette puissance matérielle et légale, garantie par des institutions demeurées jusqu'au bout inviolables, servie par la présence et par le bras de ses plus illustres soldats, que cette monarchie allait disparaître devant des ennemis anonymes, plus étonnés de leur facile triomphe que la France, qui consentait à le subir!

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Tels furent ces temps, durant lesquels la France éleva la gloire de sa tribune au niveau où elle avait porté celle de ses armes, pour aboutir à un résultat également stérile. Nos triomphes militaires avaient conduit les Cosaques au Louvre; nos triomphes parlementaires allaient conduire les Barbares au Palais-Bourbon. Et pourtant ce qui caractérisait ces années dont on dirait qu'un siècle nous sépare, c'était la confiance inspirée par l'avenir à tous les hommes engagés dans les affaires; c'était surtout la pleine sécurité du prince, qui dominait son gouvernement par une personnalité puissante et un ascendant incontesté. Les violences de la lutte alarmaient peu son expérience, lors même qu'elles semblaient toucher de plus près à l'esprit de faction. Inspirant à tous la quiétude dont il était pénétré, le vieux monarque apparaissait, le front serein et la lèvre dédaigneuse, au sein des tempêtes politiques, assuré, comme le guide du Dante dans les sombres régions, d'apaiser

toutes les clameurs et de faire tomber toutes les résistances en tenant d'une main le rameau d'or, de l'autre le gâteau de miel.

La confiance n'était pas moindre dans la région diplomatique que dans celle où s'agitaient les ambitions parlementaires. Depuis le congrès de Vienne jusqu'à la conférence de Londres, on avait pris une telle habitude de rester maître des événements, que l'on se croyait en mesure de les dominer toujours. Si l'on s'inclinait devant la Providence, c'était avec la conviction qu'elle avait à peu près abdiqué aux mains des banquiers et des hommes d'État, Aucune époque n'entretint peut-être des illusions plus complètes sur l'omnipotence de l'habileté et du talent; c'était, qu'on veuille bien me passer le mot, à donner à Dieu la tentation de les dissiper.

Il s'opérait cependant, dans les profondeurs du pays, un double travail d'une portée également menaçante pour ces nobles institutions dont l'avenir ne préoccupait personne. Les doctrines socialistes, favorisées dans leur diffusion par d'étranges complaisances, avaient déjà fait germer au sein de quelques populations industrielles des idées qui n'attendaient qu'une heure de crise pour s'épanouir en plein soleil, et la littérature des feuilletons avait donné par avance le programme de la politique des clubs. Une disposition non moins redoudable se révélait simultanément dans les classes mêmes où le régime constitutionnel semblait reposer sur des bases indestructibles. L'envie, cette vipère dont la

morsure atrophie, rongeait la France libérale et l'atteignait aux sources de sa vie politique.

Sans oser le confesser à autrui, sans l'avouer peut-être à soi-même, on commençait à s'inquiéter du retentissement de la tribune, comme on s'était inquiété en d'autres temps de l'éclat de la naissance et des avantages de la fortune. La démocratie se lassait en France de la gloire de ses plus illustres orateurs, comme elle s'était lassée dans Athènes de la renommée de ses meilleurs citoyens. Sans se rendre un compte précis du point où ces détestables instincts pouvaient bientôt conduire, on aspirait vaguement à voir s'abaisser sous un niveau commun ces existences éclatantes, qu'on avait contribué à créer par son admiration et par ses suffrages, et les fils de leurs œuvres n'offusquaient guère moins que ne l'avaient fait si longtemps les fils de leurs pères. En vociférant des paroles de liberté, on façonnait son cœur au despotisme; que celui-ci sortît des carrefours ou des palais, on était prêt à l'accueillir, pourvu qu'il donnât satisfaction aux exigences de la médiocrité, mille fois plus insatiables que les exigences du talent.

Dans l'ancienne aristocratie, des antipathies invincibles contre une royauté sortie d'une insurrection victorieuse; dans les classes moyennes, des convictions faibles comme les caractères, amollies d'ailleurs par l'ardente préoccupation du bien-être et les mortelles atteintes de la jalousie; dans les populations industrielles, les premières aspirations de doctrines désorganisatrices

développées par un système d'instruction primaire malhabilement organisé; une scission profonde entre l'Église aspirant à reconquérir les âmes, et l'État prétendant conserver la possession exclusive des intelligences; les organes des opinions conservatrices aidant à la fortune littéraire des ennemis de la société, et une imprévoyance inexplicable se révélant au sein d'une sécurité universelle: tel était l'état de la France lorsqu'éclata le coup de tonnerre dont les sinistres lueurs éclairérent tout à coup tant d'horizons nouveaux et d'abîmes ignorés. Jamais Dieu ne reprit avec un éclat plus terrible possession du gouvernement des choses humaines, qu'il semble parfois nous déléguer; jamais la Providence ne déjoua à ce point tous les calculs de notre prudence, toutes les spéculations de notre pauvre raison humiliée.

Si j'ai hasardé quelques observations critiques sur les institutions de 1830, je n'ai garde, en effet, de prétendre expliquer ainsi une catastrophe qui se comprend d'autant moins qu'on a pu la contempler de plus près : chute mystérieuse dans laquelle fut bientôt entraîné, pour constater la vanité de ses efforts, le parti républicain, au nom duquel était tombée cette royauté si vivante! Imaginez toutes les invraisemblances réalisées à la fois: un roi sage et courageux saisi d'une défaillance soudaine; des ministres auxquels le cœur ne manque pas plus que l'intelligence, et qui regardent immobiles le flot qui va les engloutir; des généraux trempés au feu

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