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nerai à dire, avec l'auteur de ces descriptions (1), que pendant les nombreux voyages que durent faire les bâtiments pour transporter des cholériques, le moral des marins ne se démentit pas un seul instant au contact de toutes ces agonies. Avec un courage calme et un profond sentiment du devoir, les équipages, frappés eux-mêmes, semblaient oublier leurs propres souffrances pour secourir les malheureux soldats entassés dans les batteries et dans les entre-ponts. Ce qu'il faut dire aussi, c'est que ces nobles exemples se retrouvèrent partout, dans tous les rangs, comme dans tous les cœurs, tant que dura l'épidémie. Je me suis un peu étendu sur ces tristes épisodes de la grande expédition de Crimée, parce qu'on ne sait généralement pas assez ce qu'il faut de force aux hommes de mer qui sont obligés de vivre au milieu de la contagion. On ne se rend pas assez compte combien les marins, chefs comme sous-ordres, doivent constamment faire preuve de ce courage moral qui agit si puissamment sur les masses, et qui a été si unanimement exalté, à toutes les époques de grandes calamités. Ceux-là seuls qui se sont trouvés à bord d'un bâtiment pendant une épidémie, savent la position cruelle qui est faite à chacun de ses habitants. A bord, tout se voit, tout se sait. L'atteinte de la maladie, ses progrès, ses ravages, l'enlèvement des malheureux qui succombent, leur ensevelissement, leur immersion, rien ne peut être dissimulé. Dans de pareilles conditions, lorsqu'elles se prolongent quelque peu, il faut à l'équipage un moral de fer, et au chef qui suit pas à pas la marche du mal, qui voit ses moyens d'action diminuer incessamment, il faut cette puissance de volonté et d'énergie qui fait de l'officier de marine, commandant un bâtiment, une des plus belles expressions de l'Etre que Dieu a animé de son souffle divin au jour de la création.

(1) Baron de Bazancourt: la Marine française dans la mer Noire et dans la Baltique.

Cependant cette situation ne pouvait se prolonger davantage; il fallait absolument agir; un débarquement en Crimée fut décidé. Mais malgré les précautions prises et les moyens de préservation employés, la mortalité allait toujours en augmentant. La position du commandant en chef de l'armée de mer était perplexe. Évacuer les vaisseaux pour les assainir, en mettre les équipages à terre, était le moyen qui s'offrait tout naturellement. Mais il ne pouvait pas laisser la mer libre car, promptement informés de cet état de choses, les Russes n'eussent pas manqué d'en profiter. L'air vif de la mer pouvait produire un bon effet : il prit le parti de mettre sous voiles et de s'éloigner momentanément de ces parages, pour aller chercher au large un air plus pur que celui qu'on respirait sur la côte. Grâce à cette prudente détermination, les ravages du fléau diminuèrent d'une manière sensible. Toutefois les troupes, comme les marins, avaient été décimées et, eu égard à l'époque avancée de la saison, on se demandait si l'expédition de Crimée était encore possible, non qu'il existât aucun doute sur son utilité; la question d'opportunité seule divisait les esprits. Si dans l'armée de terre française et dans l'armée anglaise des doutes purent se produire, on comprend combien les hésitations durent avoir un caractère plus prononcé encore dans la marine. Ici, en effet, la mission ne consistait pas seulement à prêter à l'armée de terre l'appui des canons des vaisseaux pour favoriser les débarquements, attaquer et réduire les places du littoral; les vaisseaux étaient pour cette armée un appui tout autant moral qu'effectif; ils formaient la base de toute opération à entreprendre dans ces pays lointains et, pour ainsi dire, inconnus. Or, au point de vue militaire, l'affaiblissement des équipages par la mortalité et par la maladie qui continuait à faire des victimes, diminuait sensiblement la part possible de coopération de la marine; au point de vue moral, exclusivement chargée de l'approvisionnement, sans une rade sûre, sans un port connu, elle devait faire ses réserves. Ces appréhensions, le

maréchal Saint-Arnaud ne les ignorait pas. Aussi, dans ce moment suprême, désira-t-il que les objections et les assentiments se produisissent au grand jour; que chacun pût présenter ses observations pour ou contre l'expédition de Crimée. Les opinions des chefs n'étaient, du reste, un mystère pour personne; et c'est probablement parce qu'il les savait contraires à la sienne que le commandant supérieur assembla un conseil de guerre. Personne n'ignorait que la très-grande majorité, dans l'armée de terre comme dans l'armée de mer, disait que l'expédition n'était pas possible. Sur ce point, les Anglais étaient d'accord avec les Français. On savait : 1° Que les officiers généraux étaient en grande partie, opposés au départ;

2° Que les commandants en chef des escadres étaient d'avis qu'il ne fallait pas aller se jeter, en quelque sorte en enfants perdus, dans un pays dont on ne connaissait pas encore les ressources. Cette opinion était celle de presque tous les capitaines et du contre-amiral en sousordre;

3° Que les deux commandants en second ne repoussaient pas l'idée de l'expédition immédiate, quoique le vice-amiral français eût écrit, peu de temps auparavant, que l'entreprise n'était plus possible, et avouât qu'on allait courir une aventure;

4o Enfin, que le chef d'état-major français demeurait inébranlable dans l'opinion qu'il avait plusieurs fois émise sur la possibilité et la nécessité du départ immédiat.

Le 26 août, le maréchal réunit à Varna un conseil de guerre dont faisaient partie : le feld-maréchal lord Raglan, le vice-amiral Hamelin, le vice-amiral Dundas, le vice-amiral Bruat, le contre-amiral sir Edmund Lyons, les généraux Canrobert et Burgoyne, le chef d'état-major général Martimprey, le major général capitaine de vaisseau comte Bouët Willaumez, et le colonel Trochu. Que se passa-t-il dans cette mémorable séance? Il ne m'est pas donné de le dire. Si l'on en croit la tradition, deux voix

s'élevèrent seules avec persistance en faveur de l'expédi-tion; et ces voix, dont une appartenait à la marine française, furent si éloquentes, si persuasives, que le maréchal Saint-Arnaud se crut suffisamment autorisé à agir de suite, et il déclara l'expédition de Crimée irrévocablement décidée. On doit s'empresser de le proclamer, si quelques dissidences s'étaient produites parmi les chefs, elles disparurent à ce moment solennel; et, dans l'armée de mer comme dans l'armée de terre, parmi les Français et chez les Anglais, chacun apporta tout ce qu'il avait de connaissances et d'activité à l'accomplissement de la grande œuvre.

Il n'y avait toutefois pas de temps à perdre; il fallait, de toute nécessité, prendre la mer sans retard. L'embarquement des troupes commença le 31 août; trois jours après il était terminé et, le 5 septembre, l'armée navale de la France voguait vers la Crimée sous la protection du Dieu des armées. Elle comptait :

15 vaisseaux dont 1 à vapeur et 3 mixtes.

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Ces bâtiments remorquaient 49 navires du commerce, et portaient :

25,200 hommes d'infauterie,

2,000 hommes d'artillerie,

800 hommes du génie,

1,437 chevaux,

68 canons.

L'escadre ottomane, dont le vice-amiral Hamelin avait bien voulu accepter la surveillance, partit en même temps, composée de huit vaisseaux à voiles et quatre frégates à vapeur sous les ordres du Capitan pacha; deux frégates à vapeur françaises et deux anglaises lui avaient été adjointes. Ces 16 bâtiments et 16 navires du commerce qu'ils prirent à la remorque, avaient à bord une division

de 7,000 Turcs. D'autres navires du commerce partirent par groupes isolés.

Voici l'ordre dans lequel s'ébranla cette masse considérable de bâtiments. Les vaisseaux, sur deux colonnes, ouvraient la marche, précédés par les deux corvettes à vapeur, le Primauguet et le Caton, capitaines Reynaud et Pothuau, placées en éclaireurs :

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Venait ensuite le convoi sous la conduite du contreamiral Charner, avec les frégates, corvettes et avisos à vapeur, naviguant aussi sur deux lignes (1).

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