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Les causes qui avaient empêché le capitaine du Scipion de prendre son poste, obligèrent celui du Trident à mouiller dans le Nord de ce vaisseau. Il partagea aussi son feu entre les bâtiments et la citadelle.

Lorsque le Breslaw entra dans la rade, la fumée était déjà si intense qu'il ne fut pas possible d'apercevoir la place qui lui avait été assignée entre le Trident et l'Asia; le capitaine de Labretonnière dut faire ce qu'avaient fait les capitaines des deux vaisseaux qui le précédaient, prendre le poste qui lui parut le plus convenable. Il se dirigea du côté de l'Albion, soutint un moment ce vaisseau, et jeta l'ancre près de l'Azoff, dans le vide qui existait entre les Russes et les Anglais. Le capitaine de Labretonnière fut blessé et remplacé par le capitaine de frégate Longueville.

Le poste de l'Armide avait été marqué à l'extrémité Ouest du fer à cheval. Elle y trouva la frégate anglaise Talbot dans une position assez critique. Le capitaine Hugon engagea généreusement la sienne au milieu d'une masse compacte de bâtiments ennemis pour la soutenir, et toutes deux combattirent seules, pendant quelque temps, les bâtiments mouillés dans cette partie de la rade. L'Armide fit amener et amarina la frégate turque la SULTANE; ce fut le seul bâtiment qui abaissa son pavillon. Le capitaine Hugon dirigea ensuite son feu sur ceux qui l'entouraient; il fut soutenu, plus tard, par les frégates anglaises Glascow et Cambrian qui, éloignées de leur division lorsqu'on forma la ligne, n'entrèrent qu'après les autres dans la baie. La Rose lui vint aussi en aide, et les embarcations de ce brig débarrassèrent l'Armide d'un brûlot qu'elle ne pouvait éloigner faute de canots.

L'Alcyone fut accroché et entraîné par le Breslaw jusqu'auprès de l'Asia. Ce brig et la Daphné secondèrent de tous leurs efforts la Dartmouth dans la mission qui lui était dévolue.

Relater la part que chacun prit à cette bataille est chose

impossible. Enveloppés dans un nuage épais de fumée qui permettait à peine d'apercevoir le bâtiment par le travers duquel ils étaient placés, Français, Anglais et Russes combattirent avec une égale ardeur et contribuèrent également à cette œuvre de destruction. En ce qui concerne les Anglais, on sait que leurs trois vaisseaux prêtèrent le côté aux trois vaisseaux turcs, et que l'Albion eut à repousser l'équipage de son adversaire qu'il élongeait de long en long. Le pont de ce dernier avait été promptement balayé par la mousqueterie et envahi par un détachement anglais. Mais le feu qui s'était déclaré à son bord avait fait des progrès si rapides, qu'il était devenu urgent de l'abandonner. L'Albion avait coupé ses câbles et, quelques minutes après, le vaisseau turc sautait. Le capitaine Ommaney avait alors de nouveau laissé tomber l'ancre.

un

La menace faite à Ibrahim Pacha était accomplie coup de canon avait été tiré sur les pavillons alliés et l'escadre ottomane entière était détruite. Le lendemain de la bataille, il n'y avait plus à flot qu'une vingtaine de corvettes ou de brigs plus ou moins maltraités (1).

Les alliés avaient perdu peu de monde, mais quelques-uns de leurs bâtiments avaient de grandes avaries. Les pertes des Français montèrent à 43 tués et 144 blessés. Le Trident put seul suffire à ses besoins; tous les autres bâtiments français durent être renvoyés en France. Les Anglais curent 75 tués, dont le capitaine Bathurst du Genoa, et 197 blessés; ce vaisseau fut le plus maltraité; il fallut cependant renvoyer aussi les autres, ainsi que la frégate Talbot, en Angleterre. Les Russes perdirent 59 hommes et eurent 139 blessés. Les pertes des Ottomans n'ont pas été parfaitement connues: on a prétendu qu'ils eurent

(1) On n'a jamais bien connu le résultat matériel de la bataille de Navarin. Le vice-amiral anglais, dans son rapport, dit qu'il ne resta qu'une frégate et quinze bâtiments de moindre force en état de prendre la mer.

3,000 tués et 1,109 blessés (1). Je dirai avec un historien anglais que l'inverse est plus probable (2).

Le lendemain, les Turcs continuèrent l'œuvre de destruction que les divisions alliées avaient commencée; ils jetèrent à la côte ceux de leurs bâtiments qui n'y étaient pas encore, et les incendièrent. Afin d'arrêter cette dévastation inutile, les amiraux envoyèrent déclarer à Ibrahim Pacha, à Tahir Pacha et à Moharem Bey, qu'ils n'avaient nullement l'intention de détruire entièrement la marine ottomane; mais ils les prévenaient que si un simple coup de fusil était tiré sur quelque bâtiment ou embarcation des alliés, le reste de l'escadre turque et les forts de Navarin seraient détruits, et qu'ils considéreraient ce nouvel acte d'hostilité comme une déclaration de guerre formelle de la Porte.

L'anéantissement de l'escadre turque amenait de fait, du moins sur mer, l'armistice que les amiraux devaient établir. Leur présence à Navarin n'étant plus nécessaire, ils mirent à la voile le 25. Avant de se séparer, ils durent prendre des mesures pour arrêter les déprédations auxquelles les Grecs se livraient. Profitant de la réunion des escadres alliées dans la baie de Navarin, ceux-ci venaient de lancer dans l'archipel une nuée de corsaires qui molestaient les navires européens sous prétexte d'un droit de visite malheureusement concédé, ces corsaires, qui s'inquiétaient fort peu du sort de leur pays, n'avaient d'autre objet que d'exercer la piraterie et de rapporter à Hydra leurs vols transformés, par les plus étranges erreurs, en droits de course et de capture. Plusieurs navires français et anglais avaient été arrêtés et conduits de la côte de Syrie à Égine. Cette conduite, tant de la part des îles d'Hydra et de Spetzia, que de la part du gouvernement, le

(1) Je ne cite ces chiffres que pour montrer ce qu'on peut attendre de la précision et de la tactique,

(2) W. James. The naval history of Great Britain.

quel, malgré ses proclamations, continuait à délivrer des patentes de course afin d'en partager le produit, excita au plus haut degré l'indignation des alliés, et les amiraux l'écrivirent à la commission permanente du Corps législatif à Égine.

La bataille de Navarin ne mit pas fin aux dévastations et aux massacres que l'on voulait arrrêter. Ibrahim continua la guerre en Morée. D'un autre côté, la Porte se refusant à toute espèce d'arrangement, les ambassadeurs des trois puissances. quittèrent Constantinople au commencement du mois de décembre, et un corps de troupes françaises occupa la Morée.

Avant de quitter l'archipel, je vais raconter le trait d'héroïsme auquel donna lieu la capture de l'un des pirates qui infestaient les mers du Levant.

Le brig Panayoti, pirate grec pris par la gabare la Lamproie sur la côte de Syrie, fut envoyé à Alexandrie, et quitta ce port en même temps que la frégate la Magicienne qui se rendait dans l'archipel. Une quinzaine d'hommes avaient été embarqués sur ce brig; six Grecs seulement avaient été laissés à bord. Un coup de vent sépara les deux bâtiments pendant la nuit du 4 novembre 1827: le capitaine du Panayoti se dirigea sur l'île Stampali pour y chercher un abri contre le mauvais temps. Le lendemain dans l'après-midi, au moment où le brig doublait une des pointes de l'île, deux des Grecs laissés à bord se jetèrent à la mer. L'enseigne de vaisseau Bisson, qui commandait la prise, n'attacha pas une grande importance à cette circonstance; il laissa ses deux prisonniers gagner le rivage, continua sa route, et mouilla une ancre devant la ville. Vers 10 du soir, deux grandes embarcations furent aperçues se dirigeant du côté du Panayoti. Les cris qui répondirent au « qui vive!» de la sentinelle du brig ne purent laisser de doute sur la qualité et les intentions de ceux qui

les montaient; plusieurs coups de fusil leur furent tirés par les hommes de garde, et la fusillade s'engagea. L'éveil était donné. Le capitaine et le reste de l'équipage montèrent sur le pont; mais les Grecs, qui étaient trèsnombreux, ne furent pas arrêtés par ces quelques coups de feu, et ils sautèrent résolûment à l'abordage : en un instant, le pont du Panayoti fut envahi. Le but que se proposaient les Grecs était de piller un navire que la tempête amenait dans les eaux de leur fle; aussi, et sans perdre de temps, descendirent-ils dans les parties basses du navire. Le capitaine Bisson, déjà blessé, fit part au pilote Trémintin, son second, du moyen qu'il allait employer pour terminer une lutte qui, vu la disproportion du nombre, ne pouvait leur être favorable. Il lui déclara vouloir profiter de la rapacité des pirates pour les faire sauter avec le Panayoti. Il chargea Trémintin de dire à tous les Français de se jeter de suite à la mer, et après lui avoir donné sa montre comme souvenir, il l'engagea à gagner lui-même la terre à nage. Il ne fut malheureusement pas tenu compte de cet avertissement avec toute la promptitude que la circonstance exigeait. Craignant de ne pouvoir exécuter son projet, Bisson n'attendit pas que l'évacuation du brig par les Français fût complète. Il descendit dans la chambre où étaient les poudres, et dans laquelle les Grecs n'étaient pas encore entrés, et bientôt le Panayoti fit explosion. Tout ce qui restait à bord fut projeté au loin avec les débris du navire. Le pilote Trémintin, qui n'avait pas encore quitté le bâtiment au moment de l'explosion, arriva à la plage sans blessures bien graves, et il put, avec quatre matelots qui seuls survécurent à cette catastrophe, apporter en France la nouvelle douloureuse du beau trait d'héroïsme qui coûta la vie à l'enseigne de vaiseau Bisson et à la majeure partie de l'équipage placé sous ses ordres.

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