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que le roy luy avoit données; et d'ung gentil tour que fist le bon chevalier.

Il fault entendre que quant le roy de France eut fait sa première conqueste de la duché de Milan, il voulut récompenser ses bons serviteurs en leur donnant terres et seigneuries oudit duché, mesmement au seigneur de Ligny, Tortone, Vaugayre et quelques autres places où ilz s'estoient révoltez quant le seigneur Ludovic revint d'Almaigne, qui avoit fort fasché audit seigneur de Ligny. Si se délibéra de les aller veoir, et mena en sa compaignie le vertueux cappitaine Loys d'Ars, son lieutenant, le bon chevalier sans paour et sans reprouche qui portoit son guydon alors, et plusieurs autres gentilzhommes. Si vint jusques à Alexandrie, et faisoit courir le bruyt qu'il mettroit Tortonne et Vaugayre au sac, combien qu'il n'en avoit nulle voulenté, car il estoit de trop bonne nature. Quant ses subgectz sceurent sa venue et le bruyt qui couroit de leur destruction, furent, et non sans cause, bien estonnez. Si eurent conseil ensemble qu'ilz envoyeroient au devant de leur seigneur le plus humblement qu'ilz pourroient, pour impétrer miséricorde, ce qu'ilz firent, et jusques au nombre de vingt des plus apparens le vindrent trouver à deux mille de Vaugayre, pour luy cuyder faire la révérence et eulx excuser; mais combien qu'on les monstrast audit seigneur de Ligny et qu'il les congneust assez, ne fist pas semblant de les veoir, et tira oultre jusques dedans la ville au logis qui estoit pris pour luy. Les povres gens qui estoient allez au devant furent bien estonnez de si

estrange recueil. Si se retirèrent en leur ville le plus doulcement qu'ilz peurent et cherchèrent moyen de parler au cappitaine Loys d'Ars, pour faire leur appoinctement1 envers le seigneur; ce qu'il promist à son possible faire, car jamais ne fut gentilhomme de meilleur nature. Si leur assigna jour à lendemain ; cependant alla faire ses remonstrances au seigneur de Ligny, luy suppliant qu'en sa faveur il les voulsist escouter, qui luy fut accordé. Et le lendemain, après le disner, cinquante des plus apparens de la ville vindrent à son logis, et testes nues se gectèrent à genoulx devant luy en criant miséricorde. Puis commencea à parler l'ung d'entre eulx, homme fort éloquent, et en langage ytalien proféra telles ou semblables parolles : « Monseigneur, voz très humbles et très obéyssans subjectz et serviteurs de ceste povre ville vostre, de tout leur cueur se recommandent très humblement à vostre bonne grace, vous suppliant par vostre gentillesse leur vouloir pardonner l'offense qu'ilz ont faicte, tant envers le roy de France leur souverain que vous, pour eulx estre révoltez. Et ayez à considérer en vostre cueur que la ville n'est pas pour tenir contre une puissance, et que quelque chose qu'ilz ayent faicte, leur cueur n'est jamais mué qu'il ne soit demouré bon françois ; et si par leur povreté d'esperit ilz ont fait une lourde faulte, par vostre grant bonté leur vueille estre appaisée, vous asseurant, monseigneur, que jamais plus ne les y trouverrez, et ou, comme de Dieu habandonnez, une autre fois ilz retourneroient, se mectent eulx, leurs enfans et femmes avecques tous leurs biens, pour

1. Appoinctement, accommodement.

en disposer ainsi qu'il vous plaira. Et en signe qu'ilz veullent demourer envers vous telz que je vous dis, vous font en toute humilité ung petit présent selon leur puissance, qui est de trois cens marcs de vaisselle d'argent, lequel il vous plaira prendre, en démonstrant que vostre yre est cessée sur eulx. » Alors se teut et fist apparoistre sur deux tables, bassins, tasses, gobeletz et autre manière de vaisselle d'argent que ledit seigneur de Ligny ne daigna regarder, mais en homme courroucé fièrement respondit : « Comment, meschans, lasches et infâmes, estes-vous si hardis d'entrer en ma présence, qui comme failliz de cueur, sans cause ny moyen, vous estes révoltez! Quelle foy désormais pourray-je avoir en vous? Si on feust venu mettre le siége devant vostre ville, icelle canonner et assaillir, sc'eust esté autre chose; mais ennemy ne s'est jamais monstré, qui fait assez apparoistre que de vostre propre voulenté estes retournez à l'usurpateur de ceste duché. Si je faisois mon devoir, ne vous ferois-je pendre et estrangler comme traystres et desloyaulx aux croysées de voz fenestres? Allez, fuyez de devant moy, que jamais ne vous voye. » En disant lesquelles parolles, les povres citoyens estoient tousjours à genoulx. Alors le vaillant et prudent cappitaine Loys d'Ars mist le bonnet hors de la teste, et ung genoil en terre dist : « Monseigneur, pour l'honneur de Dieu et de sa Passion, faictes-moy ceste grace que à ma requeste leur vueillez pardonner vostre maltalent1, car je leur ay promis, et jamais n'auroient

1. Pardonner vostre maltalent, leur pardonner d'avoir excité votre colère.

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fiance en moy si m'aviez reffusé. J'espère, monseigneur, que toute vostre vie vous les trouverrez bons et vrais subjectz. Et les povres gens, sans attendre qu'on replicquast, commencèrent tous d'une voix à crier Monseigneur, il sera ainsi que le dit le cappitaine, au plaisir de monseigneur. » Le bon seigneur de Ligny, ouye leur clameur, meu de pitié et quasi larmoyant, les fist lever et leur déclaira deux propos, l'ung d'amytié, et l'autre de rudesse, pour monstrer qu'ilz avoient grandement failly. Quant à l'ung dist: < Allez! pour l'amour du cappitaine Loys d'Ars, qui tant m'a fait de services que pour beaucoup plus grosse chose ne le vouldrois reffuser, je vous pardonne, et n'y retournez plus; mais au regard de vostre présent, je ne le daignerois prendre, car vous ne le vallez1 pas. » Si regarda autour de luy et advisa le bon chevalier auquel il dist: « Picquet, prenez toute ceste vaisselle, je la vous donne pour vostre cuysine. » A quoy soubdainement respondist : « Monseigneur, du bien que me faictes très humblement vous remercie, mais à Dieu ne plaise que biens qui viennent de si meschans gens que ceulx-cy entrent en ma maison; ilz me porteroient malheur. » Si prent pièce à pièce toute ceste vaisselle, et à chascun qui estoit là en fist présent sans que pour luy en retiensist la valleur d'ung denier, qui fist esbahir toute la compaignie, car alors il n'eust sceu finer2 de dix escus. Quant il eut tout donné, partit hors de la chambre; aussi firent les habitans. Si commenca à dire le seigneur de Ligny à ceulx qui estoient

1. Vallez, méritez.

2. Finer, financer.

demourez : « Que voulez-vous dire, messeigneurs ; avez-vous veu le cueur de Picquet et sa libéralité? Ne luy fist pas Dieu grant tort qu'il ne le fist roy de quelque puissant royaulme? Il eust acquis tout le monde à luy par sa grâce. Croyez-moy que ce sera une fois ung des plus parfaictz hommes du monde. » Brief toute la compaignie donna grande louenge au bon chevalier. Quant le seigneur de Ligny eut ung peu pensé pour ce jour et considéré que ne luy estoit riens demouré du présent qu'il luy avoit fait, le lendemain, à son lever, luy envoya une belle robbe de veloux cramoisy doublée de satin broché, ung fort excellent coursier, et trois cens escus en une bourse qui ne luy durèrent guères, car ses compaignons y eurent part comme luy. Peu de jours demoura le seigneur de Ligny qu'il ne retournast à Milan, où estoit venu le cardinal d'Amboyse1, lieutenant général pour le roy, et de là s'en vint en France.

CHAPITRE XVIII.

Comment le roy de France envoya grosse armée à Naples, où il fist son lieutenant général le seigneur d'Aubigny.

Vous avez entendu par cy-devant comment, après la mort de monseigneur de Montpensier2, les Néapo

1. Georges d'Amboise, cardinal, légat du pape, archevêque de Rouen, principal ministre de Louis XII, mort à Lyon en 1510 à l'âge de 50 ans. Il était fils de Pierre d'Amboise et d'Anne de Bueil.

2. Gilbert de Montpensier mourut, comme nous l'avons dit plus

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