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deux habillemens completz que son bon maistre luy envoyoit; si luy dist: « Mon frère, mon amy, si j'eusse sceu ce beau présent, j'en eusse remercié monseigneur qui m'a tant fait d'autres biens que jamais vers luy ne le sçauroye mériter. Vous ferez s'il vous plaist cela pour moy. » Si tira à sa bourse et luy donna vingt escus. Ung des serviteurs d'icelluy bon chevalier luy dist: « Monseigneur, Guillaume le palefrenier a amené en vostre estable le bon roussin de monseigneur, et m'a dit que mondit seigneur le vous donnoit, mais il s'en retourne parce qu'on le demandoit et dit qu'il viendra demain matin parler à vous.

Il ne me trouverra pas, dist-il, car je veulx estre à cheval à la pointe du jour. » Si regarda le tailleur, auquel il bailla dix escus et luy dist : « Mon amy, je vous prie, baillez cela à Guillaume le palefrenier, et au demourant, s'il vous plaist, me saluerez toute la belle et noble compaignie de la maison de monseigneur de par moy; ce que promist faire le tailleur. Lequel party de sa chambre, le bon chevalier fist faire ses coffres et acoustrer son cas pour partir de bon matin, et puis se mist dedans le lict où peu reposa, car il estoit près de minuyt quand il s'i mist. Levé qu'il fut, premier fist partir ses grants chevaulx, dont il avoit six par excellence, avecques son cariage'. Luy, avecques cinq ou six beaux et triumphans courtaulx, se mect après, quant il eut prins congé de son hoste et de son hostesse, et très bien contentez de ce qu'il avoit esté en leur maison.

1. Cariage, bagage.

Son compaignon Bellabre fut aussitost prest que luy, lequel le fut acompaigner jusques à la Breesle1 où fut leur disnée, et là prindrent congé l'ung de l'autre ; mais il n'y eut pas grant mistère, car dedans trois ou quatre jours après faisoit son compte ledit Bellabre de suyvre son compaignon, et n'attendoit seullement que une couple de grans chevaulx qui luy venoient d'Espaigne. Le bon chevalier s'en alla tousjours à petites journées, parce qu'il faisoit mener grans chevaulx 2, toutesfois il fit tant qu'il arriva à trois petites lieues de la ville d'Ayre 3, où de là envoya ung de ses gens pour avoir logis. Quant les gentilzhommes de la compaignie sceurent que Picquet estoit si près, montèrent tous ou la pluspart à cheval pour luy aller au devant, tant grant désir avoient de le veoir, car chascun estoit desjà abreuvé de ses vertus. Si estoient plus de six vingtz, tous jeunes gentilhommes, qui trouvèrent leur compaignon à demye lieue de la ville. Il ne fault pas demander s'ilz se firent grant chère, et le menèrent, joyeusement devisans de plusieurs choses, jusques dedans la ville, où aux fenestres estoient les dames, lesquelles avoient desjà entendu la noblesse du cueur du bon chevalier Picquet; chascune désiroit à le congnoistre. Ilz le virent, mais non pas si à leur ayse qu'elles firent depuis. Icelluy bon chevalier fut mené par ses compaignons à son logis, où le soupper estoit desjà prest, car ainsi l'avoit

1. L'Arbresle, chef-lieu de canton du département du Rhône. 2. Les voyages se faisaient généralement sur des courtauds ou chevaux de moindre valeur, tandis que les grands chevaux ou chevaux de bataille étaient conduits en main.

3. Aire-sur-la-Lys (Pas-de-Calais).

ordonné à son homme qu'il avoit envoyé devant. Si demourèrent une partie de sesditz compaignons avecques luy, qui menèrent joyeuse vie, luy demandant de son estat et comment il estoit bien heureux à son commencement d'avoir si bien fait contre messire Claude de Vaudray, et le louoient à merveilles. Mais oncques le bon chevalier ne monstra semblant d'en avoir joye, ains respondoit courtoysement à leurs parolles, et disoit : « Messeigneurs mes compaignons, le los qu'on me donne est à grant tort, il n'y a pas encores tant de bien en moy que je sceusse monter à grant pris; mais s'il plaist à Nostre Seigneur, moyennant vostre bonne ayde, je parviendray à estre ou nombre des gens de bien. Or fut ce propos laissé, et parla on d'autres matières. Si commencea à dire l'ung des gentilzhommes de la compaignie, appellé Tardieu1, homme joyeulx et facécieux, adressant ses parolles au bon chevalier: « Compaignon, mon amy, je vous advise qu'en toute la Picardie n'y a point de plus belles dames qu'en ceste ville, dont vostre hostesse, que n'avez encores veue, en est l'une. Elle est allée aux nopces d'une sienne niepce, demain retournera, si la verrez à vostre ayse. Il est impossible que soyez venu tenir garnison sans escuz, il fault, à vostre arrivée, faire parler de vous, et par bien faire puissez aquérir la grâce des dames de ceste contrée. Il y a longtemps qu'il n'y eut pris donné en ceste ville; je vous prie tant que je puis qu'en vueillez

1. Jean Tardieu, gentilhomme du Rouergue, qui suivit Bayart dans les guerres d'Italie. Le lieutenant criminel Tardieu dont a parlé Boileau dans sa xe satire, et qui fut assassiné ainsi que sa femme par des voleurs en 1666, était un de ses descendants.

donner ung entre cy et huyt jours, et ne me reffusez pas, s'il vous plaist, pour la première requeste que je vous ay jamais faicte. » A quoy respondit le bon chevalier: « Sur ma foy! monseigneur de Tardieu, quant me demanderiez une beaucoup plus grosse chose, croyez que n'en seriez pas esconduyt; comment le seriez-vous de ceste cy, qui me plaist autant ou plus que à vous? et s'il vous vient à plaisir de m'envoyer demain matin la trompette, et que nous ayons congé de nostre cappitaine, je feray en sorte que serez content. Tardieu lui dist: « Ne vous souciez de congé, le cappitaine Loys d'Ars' le nous a donné pour tousjours, car ce n'est point pour mal faire. Il n'est pas à présent icy, mais il y sera dedans quatre jours; si mal Et bien ! y a, j'en prens la charge sur moi. doncques, respondit le bon chevalier, demain sera exécuté vostre vouloir. Longuement demoura en propos la compaignie tant qu'ilz ouyrent sonner mynuyt. Si prindrent congé les ungs des autres jusques à lendemain matin, que ledit Tardieu n'oublia pas à venir au logis du bon chevalier, son nouveau compaignon, et luy amena une trompette de la compaignie, et le premier bonjour qu'il lui donna ce fut : < Compaignon, ne vous excusez plus, vecy vostre homme. »

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1. Louis d'Ars, seigneur d'Ars, de Vouves et de Plaisance, capitaine de cent dix lances, d'une vieille famille du Berry. Une quittance de lui datée d'octobre 1520 et conservée dans le vol. 26117 des mss. fr. de la Bibl. Nat. (no 498), est munie de son grand sceau, sur lequel on lit: LOYS. D'ARS. D. DERE. SEGR. DE. VVOVES. D'ARS. autour de son écusson. Plusieurs autres quittances, également avec sceaux, se trouvent au vol. 106 des pièces originales du cabinet des titres.

CHAPITRE X.

Comment le bon chevalier fist crier dedans Ayre ung tournoy pour l'amour des dames, où il y avoit pour le mieulx faisant ung bracelet d'or et ung bel dyament pour donner à sa dame.

Combien que grant besoing eust de repos le bon chevalier sans paour et sans reprouche à cause du long travail, pour le propos que luy avoit tenu son compaignon Tardieu ne dormit pas trop la nuyt, ains pensa comment seroit fondé son tournoy, ce qu'il mist en son entendement et délibéra en soy-mesme de l'exécuter comme vous orrez. Car, quant Tardieu le vint veoir le matin et luy amena la trompette, trouva desjà par escript l'ordonnance comment debvoit estre ledit tournoy qui estoit telle c'est que Pierre de Bayart, jeune gentilhomme et apprentif des armes, natif du Dauphiné, des ordonnances du roy de France, soubz la charge et conduicte de hault et puissant seigneur monseigneur de Ligny, faisoit crier et publier ung tournoy au dehors de la ville d'Ayre, et joignant les murailles, à tous venans, au vingtiesme jour de juillet, de trois coups de lance sans lice, à fer esmolu et en harnoys de guerre, et douze coups d'espée, le tout à cheval; et au mieulx faisant donnoit ung brasselet d'or esmaillé de sa livrée et du poix de trente escuz. Le lendemain seroit combatu à pied à poux de lance, à une barrière de la hauteur du

1. Je n'ai trouvé ce mot dans aucun glossaire. D'après le

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