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et sans reprouche rendit son ame à Dieu, dont tous les ennemys eurent dueil non croyable.

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Par les chiefz de l'armée des Espaignolz, furent commis certains gentilzhommes pour le porter à l'église, où luy fut fait solennel service durant deux jours, puis par ses serviteurs fut mené en Daulphiné1. Et en passant par les terres du duc de Savoye, où son corps reposoit, luy fist faire autant d'honneur que s'il eust esté son frère. Quant les nouvelles de la mort du bon chevalier furent sceues ou Daulphiné, ne fault point particulièrement descripre le dueil qui y fut fait, car les prelatz, gens d'église, nobles et populaire le faisoient égallement; et croy qu'il y a mille ans qu'il ne mourut gentilhomme du pays plainct de la sorte. On alla audevant du corps jusques au pied de la montaigne, et fut amené d'église en église en grant honneur jusques auprès de Grenoble2, où au-devant du corps une

1. Fut baillé un sauf conduict à son maistre d'hostel pour porter son corps en Dauphiné, dont il estoit natif (Du Bellay, I).

liv.

2. Quelque temps après le corps de Bayard fut porté à Grenoble et fut par messieurs de justice et les gentilhommes du pays et par ceulx de la ville receu en moult honneur et grant dueil, plain d'ung chascun tant de la noblesse que de messieurs de justice que du populaire, et ne fust de vie d'homme tant regretté seigneur ny aultre d'ung chascun que le noble Bayard. Après que fust le corps porté à Grenoble, fust mys au couvent et monastère des Minimes, lequel avoit fondé et faict édiffier monseigneur Laurens des Allemans, oncle dudict Bayard, seigneur et evesque de Grenoble, et pour ce que en son trespas le seigneur de Bayard avoit ordonné estre sepulturé avec son père et mère au lieu de Grenion, furent assemblés les parens là où il devoit estre inhumé et fust dict que pour ce qu'il avoit esté lieutenant du

demye lieue furent messeigneurs de la court de parlement du Dauphiné, messeigneurs des comptes, quasi tous les nobles du pays, et la plus part de tous les bourgeois, manans et habitans de Grenoble, lesquelz convoyèrent le trespassé jusques en l'église Nostre-Dame dudit Grenoble, où le corps reposa ung jour et une nuyt, et luy fut fait service fort solennel. Le lendemain, ou mesme honneur qu'on l'avoit fait entrer en Grenoble, fut conduit jusques à une religion de Mynymes, à demye lieue de la ville, que autresfois avoit fait fonder son bon oncle, l'évesque dudit Grenoble, Laurens Alment, où il fut honnorablement enterré, puis chascun se retira en sa maison; mais on eust dit durant ung moys que le peuple du Daulphiné n'attendoit que ruyne prochaine, car on ne faisoit que plorer et larmoyer, et cessèrent festes, dances, bancquetz, et tous autres passetemps. Las! ilz avoient bien raison, car plus grosse perte n'eust sceu advenir pour le pays. Et quiconques en eut dueil au cueur, croyez qu'il touchoit de bien près aux povres gentilhommes, gentilzfemmes, vefves et aux povres orphelins, à qui secrètement il donnoit et départoit de ses biens. Mais avecques le temps toutes choses se passent, fors Dieu aymer. Le bon chevalier sans paour et sans reprouche l'a craint et aymé durant sa vie; après sa mort renommée luy demeure,

gouverneur du pays et que Grenoble estoit le chief de la justice Daulphinale seroit meilleur qu'il fut en sépulture au couvent des Minimes... Et furent les obsèques et funérailles faictes comme s'il eust esté non ung lieutenant ou gouverneur, mais ung prince (Champier, fol. LVIII).

comme il a vescu en ce monde, entre toutes manières

de gens1.

CHAPITRE LXVI ET DERNIER.

Des vertus qui estoient au bon chevalier sans paour et sans reprouche.

Toute noblesse se debvoit bien vestir de dueil le jour du trespas du bon chevalier sans paour et sans reprouche, car je croy que depuis la création du monde, tant en la loy chrestienne que payenne, ne s'en est trouvé ung seul qui moins luy ait fait de déshonneur ne plus d'honneur. Il y a ung commun proverbe qui dit que nul ne veit sans vice; ceste reigle a failly à l'endroit du bon chevalier, car j'en prens à tesmoing tous ceulx qui l'ont veu, parlans à la vérité, s'ilz en congneurent jamais ung seul en luy; mais au contraire, Dieu l'avoit doué de toutes les vertus qui pourroient estre en parfaict homme, èsquelles chascune par ordre se sçavoit très bien conduyre. Il aymoit et craignoit Dieu sur toutes choses; ne jamais ne le juroit ne blasphesmoit, et en tous ses affaires et nécessitez avoit à luy seul son recours, estant bien certain que de luy et de sa grande et infinie bonté procèdent toutes choses. Il aymoit son prochain

1. Les ennemis de la France eux-mêmes rendirent justice à Bayart après sa mort, ainsi que le témoigne une lettre écrite par Adrien de Croy, seigneur de Beaurain, à l'empereur CharlesQuint. On la trouvera à l'appendice: c'est un des plus éclatants hommages rendus à la mémoire du bon chevalier.

comme soy-mesmes; et bien l'a monstré toute sa vie, car oncques n'eut escu qui ne feust au commandement du premier qui en avoit à besongner, et sans en demander. Bien souvent en secret en faisoit bailler aux povres gentilzhommes, qui en avoient nécessité, selon sa puissance.

Il a suivy les guerres soubz les roys Charles VIII®, Louis XII et François premier de ce nom, roys de France, par l'espace de xxxm ans, où durant le temps ne s'est trouvé homme qui l'ait passé en toutes choses servans au noble exercice des armes; car de hardiesse, peu de gens l'ont approché; de conduyte, c'estoit ung Fabius Maximus; d'entreprinses subtiles, ung Coriolanus; et de force et magnanimité, ung second Hector, furieux aux ennemys, doulx, paisible et courtois aux amys. Jamais souldart qu'il eust soubz sa charge, ne fut démonté, qu'il ne remontast; et pour plus honnestement donner ces choses, bien souvent changeoit ung coursier ou cheval d'Espaigne, qui valloit deux ou trois cens escuz, à ung de ses hommes d'armes, contre ung courtault de six escuz, et donnoit à entendre au gentilhomme que le cheval qu'il luy bailloit luy estoit merveilleusement propre. Une robe de veloux, satin ou damas changeoit tous les coups contre une petite cape, affin que plus gracieusement et au contentement d'ung chascun il peust faire ses dons. On pourroit dire il ne povoit pas donner de grans choses, car il estoit povre; autant estoit-il honnoré d'estre parfaictement libéral selon sa puissance que le plus grant prince du monde, et si a gaigné durant les guerres en sa vie cent mille francz en prisonniers qu'il a départis à

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tous ceulx qui en ont eu besoing. Il estoit grant aumosnier et faisoit ses aulmosnes secrètement. Il n'est riens si certain qu'il a marié en sa vie, sans en faire bruyt, cent povres filles orphelines, gentilzfemmes ou autres. Les povres veufves consoloit et leur départoit de ses biens. Avant que jamais sortir de sa chambre, se recommandoit à Dieu, disoit ses heures à deux genoulx, en grande humilité, mais ce faisant ne vouloit qu'il y eust personne. Le soir quant il estoit couché, et il congnoissoit que ses varletz de chambre estoient endormis, feust yver ou esté, se levoit en sa chemise, et tout le long de son corps s'estendoit et baisoit la terre. Jamais ne fut en pays de conqueste que, s'il a esté possible de trouver homme ou femme de la maison où il logeoit, qu'il ne payast ce qu'il pensoit avoir despendu. Et plusieurs fois luy a l'on dit : « Monseigneur, c'est argent perdu ce que vous baillez; car au partir d'icy, on mettra le feu céans, et ostera l'on ce que vous avez donné. » Il respondoit « Messeigneurs, je fais ce que je doy. Dieu ne m'a pas mis en ce monde pour vivre de pillage, ne de rapine; et davantage ce povre homme pourra aller cacher son argent au pied de quelque arbre, et quant la guerre sera hors de ce pays, il s'en pourra ayder et priera Dieu pour moy. » Il a esté en plusieurs guerres où il y avoit des Almans, qui au desloger mectent voulentiers le feu en leurs logis: le bon chevalier ne partit jamais du sien qu'il ne sceust que tout feust passé, ou qu'il n'y laissast gardes affin qu'on n'y mist point le feu. Entre toutes manières de gens, c'estoit la plus gracieuse personne du monde, qui plus honnoroit gens de vertu, et qui moins par

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