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pris qu'il les vouldroit vendre. « Par ma foy! dist-il, si j'estois sain, il n'y a homme sur la terre, si je ne luy en vouloye faire présent, qui les eust pour deux cens escus, mais, pour l'amour de vous, je suis content de les vous laisser, le roussin pour soixante escus, et le courserot pour cinquante; ce sont cent dix escus, et n'en auray pas moins. » Ilz virent bien qu'il estoit raisonnable, et ne dirent autre parolle sinon Mon gentilhomme, vous les aurez, et toute nostre vie deux gentilzhommes à vostre commandement, dont il les remercia. Ilz mirent la main à la bourse et luy baillèrent ses cent dix escus, et deux pour le vin des serviteurs. Les chevaulx furent menez par leurs gens à leur logis, lesquelz firent très-bien penser et acoustrer, car plus n'y avoit que trois jours à commencer l'emprise qu'avoit faicte messire Claude de Vaudray, parquoy tout homme s'appareilloit selon sa puissance. Si ouvrit icelluy messire Claude son pas, selon l'ordonnance qu'il avoit, par le congé du roi de France, fait publier, et par ung lundy se mist sur les rencs, où contre luy s'essayèrent plusieurs bons et gaillards gentilzhommes de la maison du bon roy Charles, telz que le séneschal Galyot', pour lors fort gaillart et appert homme d'armes, le jeune Bonneval, Saudricourt, Chastillon, Bourdillon2, qui estoient des plus privez de la per

1. Jacques de Genouillac de Galiot, sr d'Acier, sénéchal d'Armagnac et de Quercy, depuis grand écuyer, maitre de l'artillerie de France et chambellan du roi.

2. Germain de Bonneval, sr dudit lieu.

Louis de Hedouville, seigneur de Sandricourt, célèbre par le tournoi qu'il donna en 1493, qui garda le nom de Pas de Sandricourt et le ruina. Voy. Bibl. nation. ms. Brienne, vol. 272.

sonne du roy, et plusieurs autres, où chascun, comme povez penser, fist le mieulx qu'il peut. Or, estoit telle l'ordonnance que, quant chascun avoit fait ce en quoy il estoit tenu, convenoit que le long de la lice feust mené veue découverte, affin que l'on congneust lequel c'estoit qui avoit bien ou mal fait. Parquoy à ceste raison povez penser qu'il n'y avoit celluy qui ne se mist en son effort de bien faire. Le bon chevalier, sur le dix-huitiesme an de son âge (qui estoit fort grande jeunesse, car il commenceoit encores à croistre, et de sa nature estoit meigre et blesme), se mist sur les rencs pour essayer à faire comme les autres; et là faisoit son jeu d'essay, qui estoit assez rudement commencé, car il avoit afaire à ung des plus appers et duytz1 chevaliers de guerre qui feust au monde. Toutesfois, je ne scay comment ce fut ou si Dieu luy en vouloit donner louenge, ou si messire Claude de Vaudray prist plaisir avecques luy, mais il ne se trouva homme en tout le combat, tant à cheval comme à pied, qui fist mieulx ne si bien que luy; et de ce, les dames de Lyon luy en donnèrent le los; car, comme desjà a esté dit dessus, il falloit, après avoir fait son debvoir, aller le long de la lice veue descouverte; parquoy, quant il convint que le bon chevalier le fist, assez honteux, les dames en leur

Jacques de Coligny, sr de Châtillon, chambellan du roi, prévôt de Paris, fils de Jean de Coligny et d'Éléonore de Courcelles; il épousa Anne de Chabannes et Blanche de Bourbon, et mourut en 1512 d'une blessure reçue à Ravenne.

Philibert de la Platière, sr de Bordes et Bourdillon, fils d'Imbert de la Platière, épousa Marie de Fontenay.

1. Duyt, habile, instruit.

langaige lyonnois luy donnèrent l'honneur en disant : < Vey-vo cestou malotru! il a mieulx fay que tous los autres. Et de tout le reste de la compaignie acquist si bonne grâce que le bon roy Charles dist à son soupper, pour plus l'honnorer : « Par la foy de mon corps! Picquet a ung commencement dont à mon oppinion fera saillie à bonne fin. » Et dist alors au seigneur de Ligny : « Mon cousin, je ne vous feiz de ma vie si bon présent que quant je le vous donnay. A quoy respondit ledit seigneur : « Sire, s'il est homme de bien, y aurez plus grant honneur que moy, car le bon los que luy avez donné l'a fait entreprendre tout cecy. Dieu vueille qu'il puisse continuer! mais son oncle, l'abbé d'Esnay, n'y prent pas grant plaisir, car il a eu ses escus et ses acoustremens à son crédit; » dont desjà estoit le roy assez informé. Si se prent à rire, et toute la compaignie.

CHAPITRE IX.

Comment le seigneur de Ligny envoya le bon chevalier en garnison en Picardie où estoit sa compaignie, et fut logé en une jolye petite ville appellée Ayre, et comment, à son arrivée, ses compaignons allèrent au devant de luy.

Après le tournoy finy, le seigneur de Ligny ung matin appella le bon chevalier sans paour et sans reprouche, auquel il dist: « Picquet, mon amy, pour vostre commencement avez assez eu belle et bonne fortune; les armes se veulent continuer, et encores

que je vous retiengne de ma maison à trois cens francs par an et trois chevaulx à livrée, je vous ay mis de ma compaignie. Si vueil que vous aillez à la garnison veoir voz compaignons, vous advisant que vous y trouverrez d'aussi gaillards hommes d'armes qu'il y en ait point en la chrestienté, et qui souvent exercent les armes en faisant joustes et tournoys pour l'amour des dames et pour honneur acquerre. Si me semble, attendant quelque bruyt de guerre, que ne pourriez mieulx estre. » Le bon chevalier, qui autre chose ne demandoit, respondit: Monseigneur, de tous les biens et honneurs que m'avez faitz et faictes chascun jour, ne sçauriez pour le présent tirer de moy que très humbles remerciemens, et prier Nostre Seigneur qu'il le vous vueille rendre; mais c'est aujourd'huy le plus grant désir que j'aye d'aller veoir la compaignie que dictes, car je ne sçauroye si peu demourer, aux biens que j'en ay ouy dire, que je n'en vaille mieulx toute ma vie; et si c'est vostre bon plaisir, je partiray demain. » Le seigneur de Ligny dist« Je le vueil bien, mais premier veulx que preniez congé du roy, et je vous y mèneray après disner. Ce qui fut fait, et trouvèrent le roy comme il se vouloit lever de table; auquel le seigneur de Ligny dist en telle manière : « Sire, vecy vostre Picquet qui s'en va veoir ses compaignons en Picardie, il vient prendre congé de vous. » Si se mist d'ung asseuré visaige le bon chevalier à genoulx, que le roy voulentiers regarda, et en soubzriant luy dist : « Picquet, mon amy, Dieu vueille continuer en vous ce que je y ay veu de commencement, et vous serez preudhomme; vous allez en ung pays où il y a de

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belles dames, faictes tant que vous acquérez leur grâce. Et adieu, mon amy. Grant mercy, Sire, »

dist le bon chevalier. Si fut incontinent embrassé de tous les princes et seigneurs au dire adieu, avecques plusieurs gentilzhommes qui avoient grant regret de quoy il laissoit la court; mais non avoit pas luy, ains luy tardoit trop à son advis qu'il n'estoit desjà au lieu où il devoit aller. Le roy fist appeller ung de ses varletz de chambre qui avoit quelques deniers en ses coffres, auquel commanda bailler au bon chevalier trois cens escuz, et pareillement luy fist délivrer ung des beaulx coursiers qui fust en son escuyrie. Il donna au varlet de chambre trente escuz, et dix à celluy qui luy mena le coursier, dont tous ceulx qui le sceurent louèrent sa libéralité à merveilles. Le seigneur de Ligny le ramena à son logis, et le soir le prescha comme s'il eust esté son enfant, lui recommandant sur toutes choses avoir toujours l'honneur devant les yeulx; mais il a toujours bien gardé ce commandement jusques à la mort. Enfin, quand il fut temps d'aller coucher, ledit seigneur de Ligny luy dist Picquet, mon amy, je croy que vous partirez demain plus matin que ne seray levé. A Dieu vous command. Si l'embrassa les larmes aux yeulx, et le bon chevalier, le genoil en terre, prist congé de luy et s'en alla à son logis, où il fut convoyé1 de tous ses compaignons, desquelz le congé ne fut pas pris sans grans embrassemens. Il monta en sa chambre où il trouva le tailleur dudit seigneur de Ligny, qui avoit

1. Convoyé, accompagné.

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