Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

1

[ocr errors]

manda qu'on apportast à disner où il eut de la compaignie; et entre autres propos commencea à dire tout hault : « J'ay eu une terrible estrayne à ce matin : ce garson mon nepveu de Bayart a esté si fol que d'aller toucher aux escuz de messire Claude, et pour s'acoustrer est venu à ce matin demander de l'argent : j'en ai esté pour cent escus. Et encores n'esse pas tout, car j'ay escript à Laurencin luy bailler ce qu'il luy demandera pour s'acoustrer sur le harnois. A quoy respondit le secretain de léans 1 : « Sur ma foy! monseigneur, vous avez bien fait. Il veult suyvre les prouesses de monseigneur vostre grant père, qui fut si vaillant homme, et tous ses parens. Je ne voy mal en cecy que ung : il est jeune et voluntaire, vous avez escript à Laurencin qu'il luy baille ce qu'il luy demandera, je suis seur qu'il le fera quant il seroit question de deux mil escus. J'ay peur qu'il n'en preigne plus que vous n'entendez. » L'abbé va incontinent penser là dessus et respondit : « Par saint Jacques! secretain, vous dictes vray, car je n'ay point escript jusques à combien. » Si dist: « Qu'on m'appelle le maistre d'hostel, » qui vint sur l'heure.

« A coup2, Nicolas, dist l'abbé, ung autre servira bien pour vous. Allez à la ville chez Laurencin, et luy dictes que je luy ay escript à ce matin bailler quelques habillemens à mon nepveu de Bayart pour le tournoy de messire Claude, qu'il luy en baille pour cent ou six vingtz francz, et non pour plus ; et ne faictes que aller et venir. Ledit maistre d'hostel alla bientost, mais il partit bien tard. Quant il fut chez Laurencin, il estoit

1. Secretain de léans, sacristain de céans. 2. A coup, à coup sûr, pour cette fois.

à table, mais pour ce qu'il estoit assez privé de léans, monta en hault et salua la compaignie qui luy rendit le semblable. Monseigneur le maistre, dist Laurencin, vous venez à bonne heure; lavez la main et venez faire comme nous. - Je vous mercye, respondit-il, ce n'est pas ce qui me meine. Monseigneur m'envoie icy parce qu'il vous a escript aujourd'huy bailler à son nepveu de Bayart quelques acoustremens. » Laurencin n'attendit pas qu'il eust achevé, et dist Monseigneur le maistre, j'ay desjà fait tout cela, je vous asseure que je l'ay bien mis en ordre. C'est ung très honneste jeune gentilhomme; monseigneur fait bien de luy ayder. - Et pour combien luy en avez-vous baillé? dist le maistre d'hostel. Je ne scay, sur ma foy! luy dist-il, si je ne veoye mon papier et son récépissé au dos de la lettre de monseigneur, mais il m'est advis qu'il en y a pour environ huyt cens francz. - Hà, par Nostre-Dame! vous avez tout gasté! Pourquoy? dist Laurencin. Pour ce, respondit le maistre d'hostel, que monseigneur vous mandoit par moy ne luy en bailler que pour cent ou six vingtz francz. Sa lettre ne dit pas cela, dist Laurencin, et quant il en eust demandé plus largement, plus en eust eu, car ainsi me le mandoit monseigneur. Or, il n'y a remède, fist le maistre d'hostel. A Dieu vous command. »

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Si s'en retourna à Esnay, et trouva encores la compaignie où il l'avoit laissée. Quant l'abbé veit son maistre d'hostel, luy dist: « Et puis, Nicolas, avezvous dit cela à Laurencin? Ouy bien, monseigneur, mais je suis allé trop tard, vostre nepveu avoit desjà

[ocr errors]

fait sa foyre, et en a seulement pris pour huyt cens francz. Pour huyt cens francz! saincte Marie ! dist l'abbé, velà ung mauvais paillardeau. A coup vous sçavez bien son logis, allez le trouver, et luy dictes que, s'il ne va vistement rendre sur Laurencin ce qu'il a pris, que jamais de moy n'amendera d'ung denier. » Le maistre d'hostel fist le commandement de monseigneur, et s'en vint à Lyon, cuydant trouver son homme, qui paravant c'estoit bien doubté de l'encloueure et avoit dit à ses serviteurs : « Si des gens de monseigneur d'Esnay me viennent demander, qu'on face force excuses, en sorte que je ne parle point à eulx. » Et pareillement en fit advertir tous ceulx du logis.

il

personne

Quant le maistre d'hostel le vint demander, on luy fist response qu'il estoit chez monseigneur de Ligny; y va et ne le trouva pas. Si retourna au logis, on luy dist qu'il estoit allé essayer des chevaulx delà le Rosne. Bref, il y fut plus de dix fois, mais jamais ne le peut trouver. Si s'en retourna, car il veit bien que c'estoit une mocquerie. Quant il fut à Esnay, il dist à monseigneur que c'estoit temps perdu de chercher son nepveu, car plus de dix fois avoit esté à son logis; mais possible n'estoit de le trouver, car il se faisoit celer. Si dist l'abbé : « Par mon serment! c'est ung mauvais garson, mais il s'en repentira. Son courroux se passa quant il voulut, mais il n'en eut autre chose. Si laisserons à parler de luy, et retournerons au bon chevalier et à son compaignon, et comment ilz exploictèrent en leurs affaires.

CHAPITRE VIII.

Comment le bon chevalier sans paour et sans reprouche et son compaignon se montèrent de chevaulx et garnirent d'acoustremens; et comment ledit bon chevalier se porta gentement, selon sa puissance, contre messire Claude de Vaudray.

Vous pouvez assez entendre que, incontinent que le bon chevalier et son compaignon eurent de Laurencin ce qu'ilz demandoient, ne firent pas grant séjour en sa maison, doubtant ce doubtant ce qui advint depuis, ains si bonne diligence mirent en leur affaire qu'ilz furent pourveuz de ce qu'il leur falloit. Ilz se retirèrent en leur logis, où soubdainement envoyèrent quérir tailleurs, pour faire à chascun trois acoustremens sur le harnoys, car le bon chevalier vouloit que son compaignon feust de sa livrée; aussi n'avoient-ilz riens party1 ensemble. Après ce qu'ilz eurent donné ordre quant aux habillemens, Bellabre dist : « Compaignon, il fault que nous allions veoir des chevaulx. Je say ung gentilhomme de Pyémont logé en la Grenète, qui a ung bas roussin bien relevé et bien remuant, ce sera bien vostre cas; et il me semble aussi qu'il a ung petit courserot3 bay qui est fort adroit. L'on m'a dit qu'il les veult vendre, parce que, puis huyt jours, en les chevauchant s'est rompu une

1. Parti, divisé.

2. Grenète, marché aux grains.

3. Courserot, jeune cheval de bataille.

»

jambe. Allons veoir que c'est. — C'est bien advisé, respondit le bon chevalier. Si s'en allèrent passer l'eaue vers Nostre-Dame de Confort, puis se tirèrent au lògis de ce gentilhomme piémontoys qu'ilz trouvèrent en sa chambre fort mal acoustré de sa jambe. Ilz le saluèrent, et il leur rendit le semblable, comme courtois chevalier. Bellabre prist la parolle et dist : < Mon gentilhomme, vecy mon compaignon qui a désir de recouvrer une couple de chevaulx que vous avez, parce qu'on nous a rapporté que les voulez vendre, au moyen de l'inconvénient qui vous est advenu, dont il nous déplaist. Sur ma foy! messeigneurs, respondit le gentilhomme, il est vray, et m'en fait grand mal, car les chevaulx sont beaulx et bons. Mais, puisqu'il plaist à Dieu, je voy bien que de trois moys ne sçaurois partir ceste ville. Les vivres y sont chers, mes chevaulx se mangeroient en l'estable. Vous me semblez honnestes et gaillars gentilzhommes, j'aime beaucoup mieulx que mes chevaulx tumbent entre voz mains que ailleurs; montez dessus et les allez veoir hors la ville avecques ung de mes gens, et au retour, s'ilz vous plaisent, nous en ferons marché. » Ilz trouvèrent le propos honneste, et incontinent furent les chevaulx seelez, sur lesquelz le bon chevalier et son compaignon montèrent, et les menèrent jusques à la prairie près la Guillotière1, où ilz les coururent et trotèrent de sorte qu'ilz s'en tindrent pour contens. Si retournèrent au logis du gentilhomme pour faire le marché et luy demandèrent le

1. Situé sur la rive gauche du Rhône, ce faubourg de Lyon faisait partie de la province de Dauphiné.

« ZurückWeiter »