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convenoit faire, ou le duc et les François estoient perduz, lesquelz s'en retournèrent glorieux et triumphants dedans la ville, où ung chascun leur donnoit louenge inestimable. Sur toutes personnes la bonne duchesse1, qui estoit une perle en ce monde, leur fist singulier recueil, et tous les jours leur faisoit bancquetz et festins à la mode d'Ytalie tant beaulx que merveilles. Bien ose dire que de son temps ne beaucoup devant ne s'est point trouvé de plus triumphante princesse; car elle estoit belle, bonne, doulce et courtoise à toutes gens. Elle parloit espaignol, grec, ytalien et françoys, quelque peu très-bon latin, et composoit en toutes ses langues; et n'est riens si certain que combien que son mary feust sage et hardy prince, ladicte dame, par sa bonne grace, a esté cause de luy avoir fait faire de bons et grans services.

CHAPITRE XLV.

De la mort du seigneur de Montoison et de plusieurs menées que firent le pape Julles et le duc de Ferrare l'ung contre l'autre, où le bon chevalier se monstra

vertueux.

Après ceste gaillarde bataille de la Bastide, le gentil seigneur de Montoison ne vesquit guères, car une fievre continue l'empoigna, qui ne le laissa jusques à la mort. Ce fut ung gros dommage, et y fist France

duché de Ferrare. Cette victoire, due à l'énergie et à la résolution de Bayart, est, avec le siége de Mézières dont il sera question plus tard, son plus beau titre de gloire.

1. La fameuse Lucrèce Borgia.

lourde perte. Il avoit esté en sa vie ung des acomplis gentilzhommes qu'on eust sceu trouver, et avoit fait de belles choses tant en Picardie, Bretaigne, Naples que Lombardie; c'estoit ung droit esmerillon, vigillant sans cesse, et quant il estoit en guerre tousjours le cul sur la selle, au moyen de quoy estoit à l'heure de son trespas fort usé et cassé; mais tant proprement et mignonnement se contenoit qu'il sembloit ung homme de trente ans. De sa piteuse desconvenue furent le duc, la duchesse de Ferrare, le bon chevalier et tous les autres cappitaines françois si très dolens que merveilles; mais c'est une chose où on ne peult remédier.

Le pape estoit encores à la Myrandolle, que, quant il sceut des nouvelles de la Bastide et de la deffaicte de ses gens, cuyda désespérer; et jura Dieu qu'il s'en vengeroit, et que pour cela ne demoureroit point qu'il n'allast assiéger Ferrare, à quoy soubdainement vouloit entendre; mais les cappitaines et gens de guerre qu'il avoit avecques luy, mesmement le duc d'Urbin, son nepveu, qui eust bien voulu que le roy de France et luy eussent esté amys, l'en détournoient tant qu'ilz povoient, luy remonstrant que Ferrare, garnye comme elle estoit et de telz cappitaines, mesmement du bon chevalier, à qui nul ne se comparoit, ne se prendroit pas ayséement, et que si son armée entroit en l'isle pour l'assiéger, vivres y viendroient à grant peine. Ce conseil ne trouvoit pas bon le pape, car cent fois le jour disoit « Ferrare, Ferrare! t'avro, al corpe de Dio!'»

1. Pour l'avro, per il corpo di Dio!

Si s'advisa d'ung autre moyen, et mist en son entendement qu'il praticqueroit quelques gentilzhommes de la ville, par le moyen desquelz il la pourroit avoir, car d'une nuyt luy pourroient livrer une porte par où ses gens entreroient. Il y envoya plusieurs espies et avoient charge de parler à aucuns gentilzhommes ; mais le duc et le bon chevalier faisoient faire si bon guet qu'il n'en entroit pas ung qui ne feust empoigné, et en fut pendu six ou sept. Toutesfois le duc fut en souspeçon d'aucuns gentilzhommes de sa ville, lesquelz il fist mettre prisonniers, par adventure à tort, entre lesquelz fut le conte Boors Calcagnyn', qui avoit logé chez luy le bon chevalier, qui fut desplaisant de sa détencion; mais par ce que les choses estoient fort doubteuses, ne s'en voulut mesler que bien à point. Quant le pape veit qu'il ne viendroit point à ses attainctes par ce moyen, s'advisa d'une terrible chose, car il mist en son entendement, pour se venger des François, qu'il praticqueroit le duc de Ferrare. Il avoit ung gentilhomme lodezan2, du duché de Milan, à son service, qu'on appelloit messire Augustin Guerlo, mais il changeoit son nom; c'estoit ung grant faiseur de menées et de trahysons, dont mal luy en print à la fin, car le seigneur d'Aubigny luy fist coupper la teste dedans Bresse où il le voulut trahir. Ung jour fust appellé ce messire Augustin par le pape, lequel luy dist: « Viençà! il fault que tu me faces ung service. Tu t'en yras à Ferrare devers le duc, auquel tu diras que s'il se veult despescher 3

1. Borsa Calcagnini.

2. Lodezan, natif de Lodi. 3. Despescher, débarrasser.

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des François et demourer mon alyé, je luy bailleray une de mes niepces, pour son filz aisné, le quicteray de toutes querelles, et davantage le feray confanonnyer et cappitaine général de l'Église. Il ne fault sinon qu'il dye aux François qu'il n'a plus que faire d'eulx et qu'ilz se retirent; je suis asseuré qu'ilz ne sçauroient passer en lieu du monde que je ne les aye à ma mercy, et n'en eschappera pas ung. » Ce messager, qui ne demandoit que telles commissions, dist qu'il feroit fort bien l'affaire, et s'en alla à Ferrare droit s'adresser au duc, qui estoit ung sage et subtil prince, et lequel escouta très bien le galant, faisant myne qu'il entendroit voulentiers à ce que le pape luy

mandoit; mais il eust mieulx aymé estre mort de cent mille mors, car trop avoit le cueur noble et gentil. Bien le montra, parce que, après avoir fait faire bonne chière à messire Augustin, et icelluy enfermé en une chambre dedans son palais dont il print la clef, s'en vint avecques ung gentilhomme seulement au logis du bon chevalier, auquel de point en point compta tout l'affaire, qui se seigna plusieurs fois, et ne povoit penser que le pape eust si meschant vouloir d'achever ce qu'il mandoit. Mais le duc luy dist qu'il n'estoit riens si vray, et que, s'il vouloit, le mectroit bien en ung cabinet dedans son palais, où il entendroit toutes les parolles que le galant luy avoit dictes; toutesfois il sçavoit que ce n'estoit point mensonge aux enseignes mesmes qu'il luy avoit baillées, mais que plustost aymeroit estre tout vif démembré à quatre chevaulx que d'avoir seullement pensé consentir à une

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1. Enseignes, indications.

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si grande lascheté, remonstrant de combien il estoit tenu à la maison de France et que à son grant besoing le roy l'avoit si bien secouru. Le bon chevalier disoit « Monseigneur, il n'est jà besoing vous excuser de cela, je vous congnois assez. Sur mon âme! je tiens mes compaignons et moy aussi asseurez en ceste vostre ville que si nous estions dedans Paris, et n'ay pas paour, aydant Dieu, que aucun inconvénient nous adviengne, au moins que ce soit de vostre consentement. Monseigneur de Bayart, dist le duc, si nous faisions une chose? Le pape veult icy user d'une meschanceté, il luy fault donner la pareille. Je m'en vois encores parler à son homme et verray si je le pourray gaigner et tirer à ma cordelle, de façon qu'il nous puisse faire quelque bon tour. C'est bien dit, respondit le bon chevalier. » Et sur ces parolles s'en retourna le duc en son palais tout droit en la chambre où il avoit laissé messire Augustin Guerlo, auquel de bien loing entama plusieurs propos et de plusieurs sortes, pour venir à son poinct, qu'il sceut très bien faire venir en jeu quant temps fut, comme vous orrez, disant : « Messire Augustin, j'ay pensé toute ceste matinée au propos que me mande le pape, où je ne puis trouver fondement ne grant moyen pour deux raisons l'une que je ne me doy jamais fier de luy, car il a dit tant de fois que s'il me tenoit qu'il me feroit mourir, et que j'estoye l'homme vivant qu'il hayoit le plus, et sçay bien qu'il n'y a chose en ce monde qu'il désire autant que d'avoir ceste ville et mes autres terres; parquoy je ne voy point d'ordre que deusse avoir seureté en luy; l'autre, que si je dis au seigneur de Bayart, à présent, que je n'ay plus

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