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rant, après m'estre très humblement recommandé à vostre bonne grâce, je voys prendre congé de vous. » Alors la bonne dame tira hors de sa manche une petite bourcette, en laquelle avoit seulement six escus en or et ung en monnoye qu'elle donna à son filz; et appella ung des serviteurs de l'évesque de Grenoble, son frère, auquel elle bailla une petite malette en laquelle avoit quelque linge pour la nécessité de son filz, le priant que, quant il seroit présenté à monseigneur de Savoye, il voulsist prier le serviteur de l'escuyer, soubz la charge duquel il seroit, qu'il s'en voulsist ung peu donner de garde jusques à ce qu'il feust en plus grant aage, et luy bailla deux escus pour luy donner. Sur ce propos print l'évesque de Grenoble congé de la compaignie, et appella son nepveu, qui pour se trouver dessus son gentil roussin, pensoit estre en ung paradis. Si commencèrent à marcher le chemin droit à Chambéry, où pour lors estoit le duc Charles de Savoye1.

CHAPITRE III.

Comment l'évesque de Grenoble présenta son nepveu, le bon chevalier sans paour et sans reprouche, au duc Charles de Savoye, qui le reçut joyeusement.

Au départir du chasteau de Bayart, qui fut par ung samedy après le desjeuner, chevaucha ledit évesque de

1. Charles I, duc de Savoie (1482-1490), fils d'Amé IX et de Iolande de France, mari, de Blanche Paléologue, duchesse de Montferrat.

Grenoble de sorte qu'il arriva au soir dans la ville de Chambéry, où le clergié alla au devant de luy; car ladicte ville est de toute ancienneté de l'évesché de Grenoble, et y a son official et sa court1. Il se logea sur ung notable bourgeois. Le duc estoit logé en sa maison avecques bon nombre de seigneurs et gentilzhommes, tant de Savoye que de Pyémont. Le soir demoura ledit évesque de Grenoble à son logis, sans se monstrer à la court, combien que le duc fust assez informé qu'il estoit à la ville, dont il fust très joyeux, parce que icelluy évesque estoit (si ainsi on les peult appeller en ce monde) ung des plus sainctz et dévotz personnages que l'on sceust. Le lendemain, qui fut dimenche, bien matin se leva et s'en alla pour faire la révérence au duc de Savoye, qui le receut d'ung riant visage, luy donnant bien à congnoistre que sa venue luy plaisoit très fort. Si devisa avecques luy tout au long du chemin, depuis son logis jusques à l'église où il alla ouyr messe, à laquelle il servit ledit duc, comme à telz princes appartient, à luy bailler à baiser l'évangille et la paix. Après la messe dicte, le duc le mena par la main disner avecques luy, où, durant icelluy, estoit son nepveu le bon chevalier, qui le servoit de boire très bien en ordre, et très mignonnement se contenoit; ce que regarda le duc, pour la jeunesse qu'il voyoit en l'enfant, de sorte qu'il demanda à l'évesque Monseigneur de Grenoble, qui est ce jeune enfant qui vous donne à boire? Monseigneur, respondit-il, c'est ung homme d'armes que je vous suis

1. L'évêché de Chambéry fut créé par une bulle du 18 août 1779. Jusqu'à cette époque cette ville faisait partie du diocèse de Grenoble.

venu présenter pour vous servir se il vous plaist, mais il n'est pas en l'estat que je le vous veulx donner. Après disner, si c'est vostre plaisir, le verrez. Vrayement, ce dist le duc qui desjà l'eut pris en amour, il seroit bien estrange qui tel présent refuseroit. Or le bon chevalier, qui desjà avoit l'ordonnance de son oncle en l'entendement, ne s'amusa guères aulx morceaulx après le disner, ains s'en va au logis faire seeller son roussin, sur lequel, après l'avoir bien mis en ordre, monta, et s'en vint le beau petit pas en la court de la maison dudit duc de Savoye, qui desjà estoit sorty de sa salle, appuyé sur une gallerie. Si veit entrer le jeune enfant qui faisoit bondir son cheval, de sorte qu'il sembloit homme de trente ans, et qui toute sa vie eust veu de la guerre. Lors s'adressa à l'évesque de Grenoble, auquel il dist: « Monseigneur de Grenoble, je croy que c'est vostre petit mignon qui si bien chevauche se cheval? Qui respondit : Monseigneur, c'est mon1, il est mon nepveu, et de bonne rasse où il y a eu de gentilz chevaliers. Son père, qui, par les coups qu'il a receuz ès gueres et batailles où il s'est trouvé, est tant myné de foiblesse et de vieillesse qu'il n'est peu venir devers vous, se recommande très humblement à vostre bonne grâce, et vous en fait ung présent. -En bonne foy, respondit le duc, je l'accepte voulentiers; le présent est beau et honneste. Dieu le face preudhomme! » Lors commanda à ung sien escuyer d'escuyrie, en qui plus se fioit, qu'il print en sa garde le jeune Bayart et que à son oppinion, seroit une fois homme de bien.

1. C'est mon, vraiment.

Ne tarda guères après ce propos que l'évesque de Grenoble, qui remercié eut très humblement le duc de Savoye, ne prist congé de luy pour s'en retourner à sa maison; et ledit duc demoura à Chambéry jusques à quelque temps après qui se délibéra d'aller veoir le roy de France, Charles huytiesme, qui estoit en la ville de Lyon, où il se donnoit du bon temps à faire joustes, tournois et tous autres passe temps.

CHAPITRE IV.

Comment le duc de Savoye se partit de Chambéry pour aller veoir le roy de France Charles huytiesme, en sa ville de Lyon, et mena avecques luy le bon chevalier sans paour et sans reprouche, lors son paige.

Le bon chevalier demoura page avecques le duc Charles de Savoye bien l'espace de demy an, où il se fist tant aymer de grans, moyens et petis qu'oncques jeune enfant ne le fut plus. Il estoit serviable aux seigneurs et dames tant que c'estoit merveilles. En toutes choses n'y avoit jeune page ne seigneur qui feust à comparer à luy; car il saultoit, luytoit, gectoit la barre selon sa grandeur et entre autres choses chevauchoit ung cheval le possible, de sorte que son bon maistre le print en aussi grande amour que s'il eust esté son filz. Ung jour, estant le duc de Savoye à Chambéry, faisant grosse chère, se délibéra d'aller veoir le roy de France à Lyon, où pour lors estoit parmy ses princes et gentilzhommes, menant joyeuse vie à faire joustes et tournoys chascun jour, et au soir dancer et

baller avecques les dames du lieu, qui sont voulentiers belles et de bonne grâce. Et à vérité dire, ce jeune roy Charles estoit ung des bons princes, des courtois, libéraulx et charitables qu'on ait jamais veu ne leu. Il aymoit et craignoit Dieu, ne ne juroit jamais que par la foy de mon corps! ou autre petit serment. Et fut grant dommage dont mort le print si fost comme en l'aage de xxvIII ans; car, si longuement eust vescu, achevé eust de grans choses. Ledit roy Charles sceut comment le duc de Savoye le venoit veoir, et que jà estoit à la Verpillière1, et s'en venoit coucher à Lyon. Si envoya au devant de luy ung gentil prince de la maison de Luxembourg, qu'on appelloit le seigneur de Ligny, avecques plusieurs autres gentilzhommes et archiers de sa garde, qui le trouvèrent à deux lieues ou environ dudit Lyon. Si se firent grant chère lesditz duc et seigneur de Ligny, car tous deux estoient assez remplis d'honneur. Ilz vindrent longuement parlans ensemble, et tellement que le seigneur de Ligny gecta son œil sur le jeune Bayart, lequel estoit sur son roussin qui trotoit fort mignonement, et le faisoit merveilleusement bon veoir. Si dist le seigneur de Ligny au duc de Savoye Monseigneur, vous avez là ung page qui chevauche ung gaillart cheval, et davantage il le scet manyer gentement. Sur ma foy, dist le duc, il n'y a pas demy an que l'évesque de Grenoble m'en fist ung présent, et ne faisoit que sortir

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1. La Verpillère, chef-lieu de canton, département de l'Isère. 2. Louis de Luxembourg, comte de Ligny, prince d'Altamura, grand chambellan de Louis XII, cousin germain du duc de Savoie par Marie de Savoie sa mère. Il était fils de Louis de Luxembourg, comte de Saint-Pol, connétable de France. Il mourut en 1505.

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