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qui affligent la vie humaine, a eu juste sujet de se plaindre de notre ignorance à peu près en cette manière: O vous qui naviguez sur les mers, vous « qui trafiquez dans les terres lointaines, et qui nous en rapportez des marchandises si précieuses, dites-nous : N'avez-vous point reconnu dans vos longs et «< pénibles voyages, « n'avez-vous point reconnu où réside l'intelligence, et dans

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- quelles bienheureuses provinces la sagesse s'est retirée? » Unde sapientia venit, et quis est locus intelligentiæ? Certes, « elle s'est cachée des yeux de - tous les vivants; les oiseaux mêmes du ciel, c'est-à-dire les esprits élevés, n'ont pu découvrir ses vestiges. " Abscondita est ab oculis omnium viventium, " volucres quoque cœli latet. La mort et la corruption, c'est-à-dire l'âge caduc etla décrépite vieillesse, qui, courbée par les ans, semble déjà regarder sa fosse, la mort donc et la corruption nous ont dit : « Enfin après de longues enquêtes, et plusieurs rudes expériences, "nous en avons ouï quelque bruit confus, mais nous ne pouvons vous en rapporter de nouvelles bien assurées : Per"ditio el mors dixerunt: Auribus nostris audivimus famam ejus (23).

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"Donc, ò Sagesse incompréhensible, agité de cette tempête de diverses opinions pleines d'ignorance et d'incertitude, je ne vois de refuge que vous vous serez le port assuré où se termineront mes erreurs. Grâce à votre mi" séricorde, comme vous allumiez autrefois durant l'obscurité de la nuit cette mystérieuse colonne de flammes, qui conduisait Israël votre peuple dans

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" une telle étendue de terres seules, incultes et inhabitées; ainsi m'avez-vous - proposé, comme un céleste flambeau, votre loi et vos ordonnances: elles - rassureront mon esprit flottant, elles dirigeront mes pas incertains. Lucerna “ pedibus meis verbum tuum, et lumen semitis meis (24).

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« .....En effet, il le faut avouer, dans la confusion des choses humaines, l'unique sûreté, mes chers frères, la seule et véritable science est de s'attacher constamment à cette Raison dominante. Ah! quelle consolation a une âme de suivre la Raison souveraine avec laquelle on ne peut errer!... Et puisque votre raison n'est ni assez ferme, ni assez puissante pour diriger les vues des affaires selon une conduite certaine, laissez-vous gouverner à cette " divine Sagesse, qui régit si bien toutes choses, et ne me dites pas qu'elle "passe votre portée. Ne voyez vous pas que, par une extrême bonté, elle << s'est rendue sensible et familière ? Elle est, pour ainsi dire, coulée dans les - Écritures divines, d'où les prédicateurs la tirent pour vous la prêcher; et là, cette Sagesse profonde, qui donne une nourriture solide aux parfaits, a daigné se tourner en lait pour sustenter les petits enfants. Mais que pouvons« nous désirer davantage, après que cette Sagesse éternelle s'est revêtue d'une “ chair humaine, afin de se familiariser avec nous? Nous ne pouvions trouver

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(23) Job, xxvIII, 20-22. (24) Ps., Cxvi, 105.

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la voie assurée, à cause de nos erreurs; « la voie même est venue à nous » : • Ipsa via ad le venit, dit saint Augustin (25), car le Sauveur Jésus est la

■ voie.

"C'est cet excellent Précepteur que nous promettait Isaïe: Tes oreilles • entendront, » dit-il, « la voix de celui qui, marchant derrière toi, t'avertira de ⚫tes voies, et tes yeux verront ton Précepteur » : Erunt oculi tui videntes • Præceptorem tuum (26). O ineffable misericorde! Fidèles, réjouissons-nous : ⚫ nous sommes des enfants ignorants de toutes choses; mais puisque nous - avons un tel Maitre, nous avons juste sujet de nous glorifier de notre igno“rance, qui a porté notre Père céleste à nous mettre sous la conduite d'un si excellent Précepteur. Ce bon Précepteur, il est Dieu et homme. O souve- raine autorité ! ô incomparable douceur! Un maître a tout gagné, quand il peut si bien tempérer les choses, qu'on l'aime et qu'on le respecte je res"pecte mon Maître, parce qu'il est Dieu; et afin que mon amour pour lui fût plus libre et plus familier, il a bien voulu se faire homme. Je me défierais - d'une prudence, et je secouerais aisément le joug d'une autorité purement « humaine : « Celle-là est trop sujette à l'erreur; celle-ci trop exposée au mépris: Tam illa falli facilis, quam ista contemni, dit Tertullien (27). Mais je me ploie et je me captive sous les paroles magistrales du Sauveur - Jésus : dans celles que j'entends j'y vois des instructions admirables; dans celles que je n'entends pas, j'y adore une autorité infaillible. Si je ne mé"rite pas de les comprendre, elles méritent que je les croie; et j'ai cet avantage dans son école, qu'une humble soumission me conduit à l'intelligence plutôt qu'une recherche laborieuse. Venez donc, ô sages du siècle! venez à • cet excellent Précepteur qui a des paroles de vie éternelle. Laissez votre Platon avec sa divine éloquence; laissez votre Aristote avec cette subtilité " de raisonnements; laissez votre Sénèque avec ses superbes opinions; la sim- plicité de Jésus est plus majestueuse et plus forte que leur gravité affectée. . Ce philosophe insultait aux misères du genre humain par une raillerie arrogante; cet autre les déplorait par une compassion inutile. Jésus, le débonnaire Jésus, il plaint nos misères, mais il les soulage; ceux qu'il instruit, il les porte. Ah! il va au péril de sa vie chercher sa brebis égarée; mais il la rapporte sur ses épaules, parce qu'« errant deçà et delà, elle s'était extrêmement travaillée»: Multum enim errando laboraverat, dit Ter- tullien (28). Pouvons-nous hésiter, ayant un tel maître (29) ! »

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Nous pourrions multiplier les citations de Bossuet, si celle-ci n'était pas déjà très longue. D'ailleurs elle résume toute sa doctrine sur ce point. Ce fier

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génie, dans son vol d'aigle, n'avait tant d'assurance que parce qu'il sentait sa raison soutenue par la Raison souveraine. Il ne pensait pas que l'esprit humain fût en droit de s'affranchir de l'autorité divine et de se glorifier de ce qu'on appelle son émancipation.

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Pourquoi veut-on repousser la Révélation? Craint-on un conflit sérieux entre elle et la raison ? Est-il à redouter qu'elles ne cherchent à s'entre-détruire? Cela est impossible: «Si le maître qui enseigne, dit S. Thomas, « ne cherche pas à tromper, ce qui ne saurait être supposé en Dieu, les notions qu'il fait - entrer dans l'intelligence de son disciple font partie de sa science. Or, les principes que nous connaissons naturellement sont gravés en nous par la main divine, puisque Dieu lui-même est l'auteur de notre nature. Ces principes se trouvent donc aussi dans la Sagesse divine; et, par conséquent, tout ce qui leur est contraire est aussi opposé à la Sagesse de Dieu, et ne peut, par cela même, venir de lui. Il faut donc conclure que les articles de foi divinement révélés, ne peuvent contrarier nos connaissances naturel- les (30). »

Un savant théologien, le Père Perrone, établit la même chose en ces termes : « La Révélation, qui est l'objet de la Foi, et la raison naturelle n'ont elles pas également Dieu pour auteur? Ne sont-elles pas comme deux rayons - émanés de la même lumière indéfectible? comme deux ruisseaux qui découlent d'une source commune et inépuisable? Comment donc pourraient➡ elle se combattre ? La vérité pourra-t-elle jamais contredire la vérité? Dieu sera-t il en opposition avec lui-même, pour nous enseigner par ces deux voies des choses opposées? Il est donc évident que nul dogme divin ne saurait s'élever contre la raison; à la condition, toutefois, que la raison mar• chera toujours en droite ligne, conformément aux lois de sa nature, et n'aura ❤ pas la témérité de les violer.

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D'ailleurs, les vérités du domaine de la foi sont à la portée de la raison, ou bien la surpassent Dans le premier cas, nous n'avons aucune opposition « à redouter, puisque la raison saisit, par le moyen de la Foi, avec plus de certitude et d'abondance, les germes des vérités qu'elle avait déjà découvertes, « ou que du moins elle pouvait découvrir en restant sur son terrain, Instruite par la Foi, il lui sera plus facile, à l'aide de sa lumière naturelle, de les - développer, et d'ajouter d'autres vérités du même ordre au trésor qu'elle possède.

Que s'il s'agit des vérités qui sont au-dessus de la raison, et que nous - appelons des mystères, la raison ne parviendra jamais à découvrir en elles « une répugnance intrinsèque; car il lui faudrait pour cela une connaissance · adéquate du sujet, de l'attribut et du lien qui les unit; et la nature même du

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(30) Somme contre les Gentils, introduction, c. 7.

- mystère rend cette connaissance impossible. Qu'est-ce, en effet, que l'énoncé • d'un mystère, sinon la simple notion d'une chose que celui-là seul qui l'a " affirmée ou révélée pouvait nous faire connaître; d'une chose dont l'exis☐ tence est certaine, mais dont le mode d'existence et toutes les qualités ne - nous ont pas été découverts, et ne peuvent pas même nous être dévoilés?

Toute répugnance ne sera donc qu'apparente, et la raison bien dirigée la fera * facilement disparaître. S. Thomais l'avait observé il y a déjà longtemps, et le « Ve Concile de Latran le déclare en termes exprès (31) : "La vérité, dit-il, ne pouvant contredire la vérité, nous définissons que toute assertion con- traire à une vérité de foi est absolument fausse (32). »

Mais si l'on fait prédominer ainsi la Foi, en lui subordonnant la raison, la lumière naturelle de l'intelligence humaine ne court-elle pas le risque de s'éteindre? ou du moins ce don de Dieu ne nous sera-t-il pas alors parfaitement inutile? - Ce péril est imaginaire. — D'abord, la Révélation pourvoit à conserver la dignité de la raison, en la préservant de l'erreur, et elle lui garantit la possession des vérités qui composent son domaine. Ensuite, comme le raisonnement consiste à déduire les conséquences renfermées dans les principes, loin d'étouffer le raisonnement, la Révélation le favorise, au contraire; car en augmentant pour l'homme le nombre des vérités fondamentales, elle recule les limites du champ où la raison s'exerce, et lui ouvre une source plus abondante de déductions certaines. Tant que l'on tient les yeux sur ce phare, on évite de se briser contre les écueils. On n'a pas à craindre de tomber dans des erreurs capitales, parce que les principes restant inviolables, on ne peut guère se tromper que dans les applications isolées; et dans le cas où ces applications fausses entraîneraient des conséquences fâcheuses pour la doctrine ou pour les mœurs, l'Église, dépositaire de la vérité révélée, interviendrait pour redresser la raison.

Nous ne faisons que rappeler ici une vérité d'expérience. Jamais l'enseignement de l'Église n'a été plus respecté qu'au Moyen-Age, et jamais aussi la raison n'a été plus en honneur. La scolastique a été le rêgne du raisonnement, et les docteurs de cette époque nous ont appris, par leur exemple, qu'il n'est pas nécessaire de s'insurger contre la Foi pour raisonner librement. Sans douter le moins du monde des vérités contenues dans le dépôt de la Révélation, ils n'ont pas cru être téméraires en sondant leurs fondements pour en faire, autant que possible, une démonstration scientifique (33). Ils ont même usé

(31) Cumque verum vero minime contradicat, omnem assertionem veritati fidei contrariam omnino fals im esse definimus.

(32) Perrone, Prælectiones theologica, De locis theologicis, part. 111, sect. 11, c. 2. Deratione cum fide.

(33) Sicut rectus ordo exigit ut profunda christianæ fidei credamus, priusquam ea præsamus ratione discutere, ita negligentia mihi videtur, si postea quam confirmati su

si largement de leur raison, qu'on les a quelquefois accusés d'avoir frayé la voie au rationalisme moderne; mais l'Église a fait justice de ce reproche (34). Tant que cette méthode a été exactement suivie, les vérités spéculatives et les doctrines morales ont été en sûreté. Quelques-uns ont pu donner dans la subtilité, mais on a généralement évité les erreurs profondes, et ceux-là seulement y sont tombés, qui, en méprisant les avertissements de l'Église, ont refusé de tenir leur esprit dans une juste subordination, en sorte que leurs chutes sont à la charge de la raison toute seule, et nous n'aurions pas à les déplorer, s'ils s'étaient toujours rappelé que la Foi est l'œil de l'aveugle et le pied du boiteux (35).

Nous ne sommes donc ni l'ennemi, ni l'ami exagéré de la raison. Nous croyons non-seulement à la possibilité, mais à la nécessité de leur alliance, et en mettant la Foi au-dessus de la raison, nous évitons, en même temps que le surnaturalisme, qui voulait humilier à l'excès la raison humaine, en niant qu'elle pût d'elle-même acquérir la certitude sur aucun point, le système condamné « de ceux qui, égalant la raison à la Foi, confondant le naturel et le surnaturel, représentent la religion divine et la philosophie humaine comme - deux sœurs, appliquées au même titre et avec la même compétence au mi"nistère des âmes, et capables de conduire les hommes avec un même succès, quoique par une voie différente, à leur fin dernière (36). »

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mus in fide, non studemus quod credimus intelligere (S. Anselmus Cantuar., Cur Deus homo, c. 2).

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(34) Quoique la foi soit aussi excellente là où elle se trouve sans doctrine, les saints Docteurs de l'Eglise out employé toutes les puissances de la raison pour que le monde, scandalisé de la croix, demeurât confondu en voyant naître de cette croix une doctrine plus ample, plus profonde, plus logique que toute autre qui eût jamais paru. Ce travail de ramener la raison à la Foi, est le but continuel de l'Église, qui ne cesse de se montrer forte de raisonnements, tout en montrant la vanité de la raison; qui ne cesse d'être éminemment philosophique, tout en montrant les vanités de la philosophie. Comme l'esprit humain existe et ne peut pas s'étouffer, comme il est de sa nature de chercher la science, comme celle tendance n'est mauvaise que lorsqu'elle est accompagnée de l'orgueil, Dien, dans son Eglise, sanctifie cette tendance, au lieu de la détruire; il la joint à une humilité qui peut être aussi profonde que celle d'une sainte ignorance, et qui peut admettre en même temps toute l'énergie de la recherche, tous les déploiements des facultés intellectuelles. Témoin les saint Thomas, les saint Augustin, etc. Dieu a sanctifié la science et l'ignorance, Dieu a tout sanctifié, excepté le mal. C'est pourquoi l'esprit humain, produisant et reproduisant sous des formes différentes, une continuité malheureuse d'erreurs, lorsqu'il poursuit la science avec orgueil, la continuité de la science dépouillée d'orgueil doit exister dans l'Église. Jamais le temps n'est venu, jamais le temps ne viendra (tant que la consommation des siècles ne sera pas effectuée), où l'esprit humain ne tende à la science, et où l'Église abdique le droit de donner des docteurs, le droit de diriger cette tendance, de confondre savamment l'orgueil, de triompher des erreurs, de marcher d'un pas aussi assuré à côté du subtil philosophe qu'à côté du simple berger (SILVIO PELLICO, lettre à M. l'ablé ***).

(35) Job., XXIX, 15.

(36) Quoniam vera fides semper fuit semperque erit humanæ salutis initium, fundamentum et radix omnis justificationis, sine qua impossibile est placere Deo, et ad filiorum

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