a faveur de la raison : quelques-uns sulliront. Nous lisons dans S. Irénée : . Quand la raison gravée dans les esprits les presse et le leur révèle, tous connaissent qu'il existe un seul Dieu, Seigneur universel (8). - Tertullien dit: Nous définissons qu'il faut d'abord connaître Dieu naturellement et le con • naître ensuite de nouveau par l'enseignement : naturellement, par ses co • vres; par l'enseignement, c'est-à-dire par la prédication (9). - S. Grégoire de Nazianze qualifie de sottise l'aveuglement de ceux qui ne déduisent pas l'existence de Dieu des preures naturelles (10). S. Anselme paraît être le pre mier qui ait donné une démonstration a priori de l'existence de Dieu ui). S. Thomas appelle une erreur et réfute l'opinion de ceux qui prétendent que l'existence de Dieu est indémontrable et ne peut être connue que par la Foi (12) Telle a été de tout temps la doctrine catholique. Luther, tout en se révoltant contre l'autorité en matière de doctrine, par une étrange inconséquence, enseigna que la nature bumainc a été tellement dégradée et altérée dans son es sence par le péché originel, que l'homme a perdu le libre arbitre, qu'il appe lait le serf arbitre, et que son intelligence a été obscurcie au point de devenir incapable de discerner avec exactitude la vérité, si elle ne lui est pas proposée par la voie de la Révélation. De là ses déclamations furieuses contre les scolas tiques et ses attaques contre les philosophes, dont, selon lui, les vertus n'ét taient que des vices, et la science qu'un amas d'erreurs (13). L'Eglise a con damné Luther, tout comme elle a condamné plus tard Baïus, qui essaya de renouveler en partie ses erreurs sur ce point (14). Dépositaire de toute vérité, elle ne s'est pas montrée moins attentive à maintenir les droits certains de la nature et de la raison qu'à venger ceux de la Foi et de la grâce. On n'en a pas moins affirmé que l'Eglise a traité la raison en ennemie ct qu'elle a cherché i la détruire en lui imposant le joug de la Foi : nous entendons répéter tons les jours que le Protestantisme a émancipé la raison et lui a rendu sa dignité, en proclamant le principe du libre examen, et l'on ne manque pas d'en attribuer principalement l'honneur à Luther. Il faut donc éviter à la fois de nier les droits de la raison et d'exagérer sa (8) Hoc ipsum omnia cognoscunt, quando ratio mentibus intisa moveat ex a rovalet, quoniam est unus Deus oinnium Dominus Contra hæreses, 1. 31, c. 6, n. 1). (9) Nos definimus Deum priino natur, cognoscendum, dehinc doctrina recognoscendum; natura ex operibus , doctrina ex prædicationibus Ado. Marcionem, 1. 1, c. 18). 110) Nimis bebes et stolidus est quisquis non huc usque sponte sua progredirus, neli raliumque demonstrationum vestigiis insistit, atque adeo hoc sibi persuadet ne id quidem Deum esse, quod vel imagine quadam anino concepimus, vel informavinius i Oral, IXXIV). 414) Proslogiuum, e. 2 et seqq. Nous en avons donné un extrait dans le le volume de cet oavrage, p. 36, en noie, (12j Somme contre les Gentils, 1. 1, c. 12. (13) Voyez la no:e 3o qui précède. (14) La vingt-cinquième des propositions condamnées de Baïus est ainsi conçues. One nia opera infidelium sunt peccata, et philosophorum virtuies sunt vitia, " 1 puissance. On ne doit pas oublier qu'Adam a été détérioré tout entier dans son corps et dans son dme par le crime de sa prévarication, et qu'il a entraîné toute sa race dans cette déchéance malheureuse (15). La raison, qui est une faculté essentielle de l'âme, a donc nécessairement souffert du vice originel; elle n'a plus au même degré sa rectitude primitive, et si la lumière de l'intelligence n'a pas cessé de briller, ce flambeau a néanmoins beaucoup perdu de son éclat. Si la raison est capable de découvrir seule les premiers principes naturels et d'en tirer les conséquences immédiates et prochaines, quand il faudra en extraire les conséquences éloignées, elle ne sera plus aussi sûre d'elle-même; en sorte que, même sans sortir de l'ordre naturel, elle se trouvera exposée à l'illusion, surtout quand les passions y seront intéressées et que les mauvais instincts du cæur influeront sur le raisonnement. Le vrai n'ayant plus alors pour elle le caractère de l'évidence, elle pourra mettre le faux à sa place. Quelles dégradantes erreurs n'a-t-elle pas admises dans les temps anciens? Le Saint-Esprit nous dépeint admirablement le désordre où elle était tombée, et il nous apprend que les vérités fondamentales elles-mêmes ont été fortement compromises. « Tous les hommes qui n'ont point la connaissance de Dieu, dit le Sage, « sont vains. Ils n'ont pu connaître par les biens visibles Celui qui « est, et ils n'ont point reconnu le Créateur en considérant ses ouvrages ; mais « ils se sont imaginé que le feu, ou le vent, ou l'air subtil, ou la multitude des étoiles, ou l'abîme des eaux, ou le soleil et la lune étaient les dieux qui gou« vernent l'univers. Si, charmés de leur beauté, ils les ont crus des dieux, qu'ils conçoivent combien est plus beau qu'eux leur maître; car c'est l'au« teur de la beauté qui a produit toutes ces choses. Ou bien s'ils ont admiré leur puissance et leurs etfets, qu'ils comprennent d'après cela que celui qui w les a créés est plus puissant qu'eux; car la grandeur et la beauté de la créa ture peuvent faire connaître et rendre visible le Créateur des étres; et cepen• dant ceux-ci méritent moins de reproches; car ils ont erré en cherchant - Dicu et en s'efforçant de le trouver. Ils le cherchent, en effet, en vivant au mil ses œuvres et ils se persuadent que les choses visibles sont bonnes. « D'ailleurs ils ne sont pas dignes de pardon, parce que s'ils ont pu avoir assez « de science pour connaître le monde, comment n'ont-ils pas découvert plus w facilement encore le maître du monde? Mais ceux-là sont malheureux et ont * mis leur espérance parmi les morts, qui ont appelé dieux les ouvrages de la u main des hommes, l'or, l'argent, les inventions de l'art, les figures des ani maux, une pierre inutile, travail d'une main antique. Un ouvrier habile coupe (15) Si quis non confitetur primum hominem Adam, cum mandatum Dei in Paradiso fuisset transgressus, statim sanctitatem et justitiam, in qua constitutus fuerat, amisisse.... totumque Adam, per llam prævaricationis offensanı, secundum corpus et animam, in dem terius commuiatum fuisse, avathema sit.—Si quis Adæ prævar cationem sibi soli, ot non ejus propagini, asserit nocuisse,... anathema sit (Conc. Trid., sess. v, can. 1 et 2). dans la forêt un arbre droit; il le dépouille adroitement de son écorce, et, à « l'aide de son art, il en fabrique avec soin un meuble utile pour les besoins de « la vie. Il emploie le superflu de son auvre à préparer sa nourriture, et ne faisant aucun usage du reste, qui est un bois courbé et plein de næuds, il • s'applique à le sculpter à loisir, et, par la science de son art, il lui donne une • figure et le rend semblable à l'image de l'homme, ou prend modèle sur quelque • animal. Il l'enduit de vermillon, le peint en rouge avec une couleur artificielle et couvre d'une couche tous ses défauts. Après cela, il prépare à la statuc une habitation digne d'elle; il la place dans la muraille et la scelle avec du fer, pour l'empêcher de tomber, prenant cette précaution parce qu'il sait qu'elle est incapable de s'aider; car c'est une statuc, et elle a besoin de se« cours. Il l'invoque ensuite, en lui faisant des væux, pour ses biens, pour ses • enfants, pour un mariage, et il ne rougit point de s'entretenir avec un bois " sans âme. Il prie pour sa santé un être faible; il demande la vie à un mort, * et implore le secours de celui qui ne peut rien (16). » La raison, abandonnée à elle-même, a donc pu s'égarer à ce point. Quand elle régnait sans partage, on a vu dominer les systèmes odieux et absurdes de l'athéisme, du panthéisme (ces deux mots sont synonymes en un sens), et du plus grossier matérialisme. Nous savons bien qu'on cherche à excuser les sages de l'antiquité, en disant qu'ils n'ont point partagé les erreurs du vulgaire. Mais leur doctrine était-elle pure et leur morale irréprochable ! Voudra-t-on nous les représenter, de même que les sages de nos jours, comme des âmes d'élite, qui n'avaient pas les mêmes besoins que le reste de l'humanitė (17)? S'accordaientils du moins entre eux sur les points essentiels ? Et s'ils ont eu le privilége de posséder la vérité, pouvaient-ils sans crime la retenir captive! Voyons-nous, du reste, qu'ils y aient conformé leur conduite ? S. Paul n'a pas pour eux la même indulgence que leurs successeurs : « L'Evangile, » dit-il, « nous révèle " que la colère de Dieu tombe du ciel sur toute impiété et sur l'iniquité de ces " hommes qui retiennent dans l'injustice la vérité de Dieu, parce que ce qui • est connu de Dieu est évident pour eux, Dieu le leur ayant manifesté. En effct, depuis la création du monde, on aperçoit, en le découvrant par les choses qui ont été faites, ce qui est invisible en Dieu, de même que sa puis• sance éternelle et sa divinité; en sorte qu'ils sont inexcusables, de ce qu'ayant - connu Dieu, ils ne l'ont point glorifié comme Dieu et nc lui ont pas rendu * grâces; mais ils se sont abandonnés à de vaines pensées, et leur cæur insensé « a été obscurci; car ils sont devenus fous en s'attribuant le nom de sages (18). " (16) Sop., XIII. (18) Rerelatur enim ira Dei de cælo, super omnem impietatem et injustitiam hominum com rum, qui reritalem Dei in injuslilia delinent, quia quod notum est Dei manifestum est in illis; Deus enim illis manifestavil. Invisibilia enim ipsius , a creatura mundi , per ea quæ fucta sunt 11 est vrai que nos rationalistes modernes essaient de répudier une partie de l'héritage de leurs ancêtres, mais c'est en vain; car si leurs raisonnements sont plus spécieux, ils ne font que donner une forme nouvelle à de très vieilles erreurs. Malgré le progrès des lumières, dont ils sont si fiers, leurs pensées ne sont pas moins vaines, et leurs théories ne font que les enfoncer davantage dans le Panthéisme, qui fait le fond de tous les systèmes récents, aussi bien que de tous les systèmes anciens. Et si, comme il est impossible de le contester sensément, la morale découlede la doctrine, quelles consciences se formerontles nations ou les individus engagés dans une fausse route ? L'antiquité nous le fait voir, et il suffit de regarder autour de soi pour en trouver des exemples nouveaux. Dès lors que Dieu a donné à l'homme une intelligence pour connaître la vérité, et que sa raison, en s'éloignant des premiers principes, est exposée à la confondre avec l'erreur, il est nécessaire qu'une raison supérieure, c'est-àdire la Raison divine, supplée à sa faiblesse, en lui servant de point d'appui. C'est ce que fait la Révélation, et la Foi met à l'abri de ce redoutable danger. Laissons parler ici Bossuet avec son accent ordinaire : personne ne saurait micux exposer le mal et indiquer le remède. " Qu'est-ce que l'homme, o grand Dieu! que vous en frites état el que rous « en avez souvenance? dit le prophète David (19). Notre vie, qu'est-ce autre « chose qu'un égarement continuel? Nos opinions sont autant d'erreurs, et nos * voies ne sont qu'ignorance. Et certes, quand je parle de nus ignorances, je ne me plains pas, Chrétiens, de ce que nous ne connaissons pas quelle est la structure du monde, ni les induences dus corps célestes, ni quelle vertu - tient la terre suspendue au milieu des airs, ni de ce que tous les ouvrages " de la nature nous sont des énigmes insolubles. Bien que ces connaissances svient très admirables et très dignes d'élre recherchées, ce n'est pas ce que - je déplore aujourd'bui; la cause de ma douleur nous touche de bien plus près. Je pluins notre mulbeur de ce que nous ne savons pas ce qui nous est * propre; de ce que nous ne connaissons pas le bien et le mal; de ce que nous * n'avons pas la véritable conduite qui doit gouverner notre vie. « Le sage Salomon étant un jour entié profondément en cette pensée : Qu'est-il nécessaire, dit-il, que l'homme s'étudie à des choses qui surpassent * sa capacilé, puisqu'il ne sait pas même ce qui lui est convenable durant le * pèlerinage de cetie vie? Quid necesse est homini majora se quærere, quum • ignoret quid conducut sibi in vita sua numero dierum peregrinationis suæ, N a intellerta conspiciuntur; sempiterna quoque ejus rirtus et divinitas ; ita vt sint inexcusabiles, quiu quum conorissent Deum, non sicut Deum glorificarerunt, aul gratias egerunt ; sed edanusrunt in cogitationibus suis, el obsuratum est insipiens cor corum; dicentes enim se esse sapientes, siulti facti sunt (Rom., 1, 18-22). 119. Quid est homo, quod memor es ejus? aut filius hominis, quoniam cisitas eum (Ps. VIII, 5). • et tempore quod velul umbra prætpril (20) ?... Ainsi se passe la vie, parmi • une infinité de vains projets et de fulles imaginations, si bien que les plus • sages, a prés que cette première ardeur qui donne l'agrément aux choses du • monde est un peu tempérée par le temps, s'étonnent le plus souvent de • s'étre si fort travaillés pour rien. Et d'où vient cela. Chrétiens? n'est-ce pas nanque d'avoir bien compris les solides devoirs de l'homme et le vrai but où • nous devons tendre? « Il est vrai, et il le faut avouer, que ce n'est pas une entreprise facile ni un travail médiocre : tous les sages du monde s'y sont appliqués, tous les sages du monde s'y sont trompés. Tu me cries de loin, o philosophie, que j'ai à • marcher en ce monde dans un chemin glissant et plein de périls: je l'avoue, . je le reconnais, je le sens même par expérience. Tu me présentes la main pour • me soutenir et pour me conduire; mais je veux savoir anparavant si ta conduite est bien assurée: Si un avergle conduit un aveugle, ils tomberont a tous deux dans le préripire 21) Et comment puis-je me fier à toi, ò palivre • philosophie! Que vois-je dans tes écoles, que des contentions inutiles qui * ne seront jamais terminées ? On y forme des dou:es mais on n'y prononce - point de décisions Remarqnez, s'il vous plaît, Chrétiens, que depuisqu'on se • méle de philosopher dans le monde, la principale des griestions a été des • devoirs essentiels de l'homme, et quelle était la fin de la vie humaine. Ce que • les uns ont posé pour certain, les antres l'ont rejeté comme faux. Dans une telle variété d'opinions, que l'on me mette au milieu d'une assemblée de phi losophes un homme ignorant de ce qu'il aurait à faire en ce monde; qu'on • ramasse, s'il se peut, en un même lieu, tous ceux qui ont jamais eu la ré* putation de sagesse; quand est-ce que ce pauvre homme se résoudra, s'il • attend que de leurs conférences il en résulte enfin quelque conclusion ar• rêtée ? Plutót on verra le froid et le chaud cesser de se faire la guerre, que w les philosophes convenir entre eux de la vérité de leurs dogmes. Nobis in• vicem videmur insanire : Nous nous semblons insensés les uns aux autres, • disait autrefois S. Jérôme (22;. Non, je ne le puis, Chrétiens, je ne puis jamais • me lier à la seule raison bumaine : elle est si variable et si chancelante; elle est tant de fois tombée dans l'erreur, que c'est se commettre à un péril ma- niseste que de n'avoir point d'autre guide qu'elle. Quand je regarde quelque w fois en moi-même cette mer si vaste et si agitée, si j'ose parler de la sorte, • des raisons et opinions humaines, je ne puis découvrir dans une si vaste • étendue, ni aucun lieu si calme, ni aucune retraite si assurée, qui ne soit • illustre par le naufrage de quelque personnage célèbre. Si bien que le pro• phète Job, déplorant dans la véhémence de ses douleurs les diverses calamités (20) Eccles., vii, 1. (211 Cærus autem si cæco ducalum præsiet, ambo in foream cadunt (Matth., xv, 14). (22) Epist. XXVII, ad Assell., tom. 10, part 11, col. 67. |