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aux leurs et qui toutes ont pour but d'assigner aux Waldstätten une origine nationale différente de celle des populations qui les avoisinent. Tous les historiographes suisses, jusqu'à Jean de Müller, ont soutenu cette insoutenable thèse, sur la vanité de laquelle il est inutile d'insister davantage". Laissant donc de côté les variations successives qu'elle a subies, nous pouvons passer des légendes ethnographiques aux légendes anecdotiques qui se sont enlacées autour de l'antique tronc des annales suisses.

IV

LES LÉGENDES ANECDOTIQUES. LEUR FORMATION

21. UNE LÉGENDE ISOLÉE

Ici encore c'est Hemmerlin, l'un des fabricateurs des généalogies fantastiques, que nous retrouvons le premier parmi les auteurs des inventions romanesques. Après avoir expliqué l'origine nationale des Schwyzois, il prétend expliquer aussi l'origine de la Confédération à laquelle ils ont donné leur nom. Nous avons vu que Justinger ne savait déjà plus se retrouver dans cette histoire un peu complexe; le chanoine de Zurich, tout instruit qu'il devait être, et tout instruit que, pour son temps, il se montre en effet, s'y retrouve bien moins encore. A mesure qu'on avance dans le quinzième siècle, l'ignorance historique va croissant. Voici, selon Hemmerlin, comment l'alliance fédérative des Suisses aurait été fondée 12:

<< Il arriva une fois, dit-il, « qu'un certain comte de

Habsbourg, duquel l'illustre maison des ducs d'Autriche tirait son origine, et qui était seigneur naturel des Swites, avait installé, dans un certain château de Lowerz, un châtelain qui devait gouverner en son nom toute la vallée. Ce châtelain fut tué par deux Schwyzois dont il avait séduit la sœur, et le comte ayant voulu les punir de cet attentat, deux autres Schwyzois, leurs parents, s'unirent à eux pour conspirer contre leur seigneur. Bientôt à ces quatre s'en joignirent dix autres, puis aux dix vingt, et peu à peu tous les habitants de cette vallée, refusant obéissance à leur seigneur, se confédérèrent contre lui. Ils détruisirent le susdit château, dont les ruines se voient encore aujourd'hui dans un lac, et ils donnèrent ainsi naissance à la Confédération. Des montagnards voisins, appelés Unterwaldois, dont le seigneur, nommé de Landenberg, assistait aux matines le jour de Noël, envahirent son château de Sarne, l'empêchèrent d'y rentrer, dévastèrent sa demeure et se confédérèrent contre lui avec les Schwyzois. Après eux les Lucernois, ayant détruit le château du baron de Rothenbourg, situé dans leur voisinage, entrèrent de même dans la Confédération, puis les Bernois, puis la ville de Zug, puis la vallée d'Uri, qui avait été sous la puissance de l'abbesse de Zurich, puis les gens de la vallée de Glaris, qui relevaient de l'abbesse de Seckingen, enfin les Zurichois. >

Combien il fallait que la mémoire des événements les plus faciles, ce semble, à retenir ou à constater, se fut effacée des esprits, pour que le pays d'Uri, qui le premier avait joui de l'indépendance, et autour duquel s'étaient groupés les deux autres Waldstätten, n'occupe dans la formation de la Confédération que la sixième place, et

que Zurich soit réléguée après Berne, Glaris et Zug. De quel épais brouillard n'était pas enveloppé, à cette époque, le souvenir des faits historiques, pour qu'à soixante ans de distance, la destruction du château de Rothenbourg, qui avait eu lieu en 1385, fut rapportée à l'époque, antérieure d'un demi-siècle, où Lucerne s'était confédérée avec les Petits Cantons?

Quel fond peut-on faire, après cela, sur les anecdotes auxquelles le chanoine de Zurich se plaît à rattacher les origines de l'affranchissement des confédérés ? Elles n'ont d'autre intérêt que de montrer comment s'introduisaient peu à peu les ornements légendaires, brodés sur le thème de ces violences imputées, par la tradition vague dont Justinger s'est fait l'organe, aux officiers des Habsbourg et de l'Autriche. On trouve ces mêmes anecdotes textuellement reproduites peu de temps après (1487) par un auteur qui les emprunte à Hemmerlin, en sorte que cette répétition ne leur confère aucun nouveau degré de credibilité 13. Il n'est, du reste, pas difficile de comprendre qu'en voyant des châteaux détruits, sans qu'on sût d'où venait leur ruine, on ait cherché la cause de celle-ci dans ces soulèvements et ces vengeances populaires qui, depuis le milieu du quatorzième siècle, en avaient fait disparaître plusieurs sur le sol suisse, et que, de leur destruction, on ait conclu à la révolte contre les tyrans qui les avaient habités ".

L'idée vaguement répandue des excès commis dans les Waldstätten par des baillis autrichiens, et la vue de décombres entassées à Lowerz et à Sarnen devaient suggérer des rapprochements de ce genre. C'est un des éléments que la tradition a conservés, de même qu'elle a retenu le nom de Landenberg, qui est celui d'une hauteur voisine de ce der

nier bourg sur laquelle on croit retrouver les restes d'un ancien édifice, mais qui, ayant été aussi porté par une famille noble dévouée à l'Autriche, et dont l'un des membres avait été dans le quatorzième siècle bailli de Glaris, a fait prendre le nom d'un lieu pour un nom d'homme 15. > En revanche, on ne retrouve pas dans la légende, sous sa forme la plus généralement reçue, l'anecdote des frères qui tirent vengeance du déshonneur fait à leur famille. Si l'imagination pouvait donc, au milieu du quinzième siècle, introduire à son gré des incidents de fantaisie dans le tissu des faits auxquels l'opinion commençait à rattacher l'origine de la Confédération, c'est qu'aucune narration consacrée, orale ou écrite, n'avait encore acquis dans ce domaine un droit de bourgeoisie incontesté.

La tradition a cependant fait un pas : elle a perdu son caractère confus et indéterminé, pour prendre un corps et une physionomie vivante. Ce n'est plus de droits violés et de mœurs outragées qu'il est vaguement question; la légende est sortie des généralités abstraites, pour toucher terre et s'incarner dans des faits, sinon authentiques et réels, du moins précis. Mais, tout en revêtant une forme concrète et en rattachant à des faits particuliers l'origine de la Confédération, la légende naissante diffère encore complétement (sauf sur un seul point) de la tradition définitive. De même que Justinger, Hemmerlin ne sait rien de la tyrannie du roi Albert, des méfaits de ses baillis, des trois conjurés du Grütli, des aventures de Guillaume Tell. Sa narration a même ceci de singulier, qu'Uri n'y tient aucune place. Schwyz et Unterwalden seuls semblent avoir donné naissance à la Confédération, et le premier de ces petits pays est ici mis à la tête du mouvement, comme s'il avait occupé

d'emblée la position qu'il avait prise en Suisse dans le quinzième siècle, à l'occasion surtout de la guerre contre Zurich.

2. LA LÉGENDE D'URI

Mais Uri va ressaisir son bien d'une manière triomphante, en revendiquant exclusivement, à son tour, la paternité de la Confédération, et en attribuant à l'un des siens. l'honneur de l'avoir fondée. Au moment, en effet, où la tradition nationale fait son apparition dans le monde sous la forme qu'elle a dès lors retenue, on dirait qu'il est sorti du berceau où elle a vu le jour deux jumeaux, qui se distinguent l'un de l'autre par une physionomie différente, peutêtre faudrait-il dire pour plus d'exactitude, deux enfants qui ne sont pas issus de la même mère. Cette double origine et cette double physionomie suffiraient seules pour attester tout ce qu'il y avait encore d'indécis et d'arbitraire dans la création d'une légende qui débutait par un flagrant désaccord. D'un côté, en effet, nous constatons l'existence, vers l'an 1470, d'un chant historique qui rapporte exclusivement au pays d'Uri et à Guillaume Tell la naissance de la Confédération, de l'autre, nous trouvons à la même date une chronique qui, faisant de l'aventure de celui qu'elle nomme ‹ le Thall › un épisode accessoire de l'affranchissement des Waldstätten, attribue l'émancipation nationale à une conjuration formée au sein des trois vallées, sur l'instigation d'un citoyen de Schwyz, pour tirer vengeance des actes de tyrannie commis dans les Etats forestiers, par les Gessler et les Landenberg.

De ces deux branches de la tradition, dont nul indice ne

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