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et de Liuterich, ont une physionomie essentiellement germanique. Aussi est-il difficile, pour le dire en passant, de n'y pas reconnaître l'un des signes de l'origine allémanique de cette population, dont le caractère tenace et les mœurs rustiques se laissent, de même, si clairement entrevoir sous l'aride langage d'un document officiel. Mais ce que ce document nous laisse surtout discerner, et ce qui nous importe davantage, c'est que déjà il existait à Uri un groupe d'hommes qui se trouvaient en possession de priviléges qu'ils savaient défendre contre toute usurpation.

Vers la fin du douzième siècle, en 1196, à la suite de conflits qui paraissent avoir existé de longue date entre les gens d'Uri et ceux de Glaris, relativement à des rectifications de frontières sur les confins du Schächenthal et de la vallée de la Linth, un compromis intervient, auquel le comte palatin de Bourgogne, Othon, fils de l'empereur Frédéric Barberousse, accorde son consentement, parce qu'il est, dit-il, l'avoué de Glaris › (ejus consensu, quia ipse est advocatus Claronensis). La vallée de Glaris était, comme celle d'Uri, une propriété ecclésiastique, qui appartenait au couvent des religieuses de Seckingen et dont l'avouerie se trouvait entre les mains du comte Othon. C'est ce qui explique l'intervention de celui-ci, destinée à sanctionner une transaction que les ressortissants de Seckingen n'avaient pas seuls l'autorité de conclure. Il aurait dû en être de même pour Uri; mais ce qui semble indiquer que tel n'a cependant pas été le cas, et que les habitants de la vallée ont pu agir par eux-mêmes, sans avoir besoin de la ratification de leur supérieur, le duc de Zähringen, avoué du couvent de Zurich, c'est que le diplôme du fils de l'empereur ne fait aucune mention de celle-ci, et tient en conséquence pour

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suffisante l'adhésion des gens d'Uri. Si cette conclusion est exacte, il en résulterait qu'ils avaient assez pris l'habitude de s'entendre sur la défense de leurs intérêts, pour que l'on consentît, d'une part, à leur permettre de les régler en commun, et, de l'autre, à traiter directement avec eux sans ultérieure sanction 12.

Ce n'est pas à dire, néanmoins, qu'ils fussent déjà entrés en possession des droits constitutifs d'une véritable commune, ou d'attributions analogues à celles dont jouissaient les villes qui, dans l'Empire, possédaient un régime municipal indépendant. Au début du treizième siècle (1210), nous les trouvons encore dans la même condition légale où les avait placés la charte de Louis le Germanique. L'abbaye de Zurich exerce toujours ses droits seigneuriaux dans la vallée, et son avoué conserve la juridiction supérieure que lui avait conférée le diplôme de 853. Mais il est probable que les gens d'Uri, grâce à leur éloignement du couvent suzerain, grâce à l'isolement où les plaçait la situation peu accessible de leur territoire, grâce au relâchement des liens de subordination que devaient faire respecter des employés pris sur les lieux mêmes, il est probable, disons-nous, que peu à peu les gens d'Uri en étaient venus à agir avec une sorte d'autonomie dans les affaires d'un intérêt purement local. Cette autonomie avait eu probablement pour point de départ une organisation analogue à celle qui se montre, à cette époque, sur divers points de l'Empire, et qui réunissait en une même corporation (Markgenossenschaft) les copropriétaires des biens communaux 13. Les circonstances particulières où se trouvait la vallée d'Uri lui permirent de profiter, mieux qu'on ne put le faire ailleurs dans les campagnes, de ces rudiments

d'indépendance et concoururent à préparer son entier affranchissement.

Cependant, avant de faire dans cette carrière de nouveaux pas, la petite peuplade se vit sur le point de perdre les faibles avantages qu'elle avait déjà obtenus, et d'échanger la liberté qu'elle pouvait entrevoir, contre la servitude dont étaient menacés le couvent de Zurich et ses ressortissants. L'avoué du monastère, Berthold V, duc de Zähringen, marchant sur les traces de plus d'un des princes de son temps, se comportait, en effet, moins en fidèle protecteur qu'en souverain superbe. Tirant de son double titre de bailli impérial de Zurich et d'avoué du couvent la prétention de gouverner, comme sa propre chose, tout le domaine temporel de la maison religieuse qu'il appelait < son abbaye (abbatiæ nostræ), il aurait probablement préparé pour sa famille, s'il n'en eût pas été le dernier membre, une domination qui, dans le pays d'Uri en particulier, aurait eu comme conséquence de transformer les ressortissants plus ou moins libres d'une abbaye en sujets d'un prince 1.

C'est ce danger que sa mort, survenue en 1218, fit disparaître pour le couvent de Zurich et pour les territoires de sa dépendance. L'empereur Frédéric II les prit, en effet, sous sa protection immédiate, et il s'attribua à lui-même l'avouerie ecclésiastique, qui devait rester à perpétuité entre les mains de ses successeurs. Uri se serait ainsi trouvé placé sous la souveraineté directe de l'Empire, ce qui était alors regardé comme équivalant à un entier affranchissement politique, car relever de l'Empire c'était en fait, sinon en droit, ne relever guère que de soi-même, puisqu'une communauté acquérait ainsi, ou finissait par acquérir tôt ou tard, le privilége de s'administrer librement par des magistrats

tirés de son propre sein. L'exercice de la haute justice et le droit d'exiger, avec un court service militaire, le paiement d'un impôt étaient les seules réserves faites au profit du chef de l'Empire 16.

Toutefois, les gens d'Uri ne paraissent pas avoir acquis en ce moment-là cette situation privilégiée qui leur aurait conféré la prérogative de posséder un gouvernement communal de leur choix, sous la réserve des droits de propriété du couvent de Zurich et des droits de souveraineté de l'Empire. Ce fut très-probablement Frédéric II lui-même, plutôt que son fils le roi Henri, qui enleva à la vallée d'Uri des avantages qu'elle n'avait fait qu'entrevoir. Ce prince, que les nécessités de sa politique obligeaient de recourir à toute espèce d'expédients pour se procurer des partisans et des subsides, avait adopté le système d'aliéner ou d'engager, à - titre de fiefs ou d'hypothèques, les droits et les biens de l'Empire aux divers seigneurs dont il pouvait attendre de l'argent ou des soldats. Dans le nombre de ceux qui s'étaient attachés à sa fortune et qui déjà lui avaient fait des sacrifices, se trouvait le comte Rodolphe de Habsbourg, l'un des membres importants de la noblesse féodale dans la Haute-Allemagne. C'est à lui que l'empereur transmit, soit comme gage, soit comme dédommagement des sommes qu'il en avait reçues, la possession de la vallée d'Uri, c'est-à-dire les droits de haute juridiction qu'il s'était d'abord réservés à lui-même. Cette vallée se transformait ainsi en un fief directement gouverné par le nouveau seigneur auquel il était concédé, et les habitants d'Uri, quelle que fût du reste leur condition civile, se voyaient de nouveau menacés d'être réduits, dans l'ordre politique, au rang de sujets d'une simple principauté ".

Ce danger était pour eux d'autant plus grand, que la maison de Habsbourg, après avoir pendant près de deux siècles fait une fort petite figure dans le monde, commençait à prendre sa place à côté des principales dynasties seigneuriales du temps. Albert le Riche, père de Rodolphe, avait obtenu, par concession impériale ou par héritage, le landgraviat de la Haute-Alsace, l'avouerie du couvent royal de Seckingen, celle du monastère de Lucerne, et le gouvernement du comté de Zurich. Indépendamment de ces grandes charges qu'il pouvait héréditairement transmettre à ses descendants, il possédait en propre, par succession ou par achat, outre les biens patrimoniaux groupés autour de l'antique et modeste berceau de sa famille, divers domaines plus ou moins considérables situés dans le centre même de la Suisse, et particulièrement à Schwyz et dans l'Unterwalden.

Son fils unique Rodolphe (plus tard surnommé le Vieux, pour le distinguer du cadet de ses enfants qui portait le même nom), Rodolphe recueillit toutes les possessions allodiales et féodales de son père, ce qui faisait de lui un grand propriétaire foncier, et toutes les prérogatives politiques attachées à ses dignités, ce qui faisait de lui, à bien des égards, un petit souverain. C'est seulement sous ce second point de vue qu'il faut envisager l'inféodation qui lui fut faite par l'empereur Frédéric de la vallée d'Uri; il en devint possesseur au sens politique, en lieu et place de l'Empereur lui-même, pour y exercer les droits utiles de la souveraineté, mais sans porter aucune atteinte à la propriété de personne. Le pays reçut un maître, les terres restèrent dans les mêmes mains. Si cet état de choses avait duré, la vallée d'Uri aurait perdu toute chance d'affranchissement et aurait, par

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