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que la publication de la chronique d'Etterlin allait leur donner, ainsi qu'au reste de la légende.

Cette chronique est donc le premier ouvrage, dans l'ordre des dates, qui reproduise le récit romanesque et mélodramatique de l'anonyme de Sarnen 30. Quoique Etterlin ait copié, presque mot pour mot, l'œuvre de son devancier, il introduit ici et là des variantes qui peuvent servir à indiquer, soit le manque de fixité de la légende, soit le genre de développements dont on l'enrichissait. Ainsi, chez Etterlin, Gessler s'appelle Grissler; le Rütli s'appelle le Betlin; Swandow est changé en Schwanow, et le Rötzberg devient le Rogenberg. La tour bâtie par Gessler au-dessous de Steg sur une colline et qu'il voulait nommer Twing-Uren, › se change, sous la plume de l'écrivain lucernois, en une tour construite sur la colline de Solenturn, et que le bailli voulait nommer Zwing Ury under die Stegen. > La saillie de rocher dont la chronique de Sarnen parle comme de la plate-forme au Tell (die ze Tellen blatten), sans établir aucun rapport entre ce nom de lieu et celui du Thall, est dans Etterlin, comme chez Rüss, < une grande plate-forme que, dès lors, on a toujours nommée et qu'on nomme encore aujourd'hui la plateforme de Tell (des Tellen blatten). Comme chez Rüss, également, le nom seul de Guillaume Tell, ou de Tell, est employé d'un bout à l'autre du récit. Enfin, le lieu désigné dans le Livre blanc devient dans la chronique d'Et

sous le nom de Melchi

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terlin le Melchthal, et cette dénomination, appliquée à l'un des trois conjurés du Grütli, se perpétuera dans la tradition.

De toutes ces différences la dernière seule mérite de nous arrêter, à cause du jour qu'elle peut jeter sur la formation

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de la légende. Voici pourquoi: Un des érudits suisses qui ont le plus savamment étudié le sujet qui nous occupe, a dernièrement constaté que ces deux appellations topographiques n'étaient point synonymes et qu'elles s'appliquaient à deux localités parfaitement distinctes. < Le Melchi est un lieu situé tout proche de Sarnen, au-dessous du hameau de Flueli, dans un espace ouvert et occupé par des champs et des prairies. < Le Melchtahl> est une haute vallée de l'Unterwalden, étroite, agreste et boisée, placée par delà la montagne qui s'élève au nord-est de Sarnen. Il est impossible que, dans le pays même, on puisse confondre ces deux localités l'une avec l'autre; leur situation comme leur caractère sont absolument opposés. On trouve une 'preuve intéressante de cette opposition dans les souvenirs qui se rattachent à Nicolas de Flüe, contemporain de l'auteur du Livre blanc. Des documents de la fin du quinzième siècle nous apprennent, en effet, que le grand pacificateur des confédérés qui habitait Flueli, avant de s'être résolu à vivre en ermite, <faisait ses foins dans le Melchi, et allait, dans le Melchthal, défricher des broussailles 31. >

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Qu'est-il permis de conclure de la distinction qu'il faut nécessairement établir entre ces deux localités? C'est que la transposition arbitraire faite par Etterlin ne pouvait avoir lieu que parce qu'aucune tradition n'avait encore consacré, parmi la population du Haut-Unterwalden, l'anecdote dont le théâtre était placé tour à tour en deux endroits aussi différents. En effet, si dans l'Obwald la croyance populaire avait tenu pour le Melchthal, l'auteur du Livre blanc qui écrivait à Sarnen n'aurait pas parlé du Melchi; ou bien, si en en parlant, il avait été l'organe d'une tradition reçue, l'opinion n'aurait pas laissé le Melchthal prendre une place qui ne

lui appartenait pas. Cependant les habitants du Haut-Unterwalden ne la lui ont jamais contestée. C'est que la tradition orale n'était pour rien dans la création d'une légende qu'on acceptait de confiance et sans examen. Les gens d'Obwald ont cru au Melchthal, sans se douter que c'était par une confusion, très-naturelle chez un écrivain qui n'était pas des leurs, que ce nom avait été substitué à celui du Melchi, dont la situation convenait bien mieux, pour qui connaît les environs de Sarnen, à la scène que le premier narrateur y avait placée.

Ceci peut servir à montrer comment les traits de la tradition, qui semblent les moins susceptibles de s'imposer à toute une population, sont facilement acceptés de ceux-là même qui devraient être les premiers à n'y pas croire. Un peu plus tard (1565), dans une autre contrée de la Suisse, ne voyons-nous pas les habitants de Frutigen venir au Hasli, pour s'y faire délivrer une attestation en bonne forme de l'origine purement imaginaire de leurs ancêtres, et se plaire à croire, sur ce simple certificat, que leur vallée, aussi bien que celle du Hasli, avait été peuplée par cette prétendue émigration scandinave qu'avait accréditée, comme nous l'avons vu, l'écrit de Jean Fründ **? On saisit ici sur le fait le procédé de l'illusion volontaire et de la complaisance intéressée, qui expliquent la diffusion, souvent si générale et si prompte, d'inventions sorties d'un seul cerveau. L'exemple que nous a fourni la comparaison entre la chronique de Sarnen et celle d'Etterlin mérite donc plus d'attention qu'il ne semblait d'abord digne d'en attirer. Il corrobore la présomption que c'est d'une œuvre toute individuelle qu'est originairement sortie la légende anecdotique, bientôt devenue si naturellement populaire.

Il n'y a aucune raison de croire qu'il n'en fût pas de même pour les amplifications que recevait cette légende. Etterlin introduit, en effet, de son propre crû, dans l'histoire de Guillaume Tell, divers détails que ne renfermait point la chronique d'Obwald. Gessler l'interroge sur ses enfants et lui demande lequel d'entre eux il aime le mieux: < Je les aime tous également, › répond le père. Puis, quand l'ordre lui est donné d'abattre la pomme, l'archer résiste et s'écrie que c'est une chose contre nature. Ce qui l'inquiète, lorsque le bailli le presse de s'expliquer sur la destination de la seconde flèche, c'est de ne voir près de lui < aucun de ses compagnons qui pût venir à son secours. Enfin le

meurtre de Gessler, que la narration anonyme mentionne sèchement, n'a lieu, suivant Etterlin, qu'après que Tell, caché dans une embuscade, a entendu le bailli<<machiner contre lui toutes sortes de projets. >

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Dans l'épisode d'Alzellen, le seigneur qui, d'après le manuscrit d'Obwald, n'est pas le même que Landenberg, est, au contraire, identifié avec celui-ci par Etterlin, qui, lorsqu'il raconte la prise du château de Sarnen, parle du < nouveau seigneur qui n'a pas su s'instruire par ce qui était arrivé à son prédécesseur, tué à Alzellen. » Il met, en outre, dans la bouche du mari qui venge l'honneur conjugal, des paroles ignorées de la première chronique. Dans le conciliabule tenu par Stauffach à Altorf, où, parmi les représentants des trois vallées, le Livre blanc place ‹ un des Fürsten d'Uri, Etterlin met seulement < un d'Uri; > mais il ajoute que « le serment qu'ils prêtèrent fut le premier serment, le commencement des alliances, par lequel ils s'engagèrent à faire prospérer le droit, à réprimer l'injustice, à punir les méchants. » Le citoyen du Bas-Unter

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walden qui se joint aux trois premiers confédérés, et que la chronique de Sarnen appelle un du Nidwald,> est désigné par Etterlin comme celui qui avait tué le seigneur dans le bain, à cause de sa femme. >

Plus de précision et plus de vraisemblance dans certains détails, des modifications arbitraires et sans motifs pour d'autres points du récit, voilà ce que quelques exemples, choisis entre plusieurs autres du même genre, nous permettent de constater dans cette première élaboration de la tradition commune. Mais les corrections n'ont pas, aux yeux de l'histoire, plus de valeur que le thême auquel elles s'appliquent, et Petermann Etterlin se montre à tous égards, dans sa chronique, un trop crédule et trop inexact écrivain, pour qu'il mérite plus de créance quand il accorde à la tradition l'autorité de son témoignage, que lorsqu'il atteste tout aussi sérieusement la mise au monde, par des femmes, d'un lion, d'un petit cochon et d'un monstre à corps d'homme et de chien ". Si, depuis le milieu du quatorzième siècle, son récit acquiert un peu plus de poids, tout ce qui précède cette époque dans sa narration est sans nulle valeur historique. Il reproduit les légendes telles qu'il les trouve, mais il ne saurait leur conférer aucun caractère d'authenticité.

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Tandis qu'Etterlin propageait ainsi, avec quelques variantes, la tradition nationale sous la forme que lui avait donnée la chronique d'Obwald, tout à côté de lui et de son livre, on rencontre d'autres auteurs et d'autres ouvrages, chez lesquels c'est, au contraire, la tradition sous la forme qu'elle avait prise à Uri, qui est mise en lumière. Ainsi, en 1512, Diebold Schilling de Lucerne rattache l'origine de l'alliance des trois vallées à l'aventure de Guillaume Tell;

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