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de Habsbourg sont venus s'établir dans la voisinage des trois vallées; puis, au bout d'un grand nombre d'années, < un comte Rodolphe de Habsbourg est élu roi des Romains. > C'est autour de son nom que la chronique groupe tout le passé des Petits Cantons. Ce roi élève les comtes du Tyrol à la dignité de ducs d'Autriche; ce roi persuade aux gens des Waldstätten de reconnaître la suzeraineté de l'Empire, en s'engageant à respecter lui-même leurs franchises immémoriales. Il tient parole sa vie durant; mais, après sa mort, les baillis qu'il a placés dans les vallées abusent de leur position pour en opprimer les habitants. La famille du roi s'éteint, et les comtes du Tyrol héritent de ses domaines en Thurgovie, en Argovie et dans le comté de Zurich. Les seigneurs du pays obtiennent des héritiers des Habsbourg l'inféodation des baillages des Waldstätten, en promettant d'être pour l'Empire de fidèles baillis. Alors < un Gesler devient bailli d'Uri et de Switz, et un de Landenberg bailli d'Underwalden. Mais, bien loin de tenir leurs engagements, ils voulurent faire passer les vallées de la puissance de l'Empire sous leur propre domination, et ils firent construire des châteaux forts pour les opprimer. Se conduisant plus tyranniquement encore que les baillis précédents, ils commirent toutes sortes d'iniquités et d'actes de violence et de libertinage.

C'est ici que la chronique intercale le récit de quelquesuns de ces méfaits, et qu'elle devient aussi prolixe et aussi précise qu'elle était auparavant empreinte d'une vague concision. Son auteur qui, sur le terrain de l'histoire, marchait comme un homme perdu dans les ténèbres, retrouve son assurance lorsqu'il aborde le domaine de la fiction; l'invention lui est plus facile à manier que la réalité. Que cette

invention provienne de son propre cru, ce qui nous paraît très-vraisemblable, ou qu'il ne fasse que mettre par écrit une tradition déjà répandue, on dirait que sa narration imaginaire a été composée suivant un procédé méthodique. Voulant donner des exemples de la conduite criminelle des baillis, il classe ces exemples systématiquement, d'après une combinaison où il semble qu'on a cherché, d'une part, à tenir compte des subdivisions politiques des Waldstätten, et, de l'autre, à se conformer aux catégories entre lesquelles le dixième commandement du Décalogue répartit les diverses formes de la convoitise. Le pays d'Uri ayant dans la personne de Tell son représentant, il fallait pourvoir Schwyz et les deux Unterwalden. C'était trois anecdotes à imaginer, et, comme la loi divine interdit de convoiter la maison, la femme et le bœuf du prochain, le thème de chacune de ces anecdotes était tout trouvé.

La série de ces petites narrations fictives s'ouvre par l'aventure des bœufs ravis, sur l'ordre de Landenberg, bailli de Sarnen, à un paysan qui habitait le Melchi. > Le fils du paysan s'oppose à cette spoliation, blesse l'estafier qui veut la commettre, et prend la fuite par crainte de la vengeance du bailli. Celui-ci, ne pouvant punir le fils, donne l'ordre d'aveugler le père et de confisquer ses biens. Voilà pour ce qui touche le Haut-Unterwalden et pour ce qui concerne la convoitise relative aux bœufs du prochain. Passant à la partie inférieure de la même vallée, le chroniqueur (c'est le romancier qu'il faut dire) place la scène à Alzellen, où ‹ le seigneur de l'endroit, vivement épris de la femme d'un autre paysan, se fait, en l'absence de celui-ci, préparer un bain où il veut la faire entrer avec lui (fantaisie qui s'explique mieux par l'association d'idées qu'éveillait, chez le

narrateur, le souvenir des histoires de Bathsèbah et de la chaste Susanne, que par la possibilité pour le hobereau de réaliser son licencieux projet dans une pauvre chaumière); mais le libertin est surpris encore seul dans la baignoire par le mari, qui le tue d'un coup de hache, avant que la pudeur de son épouse ait reçu la moindre atteinte. Le Nidwald et la convoitise pour la femme du prochain ainsi défrayés, restent Schwyz et la convoitise de la maison d'autrui:

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< Or, dans le même temps, il y avait à Schwyz un homme qui s'appelait Stoupacher, et il habitait à Steinen de ce côté-ci du pont. Il avait construit une jolie maison de pierre. Alors un Gesler était bailli pour l'Empire. Il vint un jour à passer à cheval, et il appela Stoupacher, et il lui demanda à qui appartenait la jolie demeure. Cette question, où il voit percer l'intention de s'emparer de son bien, jette le trouble dans l'âme de Stoupacher; sa femme s'en aperçoit, et jouant auprès de lui (comme Porcia auprès du second Brutus) le rôle d'une digne épouse, elle lui conseille de faire part de ses inquiétudes à ses amis d'Uri et d'Unterwalden. Stoupacher suit son conseil, et, recherchant des auxiliaires, il rencontre un des Fürsten d'Uri et celui du Melchi qui s'était enfui de l'Unterwalden. Ils s'engagent tous trois par serment; puis ils cherchent et ils réussissent à s'adjoindre (pour compléter le quadrille) un citoyen du Nidwald. Peu à peu leur société grossit, et ayant formé une ligue afin de se défendre contre les seigneurs, ils se rassemblaient, de nuit et en secret, près du Myten Stein, dans un endroit qui s'appelle au Rüdli. >

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C'est ici que le chroniqueur, qui n'a jusque-là parlé d'Uri qu'en passant, lui rend ce qui lui appartient, en intro

duisant l'épisode de Tell, dont la ballade et le récit de Rüss renfermaient le germe, mais auquel il donne des proportions et une physionomie très-différentes. Au lieu de s'en tenir au simple fait de l'injonction adressée à l'archer d'abattre la pomme, il cherche à entourer cet ordre de circonstances qui en expliquent le motif et en complètent les conséquences. Gessler, par une fantaisie de tyran, prescrit, sous peine d'amende, qu'on rende hommage à un chapeau placé sur le haut d'une perche, <sous les tilleuls à Uri. › < Or il y avait un brave homme, qui s'appelait le Thall, lequel s'était aussi engagé par serment avec Stoupacher et ses compagnons, et il passait souvent, de ci, de là, devant la perche, et il ne voulait point la saluer. › (C'est ainsi que les jeunes Hébreux à Babylone, et Mardochée à Suse, refusaient de s'incliner devant l'image de Nabuchodonosor et la personne d'Aman). Gessler, informé de cette désobéissance, mande le coupable, qui s'excuse, en disant qu'il l'a fait sans mauvaise intention, et qu'il ne savait pas que le bailli y attachât autant d'importance: car si j'avais de l'esprit, je m'appellerais autrement, et non pas le Tall (le simple, le benêt). › Mais le malheureux a beau (comme le premier Brutus) jouer l'imbécile, le bailli ne le tiendra pas quitte à si bon marché.

Que faut-il penser de ce nom du Thall, Tall, ou Tal, sous lequel seul l'archer d'Uri est désigné par l'auteur de la chronique de Sarnen et qui ne se retrouve dans aucun autre des textes de la légende ""? Est-ce un sobriquet dérivé du nom de Guillaume Tell, ou bien celui-ci s'est-il, au contraire, formé d'après ce surnom significatif? Car d'admettre qu'ils ont été imaginés séparément l'un de l'autre, c'est ce que nul ne saurait proposer. Quand nous voyons plus

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loin que le rocher en saillie, sur lequel s'élance le Thall, est appelé par le chroniqueur, non point la plate-forme de Tell, mais la plate-forme au Tell (ze Tellen), comme désignation de lieu, et que l'écrivain n'établit aucun rapport entre le nom de l'archer et cette dénomination locale, il nous semble difficile de ne pas croire que le nom de Thall a dû précéder celui de Guillaume Tell dans la tradition, et que ce n'est pas l'inverse qui a eu lieu. La légende, en effet, ne procède pas de ce qui est particulier à ce qui est général; d'une épithète elle fera un nom propre; mais celui-ci une fois adopté, elle ne le laissera pas s'effacer ou se transformer en un simple surnom attributif.

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D'ailleurs, on comprend mieux comment, pour rendre l'archer d'Uri plus intéressant, la tradition a primitivement voulu faire de lui un homme simple et l'a dénommé en conséquence. L'origine du nom de Guillaume Tell semble de même plus facile à expliquer, s'il n'est que la forme concrète et complète du nom personnel substituée à l'épithète de le Thall. Ce sobriquet serait devenu le nom principal, et la coïncidence fortuite de la forme Thall qui désignait l'archer et de la forme Tell qui désignait le lieu de son évasion aurait contribué à ce résultat. Quant au prénom de Guillaume (Wilhelm), qui ne se rencontre jamais à cette époque parmi la population des Petits Cantons, tandis qu'il est assez fréquent sur d'autres points de la Suisse, il aurait été emprunté à un tireur célèbre dans le moyen âge, William (Guillaume) de Cloudesly, braconnier anglais dont on racontait un trait d'adresse tout semblable à celui qu'on prêtait au Thall. Cette dernière explication, bien qu'elle soit donnée par des hommes fort compétents, ne peut toutefois valoir, comme la précédente, que ce que

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